dimanche 29 avril 2012

Vidéo-club : Atoll K


Réalisateur : Léo Joannon

Avec : Stan Laurel, Oliver Hardy, Suzy Delair

Année : 1952

Atoll K -aka Utopia- est le dernier film tourné par Laurel et Hardy, trente ans après leur première collaboration. Et c’est peu d’écrire qu’il fut perçu comme un terrible échec à sa sortie. Trop vieux. Pas assez rythmé. Trop long. Bref, un navet ou pas loin. Pourtant Frank Zito, qui fêtera dans moins d’une semaine un âge canonique pour les ados et regretté par les ancêtres, en a gardé un souvenir ému. Bercé par le duo durant toute sa prime jeunesse, il était loin d’avoir trouvé le film plus mauvais que les autres. Mieux même, ces éléments fantastiques s’étaient gravés profondément dans sa mémoire. Cet atoll fumant qui disparaissait dans des flots déchainés, cette ambiance crépusculaire et burlesque à la fois l’avaient marqué à jamais. Aussi, apprenant qu’Arte rediffusait l’intégrale du duo était-il resté à l’affut, prêt à saisir l’occasion au vol d’anéantir un souvenir d’enfance pour en faire une chronique dévastatrice, sur un air de requiem pour comiques déchus. Et bien ballepeau ! C’est l’affreux mouflet qui l’a emporté haut la main, avec ses dents de la chance et son air con, sur le cinéphile grincheux qu’il est devenu. Une chronique charnière donc, qui prouve que sous son torse velu, un cœur d’enfant palpite encore...

Esprits chafouins et prostate défaillante

Enfin bref, la première chose qui frappe, à la revoyure d’Atoll K, c’est la qualité des gags. Les esprits chafouins pourront écrire qu’ils avaient fait mieux avant, force est de constater que la mécanique d’écriture est là, précise, incisive même. Découpées au cordeau, les séquences s’enchaînent, drôles et agaçantes, comme souvent chez le duo qui sait jouer avec les nerfs des spectateurs à merveille. Déplumés par des notaires vénaux, maladroits dans leurs manœuvres, enfumés par un passager clandestin, Laurel et Hardy déroulent leur talent presque sereinement, éloignant à chaque plan l’idée même du naufrage annoncé. Pourtant les faits sont là : ils ont vieilli. Au lieu des 12 semaines de tournage, Atoll K s’étire péniblement sur 11 mois, la faute à un Stan Laurel usé, qui multiplie les passages à l’hôpital. Mais de cette histoire, rien ne ressort. Visuellement, le duo fait des merveilles. Oliver Hardy est tyrannique et maniéré, Laurel naïf et benêt. Leurs traits sont peut-être plus marqués, leurs rides plus profondes, mais cela sert leur personnages plus vulnérables et attachants que jamais.

A cela s’ajoute un exotisme tout particulier qui, à l’époque, aura peut-être joué contre la réputation du film. Mais plus de soixante ans après, on peut y trouver matière à le revaloriser plus encore. Laurel et Hardy, de fait, n’ont rien tourné ensemble après guerre. Anachroniques, pas vraiment attendus dans leur propre pays par des majors pour qui les mouches ont changé d’âne, c’est entre Marseille et les Studios Billancourt qu’Atoll K voit le jour, co-produit par la France et l’Italie. Pour assurer leurs arrières, les producteurs leur associent Suzanne Delair, star que l’on qualifierait aujourd’hui de bankable. Une première pour ces têtes d’affiches, c’est dire l’humilité de leur retour aux affaires. Et c’est ce qui explique l'histoire parallèle de Chérie Lamour à Tahiti, les séquences chantées, les bavardages estampillés comédie populaire française plutôt que Laurel et Hardy movie.

Dernier round et mise en abîme

Mais loin d’être le handicap attendu, l’étrange attelage fonctionne parfaitement. Les accents à couper au couteau des acteurs européens apportent un charme fou à l’ensemble. Ensemble dominé par un humanisme désespéré.  Accompagné par deux compagnons d’infortunes, Laurel et Hardy échouent sur une île inconnue, dans laquelle il coulent des jours heureux, ayant décidé enfin d’y vivre sans loi, taxe, argent, prison et passeport. Une utopie qui, dès qu’elle sera connue, attirera la foule, foule évidemment prompte à suivre le premier aboyeur venu, afin de destituer le gouvernement fantoche incarné par nos généreux branquignoles. Comment ne pas faire le parallèle avec leur situation. Stars mondiales sur le déclin, plumés par leurs producteurs, pas loin d’être sur la paille, usés physiquement, ils pouvaient goûter plus encore qu’à l’habitude à la brutalité du retour de bâton. Oliver Hardy n’avait-il pas décidé, comme leurs personnages, de laisser tomber une carrière devenue encombrante pour couler des jours heureux sur fond de terrain de golf ? Leur dernier round est donc celui où leur beauté intérieure se fait plus rayonnante que jamais, épurée de tout cynisme, de toute malveillance, Laurel et Hardy se retrouvent seuls devant l’abîme, leurs poches retournées pour la dernière fois, avec leur complicité comme seul trésor. Et Utopia comme dernier cadeau.

En bref : Conclusion réputée imparfaite, mais haute en couleurs, d’un des plus mémorable duo de comiques de l’histoire du cinéma, Frank Zito s’était souvenu du bien que le film lui avait fait. Mais il avait aussi lu le déluge de merde qui lui était tombé dessus. Après y être revenu, il peut vous le dire, à vous, qui avez gardé un cœur d’enfant, qu’Atoll K est une bombe. Humaniste, véritable compilation de classique gag du duo, les deux vieilles bourriques font un dernier round sans se prendre au sérieux. Et si le message est moins brillant et signifiant que celui de Charlot dans les feux de la rampe, il n’en est pas moins testamentaire dans le fond. Pourtant, loin d’adopter la forme du requiem, Atoll K se pose comme Laurel et Hardy movie simple et sans fioriture, magnifique de modestie, point final gracieux de ces deux gentlemen à l’incroyable complémentarité au monde du septième art. Film somme à la simplicité déroutante, il accompagne la sortie sans flonflon ni trompette de ces deux artistes qui voulaient en finir comme ils avaient commencé : dans un grand éclat de rire. Burlesque et humain.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire