mercredi 29 février 2012

Sortie DVD : Le secret de la Licorne


Réal : Steven Spielberg

Avec : Jamie Bell, Andy Serkis, Daniel Craig

Après Tintin dans ton Happy Meal, Peugeot 5008 pour Sydney, Pitch en stock, Total au pays de l’or noir, Objectif : promo chez Carrefour et les sept boules Obut de cristal, c’était un peu la soupe à la grimace, chez les Zito. Raz le cul de Tintin au pays du partenariat version On a marché dans la merde. Pourtant l’unanimité derrière le film de Spielberg  par ce qui se fait de mieux comme presse en France avait fini par nous donner envie de nous déplacer quand même. Non pas pour se la jouer puristes qui viendraient maugréer contre le détournement de l’œuvre originale d’Hergé, mais pour admirer le masterpiece en Motion Capture du grand Spielberg, dont on vante le génie de l’Entertainment retrouvé. Armé de cette « technologie qui libère de la technologie », qu’allait faire l’ancien Golden boy ? Révolutionner le septième art ? Ou s’enliser plus encore dans l’ordinaire le plus mou ? Rejouer Les aventuriers de l’arche perdue ou nous importuner avec Le royaume du crâne de cristal ?  Arranger un filet mignon ou purger du boudin ? Et poser toutes ces questions, ne serait-ce pas déjà y répondre ?

Narration de fête foraine

C’est la tête toute retournée que nous sommes sortis de la salle obscure, d’abord la cause à cette 3D superflue et des lunettes de bigleux qu’elle implique, mais aussi à un degré de perplexité rarement atteint depuis la montée aux nues du terrifiant Titanic. Cette confusion ! La faute à une narration de tunnel, feu de paille qui brûle chaque image pour la remplacer immédiatement par une autre, forte ou pas, spectaculaire ou non, tout est magma, pâté, bouillabaisse trop copieuse qu’on dégueule dans le caniveau afin de se purger les neurones. Grosse fatigue, flonflon sonore, impression désagréable de fête foraine, tous les poncifs du genre sont là, bien présents. L’originalité est qu’ils côtoient également un certain plaisir, une beauté formelle parfois époustouflante, dont on aurait aimé qu’elle prenne plus le temps. Mais du temps, Tintin n’en a pas, il avance sans se retourner, saute d’histoire en histoire, mille saborde certaines scènes originelles dans sa course effrénée, à l'image du fabuleux delirium tremens d’Haddock qui se remémore son illustre ancêtre ici dévalué, pour inventer certaines situation pertinentes, la Castafiore utilisée pour libérer la troisième licorne de son écrin pare balle. Les séquences s’enchaînent si vite qu’on a la désagréable impression qu’elles se superposent. La cuisine est riche, et pas toujours de bon goût. On est tout de même plus près de Disneyland que de Hergé, quand bien même l’hommage réserve de belles surprises.

Pourtant rien à dire au niveau de la mise en forme des personnages. Différent de ceux d’Hergé, ils n’indisposent pas, même si Tintin a un strabisme qui, lorsqu’il pense, lui donne un air de demeuré et que Saccarine, devenu Rackham Le Rouge à la grâce d’une passerelle narrative trans-album, fait un bad guy bien contemporain, qui rappelle plus le Docteur No que Rastapopoulos. Bref, c’est un gloubiboulga régressif assumé qui ne viole tout de même pas le matériaux d’origine au point de le laisser exsangue. Mais si la mode est à mettre en valeur la motion capture, à en ériger doctement la révolution qu’elle implique (voir pour cela le superbe article de Rafik Djoumi dans arrêt sur image (lien payant), la plus value technique ne saute pas aussi évidemment aux yeux que cela.

Révolutionnaire ou blockbustaire ?

Sûr que cette révolution technologique est un sujet passionnant, et très bien défendu par des journalistes passionnés, mais même si nous ne doutons pas de la mutation à venir, Tintin nous rappelle qu’on en est encore à ses balbutiements, tant l'innovation ne saute pas aux yeux. Et ce n’est pas la volonté chevillée au corps d’avoir tout compris avant tout le monde qui brûle certains de ces geeks du cinéma particulièrement informés et compétents, qui y changera quoi que ce soit : la motion capture utilisée par Spielberg reste encore un gadget surcoté, qui fait le pont entre la cinématique de jeu vidéo et le cinéma, mais n’apporte rien ou si peu en terme de spectacle, que ne pourrait apporter l’animation ou le live. L’hybride, avec le secret de la Licorne, n’a pas encore trouvé sa valeur étalon.

