mercredi 15 février 2012

Ciné : La taupe



Réal : Tomas Alfredson

Avec : Gary Oldman, Mark Strong, John Hurt

Rien de mieux lorsqu’il gèle sur la Côte d’Azur que de prendre un bon grog au coin du feu, à peine adouci par une lichette de miel. Le regard perdu dans le vague, une couverture sur les épaules, un roman sur les genoux, des demi-lunes à portée de main. L’extase en charentaise. Et bien bonne nouvelle pour tous les allergiques au rhum ou à la sénescence anticipée, se trouve à l’affiche un film qui possède toutes les vertus cardinales précitées, ce qui, à la grâce de la vague de froid qui traverse la France depuis la Sibérie, devrait lui assurer un succès aussi immédiat que salutaire.

Paranoïa bureaucratique

Old fashion dans le style et les décors, chiadés comme dans les plus belles superproductions d’époque, vous n’y trouverez pas d’effet de manche visuel, de caméra qui gesticule, de fondu spectaculaire prompt à vous bousculer la rétine. La taupe se veut un classique spy-movie, dans la plus pure tradition. Pour se faire, Thomas Alfredson nous la joue feutrée jusqu’au bout des ongles. Le réalisateur du phénoménal Morse, déjà un voyage dans l’histoire récente du cinéma horrifique par le biais d’un scénario très accès sur la caractérisation de ses personnages, met en scène l’administration d’Etat avec un savoir faire de vieux Lord britannique. Sous son regard, les services secrets se montrent aussi asphyxiants que peu glamours. On est plus proche de Brazil et sa bureaucratie au bord de la crise de nerf que de la saga Jason Bourne. Et l’on ne va pas s’en plaindre, loin s’en faut.

Car là où les adaptations de Ludlum viraient branquignoles, abruties par une mise en scène au modernisme tapageur qui vous donnait immédiatement envie de fuir les livres de son créateur, John Le Carré ressort grandi par sa Taupe. Mieux, le film agit comme une sorte de roman d’espionnage idéal, dont les pages se tournent confortablement, qui infusent méthodiquement leur paranoïa sous fond de guerre froide. La violence bureaucratique, impersonnelle, souterraine et impitoyable, si chère à Le Carré, transpire dans chaque plan de La Taupe qui déroule son intrigue dans un tour d’Europe qui mènera ses protagonistes de Budapest au Kremlin, en passant par Paris, Istanbul et la Mer noire. La structure en flash back fonctionne parfaitement, et l’on ne reviendra pas sur l’excellence du casting, en tout point à la hauteur de l’enjeu, avec ses tics d’Actor Studio très seventies. Gary Oldman, John Hurt, Toby Jones, Colin Firth, tous semblent au sommet de leur art en incarnant cette galerie d’espions comme autant de tronches de faux-culs qui brouillent, de par leurs seuls traits, toutes les pistes misent à notre disposition.

Une légère odeur de naphtaline

Toutefois, si la Taupe est un vrai bon film, bien foutu, sans fausse note, il souffre tout de même de son austérité volontaire. D’abord dans le choix de ce monochrome marron sépia qui imprègne chaque page de l’histoire contée, dans une unité de couleur qui sent le renfermé, le vieux cigare, la pisse même parfois. Justifié, cela reste un choix qui, au lieu de faire Dandy, comme pouvait le laisser penser la présence du couturier Paul Smith aux manettes, vire quand même un peu brocante.

D’ailleurs, de brocante, il est souvent question dans cette reconstitution tellement soignée qu’elle vire par moment carte postale. Les pays visités sentent parfois le cheptels de voitures de collection. Les vêtements faussement anciens semblent un peu trop propres sur eux, harmonieux, coordonnés. Tous comme les bureaux surchargés non par la vie, mais par des décoratrices d’intérieur maniaques. Le perfectionnisme de La Taupe est en fait son principal défaut. Rien ne dépasse, tout est à sa place, bien ordonné, le pli finement rangé, le cheveux parfaitement travaillé, bref, la machine par moment s’enraille au profit de son dispositif écrasant. Aussi au moment de décoller, le film se surprend à ronronner dans son confort pour terminer son voyage rassurant sur un rythme de sénateur qu’il n’aura jamais perdu. C’est le seul point qui le sépare de ses grand aînés et l’empêche in-extremis de se hisser à leur niveau.

En bref :
Thomas Alfredson aux manettes d’un John Le Carré movie, ça avait de la gueule. Et il faut bien dire que le résultat ne déçoit pas. Le réalisateur suédois apporte tout son sérieux et son ascétisme à cette histoire d’espionnage rocambolesque, farcie jusqu’à la garde d’agents doubles, d’Opération sorcière et de Fonds Reptile. Mais dans sa volonté de coller de près à une réalité de l’époque, ses services secrets d’état gérés comme n’importe quel service administratif, avec ses vanité, sa hiérarchie et sa paranoïa, la Taupe oublie parfois de respirer. Millimétrée, la reconstitution est par moment aussi suffocante que l’histoire, sentant parfois le formol synthétique. Pourtant le film d’Alfredson est loin d’être un échec, avec sa vraie bonne histoire, sa réalisation classique et éthérée, et son casting à la hauteur, il reste tout de même symbolisé par les lunettes grosses montures de Gary Oldman, authentiques au point de parfois révéler ce qu’elles sont : un accessoire.


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