Réalisateur : Jeff Nichols
Avec : Michael Shannon (II), Jessica Chastain, Tova Stewart
Année : 2011
2012 commence donc comme l’année 2011 s’était clôturée : sur un air d’apocalypse. Il faut écrire que tout semble foutre le camp, dans une perte de sens absolue, comme si la société de consommation abêtissante dans laquelle nous baignons du soir au matin était en passe de finir son grand œuvre : la perte de tout les repères en version universelle. C’est donc dans une unité thématique proprement hallucinante que les créateurs les plus divers se croisent sans s’être concertés pour raconter la finitude des choses. L’âpreté des temps modernes. Et notre impuissance pathétique à les aborder de front.
Triptyque de malheur
Evidemment, Frank Zito ne parle pas ici de 2012, pur
produit de l’abrutissement généralisé précité sur fond de sauce Maya. Non pas.
Il se souvient surtout avoir été fauché par le terrible Mélancholia, la bombe de
Lars Von Trier, et accessoirement plus gros morceau cinématographique de l’année
passée. Film anxiogène par excellence, il racontait aussi bien notre suffisance
que notre incroyable faiblesse devant un changement d’échelle assourdissant.
Démonstration douloureuse, confirmée par Habemus Papam qui décortique le ridicule de la religion,
incapable au début du troisième millénaire de répondre à une population perdue.
Sans voix, infantilisé, le nouveau pape s’effondre lamentablement devant
l’ampleur de son rôle, et les limites de son pouvoir. Le sol se fait fuyant,
Nanni Moretti filme le dérisoire et nous fait comprendre que des valeurs
cardinales, il ne reste que des cendres. Grotesque et visionnaire. Les religions
ne sont que bouffonneries, croyances à ranger au côté des politiques agonisantes
que personne ne semble plus être en mesure de conduire. Bref, on sonne le tocsin
de la fin des illusions.
Take
Shelter débarquait en début d'année comme pour conclure un triptyque conceptuel. Dès les premières images, l’ambiance
respire l’anéantissement de la seconde partie de Melancholia.
L’existence ne semble être qu’une mascarade, un vernis qui craquelle pour
laisser place au vide intersidéral. A l’image de Justine, Curtis Laforce a des
visions. La réalité, qui semblait douce hier, prend un tour inquiétant. Tout ce
qui l’entoure semble vicié. La révélation du mensonge est total. Comme ces
orages dont il est difficile de savoir s’ils n’existent que dans sa tête, ou
s’ils sont bien porteurs d‘un cataclysme épouvantable. Pour instaurer le
malaise, Jeff Nichols ne mise pas sur le spectaculaire, mais plutôt sur le
contre champs invisible, ce ciel inoffensif vu au travers du regard tourmenté de
Michael Shannon (II). La campagne de l‘Ohio, plate, découverte, laisse place à
un horizon qui se recroqueville au fil du temps sur Curtis LaForce et sa
famille, comme un étau qui se resserre, comprime l’espace jusqu’à son point le
plus oppressant, cet abri pour tempête, béance humide au cœur d’une pelouse
verdoyante, seul espoir d’un homme qui ne peut plus affronter
l’avenir.
No future
Car, comme pour ses grands prédécesseurs, la fin des certitudes s’abat avec
une brutalité rare sur la tête de ce bon père de famille croyant et travailleur.
Miné par des cauchemars récurrents, celui-ci perd le sens commun des réalités
pour s’harnacher à son seul espoir, cet abri sous terrain déraisonnablement
cher, qui risque de lui coûter ses amis, son travail et sa famille. Mais quelle
alternative ? Le monde s’écroule sous ses yeux, comme incarné par des parodies
d’être humains jouant un rôle auquel ils ne croient pas. Les psychologues sont
d’impuissants fonctionnaires, la médecine inabordable, la religion réduite à sa
tradition de kermesse dominicale, jusqu’à la cellule familiale la plus intime,
qui loin de la fusion attendue, laisse une impression glaciale de rapports
humains acceptés par défauts. Le métiers se perdent du jour au lendemain, les
proches réagissent comme des inconnus dès les premiers doutes, les dettes
attendent comme les chiens l’occasion de mordre la main de leur maître. Rien
n’est stable, tout est sable mouvant, et la seule chance de ne pas couler est de
se terrer dans un trou et d’espérer que cela passe.
Michael Shannon incarne parfaitement cet état second. Son visage étrange, qui
supporte très mal le surjeu -à l’image de sa prestation borderline dans Bug- apporte
ici ce décalage qui rend vraisemblable l’incoercible. Le regard qu’il pose sur
chaque chose l’anéantit. Le futur n’est que souffrance et idée fixe. A travers
son mutisme et sa maîtrise apparente, il s’effiloche au fil du métrage jusqu’à
finir par paraître dément et capable de tout. Mais il le fait par strates.
Posément. Inéluctablement. Comme Christopher Walken dans Dead Zone, l’acteur porte ici son personnage avec une telle
force qu’on n’imagine personne à sa place. Et pourtant, on s’y identifie tous.
Car le monde que ce film nous dépeint semble bien être celui dans lequel nous
vivons, celui où la gangrène du doute a tellement vérolé les institutions
religieuses, économiques ou écologiques qu’il ne nous reste plus rien sur quoi
s’appuyer. Si Mélancholia et Habemus Papam nous le démontraient à grande
échelle, Jef Nichols s’attache à nous faire comprendre qu’il y a encore pire que
ne plus faire confiance aux autres : c’est de ne même plus avoir confiance en
soi même. Game over.
En bref : Avec son regard intense qui rappelle les plus
belles heures de Christopher Walken, Michael Shannon scrute un horizon
anxiogène. Dans ces temps difficiles, où tout ce qui était certain la veille ne
semble plus être qu’une pathétique mascarade, Jeff Nichols apporte sa pierre à
l’édifice désenchanté de l’air du temps. Avec brio, et sous un style
auteurisant, il nous dépeint la fin d’un monde dans une atmosphère oppressante
et paranoïaque. Miné de l’intérieur, méfiant envers et contre tous, Curtis
Laforce sent bien que les choses ne tournent pas rond, que l’avenir est barré.
Comme nous, il en est réduit à espérer que le ciel ne lui tombe pas sur la tête.
Une espoir aussi égoïste que pathétique. Take shelter se pose comme une
démonstration magnifique et désespérée qui nous laisse à penser que la fin est
proche. Très proche.
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