Reste que certaines performances d’acteurs sont exemplaires, comme celle de Haddock par le pionnier Andy Serkis, là où d’autres restent empruntées et disgracieuses, Nick Frost et Simon Pegg à côté de la plaque dans le rôle des Dupont et Dupond. Pas assez intéressant pour damer le pion à l’animation traditionnelle, pas assez précis pour ne pas donner une impression théâtrale grossière, on ne peut pas dire que la révolution se trouve dans l’acting, à peine à la hauteur de l’enjeu. Et en ce qui concerne la réalisation, difficile de crier au génie. Oui, la caméra est libre de tout mouvement et la suite de scènes d’action spectaculaire. Mais au delà de l'enjeu technique, tout cela est-il mémorable ? En parlera-t-on dans les années à venir, trouvera-t-on cette surenchère vraiment novatrice, ou plus proche de l’accumulation de spectacle, type Michael Bay, un peu vaine. Accumulation qui étouffe l’histoire au point de la rendre aussi superflue que secondaire. Tout est mouvement dans Tintin, mais quid de la caractérisation des personnages ? Bref, loin d’être le monument annoncé, Tintin démêle le Secret de la Licorne dans l’indifférence générale, et laisse au spectateur le goût plaisant ou amer d’un grand huit furieux et un peu foireux.

En bref : Grosse déception pour le secret de la Licorne qui fatigue plus qu’il n’emballe, et laisse perplexe quand à son caractère révolutionnaire. Non, la motion capture n’a pas encore trouvé son mentor, pas plus que nous n’avons retrouvé le Spielberg de notre jeunesse. Reste des moments d’une grande fulgurance, mais pris dans la montagne russe d’une narration hystérique qui brûle tout sur son passage, ils se noient avec l’histoire dans une gesticulation permanente très éloignée de l'esprit d'enquête du petit reporter. Ne reste de tout cela qu’une impression assez distanciée et superficielle, propres aux blockbusters traditionnels. Un comble pour un procédé révolutionnaire. Éreintant.
 
 

lundi 27 février 2012

Bulle : Bakuman


Par : Tsugumi Ohba et Takeshi Obata

Histoire : Deux garçons veulent devenir mangakas, une route très difficile qui peut apporter une gloire à laquelle seule une poignée de personnes a accès. Voici l’histoire de Moritaka Mashiro, très doué pour le dessin, et d’Akito Takagi, doté d’aptitudes supérieure pour l’écriture, qui vont créer une nouvelle légende dans le monde des mangas.

Auteurs du manga à succès Death Note, Tsugumi Ohba et Takeshi Obata ont pris un virage en aiguille pour accoucher d’une singulière série à l’ambition démesurée : décrire l’arrière cuisine du métier de Mangaka dans un format dont on aurait pu croire qu’il n’intéresserait pas le public visé. Car les deux auteurs n’y vont pas avec le dos de la cuillère. La mise en abime est ambitieuse, le réalisme absolu, quasi documentaire. Aucun rouage des coulisses ne nous est épargné de cet univers ultra codifié et réglementé qu’est le manga, feuilleton qui joue sa vie chaque semaine en sollicitant le vote positif des lecteurs de magazines. Compétition féroce, exigence de tous les instants, révélations loin d’être rock’roll sur un métier proche du sacerdoce, Bakuman ne nous épargne rien des réunions de rédaction, des compromissions, des échecs et du doute qui parsèment l’existence de celui qui veut se lancer dans cette carrière.

Meta-manga par excellence, Bakuman révèle en temps réel, toutes les stratégies mises en place pour survivre et se hisser au top avec une série. Au fil des épisodes, toutes les recettes utilisées prennent naturellement place dans le cadre même de leur œuvre. Plus d’action par ci, bascule vers le gag-manga par là, qu’il s’agisse de pousser sur le romantisme ou de simplifier le trait, Bakuman, révèle en permanence ses intentions. Il apparaît comme une sorte de Blob sur planche qui mute selon les intentions de vote pour grandir et être plus fort, se nourrir de ses erreurs pour avancer. Pour cela des personnages apparaissent ou sortent du jeu, des situations dramatiques sont volontairement surlignées, le suspense artificiellement gonflé, chaque semaine apportant son lot de péripéties fictives, tout en maintenant un haut niveau d’exigence documentaire.


