Réalisateurs : Lucas Belvaux / Alex Kaurismaki
Acteurs : Yvan Attal, Sophie Quinton / André Wilms, Jean-Pierre Darroussin
Année : 2012
Quand on n’a pas les moyens de se payer un voyage dans des destinations exotiques, quoi de mieux que le cinéma pour se déplacer à peu de frais. Vivre des expériences autres. S’aérer dans des univers oniriques, lever les yeux vers un écran géant pour s’offrir ce que Frank Zito ne possède pas sur sa Côte d’Azur haute en couleurs : des décors sinistres, des personnages sinistres, des histoires sinistres arrosés par une bruine sinistre. C’est vrai, quoi. Ras le bol du beau temps, de la plage et des palmiers. Destination le Nord, et les plaisirs d’un pays de cocagne dont tous les fruits sont gris.
L’occasion surtout, comme vous aurez pu le constater, de sortir du cliché qu’offre cette ville mal aimée du septième art et méconnue de votre serviteur. D’autant que les films à l’affiche avaient de la gueule, et une aura critique très favorable. Avec un verdict en demi-teinte toutefois. Car des deux, celui qui titillait le plus Zito était 38 témoins, son intrigue, son caractère authentique, son affiche très Simenon, ses critiques dithyrambiques. Vous dire la chute. Lourde. Très lourde. Comme le film d’ailleurs. C’est dire…
Une démonstration ignifugée au pathos
Au-delà de la démonstration, le problème du film reste le crime lui-même, qui chancelle devant sa propre reconstitution. De l’ambigüité à l’incompréhension, il n’y a qu’un pas. Si peu intéressé par son meurtre, Lucas Belvaux semble ne pas se rendre compte que rien ne tient debout. Pris dans les œillères de sa charge bien pensante, obsédé par une envie de nuancer qui finit par tout brouiller, il quitte le domaine du cinéma, abandonne en cours de route le réalisme de son enquête, pour se vautrer dans une démonstration scolaire. Coupables, innocents, pourris, rien ne ressort de ce magma figé dans le temps, si ce n’est que les protagonistes écœurent Belvaux. Tellement qu’il ne les imagine pas autrement que minés par les remords. Bouffés du soir au matin par une introspection que le malheureux Yvan Attal, au top de l’absence de charisme, porte sur sa triste gueule. D’ailleurs tout le monde a une triste gueule dans cette reconstitution à forte dose de pathos et à l’absence quasi-totale de souffle. 38 témoins crève de manquer d’air, de vie, de réalité. Plat et finalement désincarné, quand il aurait pu nous la jouer coup de poing à la Boisset. Le film laisse un arrière goût de foirade à la hauteur de la prétention de son réalisateur. Poussif et tristement auteurisant.
Le Havre du Havre : Lumineux
Mais si 38 témoins boit la tasse dans le port, Le Havre prend son contre-pied absolu. Pourtant Alex Kaurismaki aussi a une thèse à défendre. Sa charge sur la situation des réfugiés en zone de stand-by est aussi douloureuse que celle de Belvaux sur la lâcheté ordinaire. La ville sert d’ailleurs pareillement de fond d’écran à la misère sociale. Mais là où le réalisateur belge se fourvoyait dans la grisaille de son histoire et la pesanteur de sa démonstration, Le Havre décolle avec une tonalité poétique proprement vivifiante. Quand on étouffait chez Belvaux, on vit chez Kaurismaki. Quand l’un nous offre une esquisse de ce qui se fait de plus caricatural dans les films d’auteurs, le Finlandais survole son sujet, comme touché par la grâce.
Face au jeu figé, superficiellement énigmatique et particulièrement fade des témoins havrais, les acteurs de Le Havre ont du chien, une identité, un goût. La photographie de cette histoire contemporaine est proprement magnifique. Tout rappelle le cinéma des années 60, quand le film de Belvaux nous raconte une histoire des années 60 avec un ton si contemporain qu’il lui fait perdre son authenticité. Le jeu de miroir entre les deux film est tellement défavorable au Belge que s’en est gênant. Aérien, Kaurismaki met en image son scénario avec les certitudes de ceux qui ne veulent pas en mettre plein la figure à leurs spectateurs, mais avant tout leur raconter une histoire. Sa thèse, il la fait passer après son film. Et c’est-ce qui la rend tellement virtuose, quand celle qui se voulait intellectuelle sonne lourdingue ? La magie résonne dans chaque dialogue, chaque confrontation, chargée d’une humanité qui sonne tellement plus juste que l’inhumanité caricaturale des 38 témoins de pacotille. Au final, Le Havre est une démonstration de force magnifique qui vous tord les boyaux.
En bref : Comme les deux faces d’une même pièce, 38 témoins et Le Havre, en prenant pour décor la ville portuaire la moins sexy de France, semblent danser un tango mortel pour le premier. En effet, avec son côté réaliste cru, moralisateur, sur-signifiant, Belvaux avance sa thèse de petit bourgeois dans un film aussi laid que ses personnages, et au bout du compte aussi peu crédible. Quand Kaurismaki ancre sa caméra dans le cinéma français le mieux ourlé pour raconter sous la forme d’un poème, l’horreur de la situation des rapatriés. De la thèse du premier, on ne retient rien, si ce n’est une bouillasse mal tenue et déstructurée. Du second, que l’inhumanité du pouvoir doit être combattue par tous les moyens, et que le cinéma peut en être un d’une redoutable efficacité. Brillant.
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