samedi 7 avril 2012
Inrocks : Nous ne vieillirons pas ensemble
Voilà maintenant plus d’un an, deux peut-être, les Inrockuptibles ont mué. Motivés par des pertes sèches et la volonté de grossir pour ne pas mourir. Grossir mais à quel prix pour un titre qui avait déjà perdu beaucoup de son âme au fil des ans ? Qui s'était embourgeoisé. Avait cédé tour à tour aux sirènes du réseau, du marketing et de la toute puissance des départements publicité. Bonne nouvelle, les ventes de la nouvelle formule sont excellentes : +33%. Dans les réunions des professionnels de la presse, des hommes d'affaires soulignent cette réussite en pointant du doigt des courbes ascendantes. C’est la fête à tous les étages. La joie. Pourtant, et si Zito ne connait personne aux Inrock, son petit doigt lui dit que dans la rédaction, cette joie doit être particulièrement amère.
Adieu Technikart, bonjour l'Express
Il faut écrire qu'avec Mathieu Pigasse à sa tête, la ligne politique est devenue la priorité de l'hebdomadaire culturel qui, s’il s’assumait de gauche, n’avait jamais roulé officiellement pour un parti. Nombre de lecteurs se foutaient d’ailleurs de cette inclinaison naturelle. Mais il faudra s’y faire, pour les Inrocks, la musique, les arts ou le ciné sont maintenant secondaires. Le créneau, c’est le news magazine orienté. Dès lors, on demande aux buralistes de le ranger entre le Nouvel Observateur et le Point, ses nouveaux concurrents. Adieu Technikart ou Chronicart, bonjour l’Express et VSD ! Avec à la barre des éditocrates mous du genoux type Serge July ou Thomas Legrand… On croit rêver. Dès les premiers numéros, la messe est dite, avec les pages culturelles remisées en cul de périodique, à la traîne d’une partie news aussi copieuse qu’indigeste.
On pourrait penser que cela ne change pas grand chose à l'affaire. Que les Inrocks, on a toujours aimé les détester. Que leur parisianisme emprunté, leur côté Télérama laïc, cette ambiance électro folk fadasse était tout aussi facile à moquer que cette ligne éditoriale en forme de coulure tiède de robinet qui fuit. Mais la presse culturelle est rare, et malgré ses tics, ses vanités et sa préciosité agaçante, on y découvrait beaucoup. On y rêvait même parfois. Avec cette impression de toucher de près à quelque chose de précieux.
Mais là, horreur ! De pleines pages de dossiers relous, des entretiens sans saveurs qui racontent le comte de Paris progressiste ou flattent un Delanoë dans des entretiens qui rappellent la Pravda. Les reportages s’enchaînent sans passion, parlent des twittos politiques, de Morano, Jospin, Fabius, Sarkozy, on croirait BFM papier. On s’emmerde. Mais on s’emmerde. Si encore les sujets étaient traités avec hauteur, d’un point de vue original, n’importe quoi, mais non, rien qui ne ressemble pas à leurs nouveaux confrères. Demain Laurent Joffrin ou Franz Olivier Giesbert pourront postuler pour y être rédacteur en chef, Apathie et Duhamel viendront peut-être y faire des piges. Chez les dentistes progressistes, on le retrouvera dans les salles d’attente avec Gala, Closer et Marie claire. Misère…
De l'insoumission à la compromission
Et les pages culturelles alors, dont la direction s’était vantée de ne pas perdre une ligne ? Jurant leurs grands dieux que la news c’était du bonus et rien que du bonus ? Dévaluées par la bouillie qui la précède, elle semble comme vérolée. La médiocrité infuse tout. Là où l’on pensait culture de gauche, le caractère encarté de la nouvelle ligne éditoriale dévoile le pot-aux-roses. La compromission intellectuelle est de rigueur. La dévaluation totale. Les pages sentent l’accessoire. On imagine leurs rédacteurs remisés dans les bureaux les plus éloignés du cœur de la machine, avec les encombrants. L’encéphalogramme des Inrocks est plat, la passion ne transpire plus, l’hebdo est mort de son vivant. Il n’aura donc pas fallu deux ans pour que le titre avec lequel on était fiers de s’afficher soit devenu quelconque. Pire même, on le fait encarter par son marchand de journaux dans Nice-Matin avec Femina et Télé magazine. C’est moins embarrassant.
Pourtant si chaque semaine nous éloignent de ce qu’il a été, personne ne se plaint de ce virage. Car tout le monde se fout aujourd’hui des Inrocks, comme tout le monde se fout du Nouvel Obs, du Point et de l’Express, si ce n‘est le microcosme médiatique si cher à Mathieu Pigasse. Survolé par plus de monde, il n’est finalement lu par personne. Le 15 mars 2010, son fondateur Christian Fevret le quittait en déclarant sur un air de Requiem : « Vingt-quatre ans après avoir fondé, Les Inrockuptibles, c'est avec une émotion toute particulière que j'ai décidé de quitter le journal pour me consacrer à des projets personnels. Nous avons toujours voulu que Les Inrocks soit en mouvement permanent, réfractaire au sur-place et aux institutions, fidèle à son esprit d'insoumission, en quête de nouveauté et tourné vers l'avenir.». 24 ans. Même pas 27. Ç’aurait pourtant été un bel âge pour crever. Adieu l’ami.
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