Car lire Bakuman, c’est s’initier à vitesse grand V à tout l’univers du Shonen, à ses némus qui servent d’hypothèse de travail, ses genres extrêmement codifiés dont on comprend soudain les enjeux jusqu’alors insoupçonnés. C’est aussi l’explication brillante de la relative médiocrité de l’univers des mangas, dont les auteurs talentueux peuvent se trouver bridés par cette normalisation pour jeunes adultes, ultra calibrée, cette évolution soumise au diktat des lecteurs comme ces émissions télé à l’état sénile devant la toute puissance de l’audimat. Le risque d’aseptisation est là, à chaque page, et c’est aussi ce combat que mènent les auteurs dans Bakuman : sortir le plus possible d’une histoire d’amour bancale, à la naïveté presque stupide, pour maintenir un niveau d’exigence qui frôle l’intransigeance. On apprend tout des effets sonores, des arrières plans, du calibrage des plumes, du fait que la narration doive se faire à travers le dessin, tout en suivant cette passion un peu faible entre le héros et sa dulcinée, propre à conserver l’attention des plus jeunes, mais n’étant finalement que le décor d’un univers aux intentions beaucoup plus abouties.

En bref :  Méta-Manga qui peut servir d’introduction à cet univers que l’on pourrait trop vite croire cantonné à l’adolescence boutonneuse, Bakuman est un exercice de style proprement hallucinant. Et si, comme tous les autres mangas, il lui arrive de tirer à la ligne, cela s’avère ici toujours passionnant, car ce travers est justifié par son scénario même. Mise en abime stupéfiante, il intègre à un titre somme toute classique tellement de pastilles éclairantes qu’on se demande ce qui pourrait venir interrompre cette nouvelle légende dans le monde des mangas. Passionnant et instructif.

samedi 25 février 2012

Contre-courant : The artist


Réalisation : Michel Hazanavicius

Avec : Jean Dujardin, Bérénice Bejo, John Goodman

Année : 2011

Pas la peine d’ergoter sur les qualités de The Artist, elles sont louées en long, en large et en travers d’une presse l’autre. Un bon film en noir et blanc, muet, avec en tête de gondole un Jean Dujardin de gala, voilà ce qu’est exactement le film de Michel Hazanavicius. Ni plus, ni moins. Et loin de nous l’envie de nier le plaisir pris lors de la projection, car The Artist est un film bien foutu, qui n’ennuie jamais, charme de par ses décors, son interprétation et son anachronisme cinéphile, là où les OSS du même Hazanavicius n’étaient qu’une succession ininterrompue de saynètes plus ou moins drôles (souvent moins) parodiant un genre plus que le copiant servilement.

Et c’est à ce moment que Frank Zito se dégage de la mêlée courtisane pour en venir aux mains. Car si The Artist peut se vivre comme le nouvel Amélie Poulain, c’est-à-dire une grosse production française qui mise tout ou presque dans une mise en forme "décalée" (si tant est que cela veuille encore dire quelque chose) en rapport aux canons de productions du moment, qui met en scène des personnages immédiatement attachants et se pose comme un film à vocation populaire mais pas putassier, il y a tout de même un monde entre ces constats d’évidence et la naissance d’un chef d’œuvre qui a failli arracher la palme d’or au dernier festival de Cannes. Car le clap de fin donné, The Artist disparaît de la mémoire, s’évapore aussi brusquement qu’un mirage en plein désert, certes agréable, mais qui n’aura jamais véritablement étanché la soif, loin s’en faut.

La faute à la nature même du film qui, au fond, n’est que l’œuvre appliquée d’un copiste. Pour sûr, tout y est accompli dans les règles de l’art, l’équilibre dramatique y est respecté, les cartons parfaitement posés, le décalque finement travaillé. On imagine le réalisateur et son équipe plongés durant des mois dans les archives pour s’y repaitre de Fairbanks, Chaplin, Lubitsch, Wilder et Lang. Et le rendu est effectivement quasi parfait. Seulement quel sens donner à tout cela ? Un sens artistique quand un tel travail d’antiquaire semble plus relever de la déférence laborieuse, voire de l’absence même de personnalité. Hazanavicius, sans aucun doute, y fait mieux que lors de ses précédents efforts, la faute, serait-on tenté de croire, à un cinéma copié de plus grande valeur, d’une plus grande exigence. Mais en soi, quelle patte apporte-t-il à tout cela ? Quelle audace à remettre le couvert de l’éternel duplicata ? Quel plaisir, au-delà de celui de la pure reconstitution méticuleuse ? Film muet fait à l’ancienne, avec les mêmes moyens de production pharaoniques, les mêmes étoiles, il est surtout une machine de guerre produite pour ce même public de masse que draguait naguère Jeunet avec son Amélie : un public unanimement enthousiaste devant l’industrie triomphante, un public de musée empoussiéré, le public rêvé de The Artist : celui qui trouve en toutes circonstances et à tout propos que c’était mieux avant…
 
