mercredi 11 avril 2012

Double séance : Le Havre + 38 témoins


Réalisateurs : Lucas Belvaux / Alex Kaurismaki

Acteurs : Yvan Attal, Sophie Quinton / André Wilms, Jean-Pierre Darroussin
  

Année : 2012

Quand on n’a pas les moyens de se payer un voyage dans des destinations exotiques, quoi de mieux que le cinéma pour se déplacer à peu de frais. Vivre des expériences autres. S’aérer dans des univers oniriques, lever les yeux vers un écran géant pour s’offrir ce que Frank Zito ne possède pas sur sa Côte d’Azur haute en couleurs : des décors sinistres, des personnages sinistres, des histoires sinistres arrosés par une bruine sinistre. C’est vrai, quoi. Ras le bol du beau temps, de la plage et des palmiers. Destination le Nord, et les plaisirs d’un pays de cocagne dont tous les fruits sont gris.

L’occasion surtout, comme vous aurez pu le constater, de sortir du cliché qu’offre cette ville mal aimée du septième art et méconnue de votre serviteur. D’autant que les films à l’affiche avaient de la gueule, et une aura critique très favorable. Avec un verdict en demi-teinte toutefois. Car des deux, celui qui titillait le plus Zito était 38 témoins, son intrigue, son caractère authentique, son affiche très Simenon, ses critiques dithyrambiques. Vous dire la chute. Lourde. Très lourde. Comme le film d’ailleurs. C’est dire…

Une démonstration ignifugée au pathos

Lucas Belvaux a voulu développer une thèse, dénoncer l’ignoble lâcheté de ses 38 témoins, d’un crime devant lequel ils n’ont pas bougé le petit doigt. Qui ont pressé un polochon sur leurs oreilles afin de faire cesser les gémissements. Nié avoir rien vu, rien su, rien entendu. L’histoire, si belle, passionnante même, part mal dès le départ. On met du temps à comprendre les enjeux, à saisir l’importance du fait divers. Les témoins souffrent, apparaissent unilatéralement misérables et puants. Les regards se croisent, lourds de sens, signifiants jusqu’à donner la nausée et parfois déclencher le rire involontaire. Le regard de Belvaux passe par trop de filtres. Celui naïf, presque niais de Sophie Quinton. Regard qui se fait dur devant ce mari qui l’a déçue. Par celui de Nicole Garcia, plutôt en dessous dans son rôle de journaliste locale assez bancale, indécise et volontaire. Aussi parfois par ceux du procureur et des flics, plus intransigeants. Mais tous ces regards se croisent sans jamais former un ensemble. Inexplicable, lamentable, ce fait divers qui aurait pu éclairer Vichy finit par ne rien dire du tout.

Au-delà de la démonstration, le problème du film reste le crime lui-même, qui chancelle devant sa propre reconstitution. De l’ambigüité à l’incompréhension, il n’y a qu’un pas. Si peu intéressé par son meurtre, Lucas Belvaux semble ne pas se rendre compte que rien ne tient debout. Pris dans les œillères de sa charge bien pensante, obsédé par une envie de nuancer qui finit par tout brouiller, il quitte le domaine du cinéma, abandonne en cours de route le réalisme de son enquête, pour se vautrer dans une démonstration scolaire. Coupables, innocents, pourris, rien ne ressort de ce magma figé dans le temps, si ce n’est que les protagonistes écœurent Belvaux. Tellement qu’il ne les imagine pas autrement que minés par les remords. Bouffés du soir au matin par une introspection que le malheureux Yvan Attal, au top de l’absence de charisme, porte sur sa triste gueule. D’ailleurs tout le monde a une triste gueule dans cette reconstitution à forte dose de pathos et à l’absence quasi-totale de souffle. 38 témoins crève de manquer d’air, de vie, de réalité. Plat et finalement désincarné, quand il aurait pu nous la jouer coup de poing à la Boisset. Le film laisse un arrière goût de foirade à la hauteur de la prétention de son réalisateur. Poussif et tristement auteurisant.

Le Havre du Havre : Lumineux

Mais si 38 témoins boit la tasse dans le port, Le Havre prend son contre-pied absolu. Pourtant Alex Kaurismaki aussi a une thèse à défendre. Sa charge sur la situation des réfugiés en zone de stand-by est aussi douloureuse que celle de Belvaux sur la lâcheté ordinaire. La ville sert d’ailleurs pareillement de fond d’écran à la misère sociale. Mais là où le réalisateur belge se fourvoyait dans la grisaille de son histoire et la pesanteur de sa démonstration, Le Havre décolle avec une tonalité poétique proprement vivifiante. Quand on étouffait chez Belvaux, on vit chez Kaurismaki. Quand l’un nous offre une esquisse de ce qui se fait de plus caricatural dans les films d’auteurs, le Finlandais survole son sujet, comme touché par la grâce.

Face au jeu figé, superficiellement énigmatique et particulièrement fade des témoins havrais, les acteurs de Le Havre ont du chien, une identité, un goût. La photographie de cette histoire contemporaine est proprement magnifique. Tout rappelle le cinéma des années 60, quand le film de Belvaux nous raconte une histoire des années 60 avec un ton si contemporain qu’il lui fait perdre son authenticité. Le jeu de miroir entre les deux film est tellement défavorable au Belge que s’en est gênant. Aérien, Kaurismaki met en image son scénario avec les certitudes de ceux qui ne veulent pas en mettre plein la figure à leurs spectateurs, mais avant tout leur raconter une histoire. Sa thèse, il la fait passer après son film. Et c’est-ce qui la rend tellement virtuose, quand celle qui se voulait intellectuelle sonne lourdingue ? La magie résonne dans chaque dialogue, chaque confrontation, chargée d’une humanité qui sonne tellement plus juste que l’inhumanité caricaturale des 38 témoins de pacotille. Au final, Le Havre est une démonstration de force magnifique qui vous tord les boyaux.

En bref : Comme les deux faces d’une même pièce, 38 témoins et Le Havre, en prenant pour décor la ville portuaire la moins sexy de France, semblent danser un tango mortel pour le premier. En effet, avec son côté réaliste cru, moralisateur, sur-signifiant, Belvaux avance sa thèse de petit bourgeois dans un film aussi laid que ses personnages, et au bout du compte aussi peu crédible. Quand Kaurismaki ancre sa caméra dans le cinéma français le mieux ourlé pour raconter sous la forme d’un poème, l’horreur de la situation des rapatriés. De la thèse du premier, on ne retient rien, si ce n’est une bouillasse mal tenue et déstructurée. Du second, que l’inhumanité du pouvoir doit être combattue par tous les moyens, et que le cinéma peut en être un d’une redoutable efficacité. Brillant.


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire