Réalisateur : David Cronenberg
Avec : Keira Knightley, Michael Fassbender, Viggo Mortensen
Année : 2011
A-t-on le droit d’être injuste avec son hôte ? De tomber sur un être qui ne
l’aurait pas forcement mérité ? De s’acharner sur un vieil homme, binoclard de
surcroît, quand il a eu l’obligeance de vous faire passer une délicieuse soirée
? De vous offrir un spectacle distingué, chic et élégant ? Et puis il
s'est rendu coupable de quoi, Cronenberg ? D’avoir eu le mauvais goût de
peaufiner son film aux petits oignons, d’en bichonner chaque détail, de livrer
son introduction à la psychanalyse avec l’amour du travail bien fait ? Coupable
de rien, bien sûr ! Frank Zito le premier pourrait passer la soirée à s’extasier
à vos côtés sur les qualités de la nouvelle livraison du maître canadien. En
savourant par exemple son acting first classe, tout plein d'acteurs au sommet de
leur art qui habitent leurs déguisement avec un naturel… et puis disserter sur
cette image léchée… ces décors… c’est qu’on s’y croirait, à Vienne, au début du
siècle dernier. Denise a dû être contente. C’est vrai, quoi, la sœur Cronenberg,
chef costumière, y fait fureur ! Ah cette ombrelle d’époque, ces falbalas, ces
petites lunettes cerclées d’or… quelle authenticité ! Et ne parlons pas de la
mise en scène. Un sommet de raffinement. La maitrise parfaite. Jamais un plan
plus haut que l’autre. Des raccords ourlés comme de la fine dentelle. Une
discrétion racée, avec ce qu’il faut d’incarnation pour ne pas être fade, mais
rien de trop épicé afin ne jamais incommoder le spectateur confortablement
installé. Et pourtant aujourd’hui, il n’a qu’une envie Zito : lui écraser sa
bobine merveilleuse sur le coin de la figure, à Cronenberg. Et d’y foutre le
feu. Juste comme ça. Pour voir si le père de Vidéodrome réagirait, où s’il resterait civilisé, poli,
soufflant avec courtoisie sur les braises naissantes pour mieux les attiser...
Allez savoir, vous. Même Bernie Bonvoisin a fini par voter Modem trente ans
après avoir craché à la gueule de tout ce système...
Encéphalogramme plat et fessées pudiques
Et pourtant, le potentiel était là, bien présent. Un sujet en or à plusieurs
étages. Des balbutiements de la psychanalyse à la dispute entre Freud et Jung,
en passant par une histoire amorale au potentiel fou. Seulement le scénario, mal
agencé, met une demi heure à s’effondrer sous le poids de sa propre ambition. Au
lieu de creuser au plus profond, d’enfoncer la caméra là où ça fait mal,
Cronenberg suit posément un script formaté qui entend ne rien laisser de côté.
Aussi, dès la sortie de Sabina Spielrein du cabinet de Jung, où celui-ci tente
de la guérir de son hystérie grâce à la psychanalyse de son maître à penser,
partie assez intense qui nous laisse espérer le meilleur, le film explose à trop
vouloir embrasser son sujet le moins intéressant, c’est-à-dire mettre en image
doctement une «psychanalyse pour les nuls».
Dominé par ce surmoi, ce besoin irrépressible de raconter le plus justement
possible une histoire vraie, Cronenberg tombe dans les pires travers du biopic
en costume. Sage, terriblement sage, à l’encéphalogramme aussi plat que les
fessées pudiques administrées sans conviction par le professeur Jung à sa jeune
patiente et néanmoins disciple, le film enchaîne les séquences avec une certaine
lourdeur universitaire. Exit dès lors, toute possibilité de déborder de son
cadre, tout sensualité même, un comble pour celui qui avait réussi dans d’autres
temps à érotiser une télévision et à rendre une machine à
écrire vaginale. Ici la chair paraît triste, sans saveur, et Sabina
Spielrein d’apparaître soudain pour ce qu’elle est : un simple prétexte
grimaçant à raconter le duel au sommet entre Freud et son disciple, une astuce
narrative qui ne sera jamais le cœur du sujet.
De Scanners à La gloire de mon père
Dès lors tout est survolé, comme résumé. Il manque indubitablement à
l’entreprise un point de vue, un regard, celui de son auteur. Las, Cronenberg
suit religieusement le scénario de Christopher Hampton, se fait discret et
s’avère incapable de s’approprier son film dont le titre restera un effet
d’annonce jamais exaucé. Ainsi nous enchaînons mollement l’amitié entre les deux
psychanalystes, l’apparition superflue d’Otto Gross -Vincent Cassel, rarement
aussi mauvais que lorsqu’il est dirigé par Cronenberg-, les doutes, incarnés par
le célèbre voyage à New-York, la liaison inévitable entre Jung et Sabina, son
déclin, pour en arriver à la fracture épistolaire et définitive. Tout le monde
est impeccable, le film roule sur du velours, même si, à l’image de ce
transatlantique digital qui fend un océan scintillant de pixels grossiers,
l’ensemble laisse un goût quelque peu toc dans le palais. Pire, il prend parfois
des allures de Jean de Florette viennois, si ce n‘est qu’ici Hugolin
réussit à se taper Manon des sources, sous le regard lourd de
signification du papet qui tire silencieusement sur son gros cigare en hochant
la tête d’un air entendu. Produit par Berry, on se serait félicité de cette saga
qualité France. Tourné par le pape de la nouvelle chair, on a un peu envie de
pleurer.
En bref : A Dangerous Method, qui n’en a que le nom, s’avère être un
spectacle délicieux, comme le disent les vieilles dames venues s’encanailler
chez un réalisateur habitué à appuyer là où ça fait mal. Hélas, c’est un
Cronenberg emprunté, voire pudique, qui dirige la manœuvre. Le Canadien joue
ici, à notre grande surprise, le premier degré au détriment de l’ambigüité et de
la sensualité, à l’image de son Jung, sérieux moustachu, raide dans son caleçon
et droit dans ses bottes. Ses protagonistes ne s’incarnent pas autrement que
pour ce qu’ils sont : des personnages historiques pris dans leurs propre
mythologie, auquel Cronenberg ne réussit jamais à donner de la chair. Après des
promesses de l’ombre aussi surcotées que ratées, Cronenberg s’éloigne
donc de plus en plus des contrées qui en avaient fait le Francis Bacon du cinéma
mondial, et se retrouve à deux doigts de venir s’échouer sur les côtes calibrées
du biopic hollywoodien. Tourné par Sir Richard
Attenborough, on aurait dit bravo. Mais dirigé par Cronenberg, cette
Dangerous Method propre sur elle, laisse comme un goût d’inachevé.
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