En bref : Si Frank Zito, au fond, n’a pas grand-chose à dire sur The Artist, film agréable incarné par l’un des acteurs les plus plaisants du cinéma hexagonal, il a beaucoup à redire sur la démarche et la réception même du film. Car là où l’on peut se féliciter de trouver dans les salles une bobine grand public de qualité, il semble exagéré d’essayer d’en faire une œuvre hors du commun. Fac-similé soutenu par un producteur audacieux, au sens des affaires aiguisé, The Artist mérite autant les louanges qui s’abattent sur lui que la Tour Eiffel en allumettes réalisée par François Pignon. De la même manière, on peu trouver le travail impeccable, mais ici comme dans le dîner de con, cela reste une miniature qui s’essaye à représenter un monde plus grand que lui. Très bon quand même.

jeudi 23 février 2012

Néo-grindhouse : Machete

  
Réalisation : Robert Rodriguez, Ethan Maniquis

Avec : Danny Trejo, Michelle Rodriguez, Jessica Alba

Année : 2010

Rejeton involontaire du projet Grindhouse, qui avait vu Tarantino et Rodriguez rendre hommage aux film d'exploitation dans Boulevard de la mort et Planète terreur, Machete était l’occasion pour Robert Rodriguez de retrouver l’univers sévèrement burné du cinéma grindhouse des années 70, avec pour point de départ une bande annonce décomplexée tournée pour l'occasion, et l’inénarrable Danny Trejo en tête de gondole.

Mais là où son pote Tarantino développe une démarche cinéphile, avec le recul qu’elle suppose, Rodriguez fonce tête baissée, comme un taureau excité par une cape rouge agitée devant ces naseaux fumants. Autonome, il shoote ses films sans aucune contrainte, dans une ambiance cheap et décontractée qui emporte tout sur son passage. Méthode excitante qui lui permet de tirer le meilleur parti d'un casting de baroudeur qui en a pourtant vu beaucoup d'autres, et qui donne tout son relief à un projet aussi basique. Jeff Fahey s'y révèle d'ailleurs d'une épaisseur insoupçonnée, tout comme Steven Seagal qui y apparait pour la première fois depuis des lustres en pleine lumière. Exempts les filtres grossiers qui cachent la baderne qu’il est devenu. Magie de l’enthousiasme de Rodriguez !

Sexe, buritos et rock'n'roll


Car chez le texan comme chez Mocky, on aime les gueules cassées, vérolées, burinées, exit botox et chirurgie esthétique, bonjour rictus et tronches minées à l’excès. Un film de Rodriguez, ça sent les burnes, l’huile de vidange, la graisse de Buritos et la vieille sueur. Ca saigne aussi beaucoup, et Rodriguez est peut-être le seul à savoir mêler aussi efficacement aujourd’hui CGI et effets old-school. Pour mieux souligner cette performance il se paye à nouveau le luxe d’inviter le pape des SFX de genre, Tom Savini, dans le rôle monosyllabique d’Osiris Ampanpour. Don jonhson, lui, ressemble à Elvis version fin de carrière. Pourri jusqu’à la moelle, l'ex-idole de Deux flics à Miami semble prendre son pied à chaque prise. Et que dire de Robert de Niro, qui enfile depuis maintenant vingt ans les tournages sans saveur comme Seagal les saucisses apéritifs, et qui ici, en se caricaturant à l’extrême, retrouve une étincelle dans le regard, de celle qu’on pensait perdue à jamais.

Et si l'ensemble sent fort les hormones mâles, Rodriguez n’oublie pas d’intégrer à son incroyable délire fétishiste une galerie d’actrices plus customisées les unes que les autres, les travestissant ici en Che Guevara, là en nonne, dans une ambiance de boîte de striptease qui serait tombée dans les mains des entraîneuses. Personne n’est net, dans Machette. Tout semble dégueulasse, et pourtant, c’est de la fiente qu’émerge le héros de tous les temps, l’incroyable Dany Trejo, acteur épouvantable, mais gueule de cauchemar, que Rodriguez, qui ne renouvelle pas l’erreur de Prédator, limite ici à une expression dans laquelle se projette tout les fantasmes des spectateurs. D’aucun diront que le film est un peu vain. Peut-être ? Mais a-t-on vu souvent, dans l’histoire du cinéma, des pellicules aussi déviantes et jouissives que celles-ci. Avec des acteurs qui mouillent le débardeur, sans se soucier de leur image ?… De toute façon, Rodriguez s’en fout. Il avance droit dans ses bottes, accompagné de son univers branquignol, et conduit ses films comme son héros les grosses cylindrées, écrasant les pisse froids sur son passage, et entraînant avec lui tous les autres, dans un gros son root's de rock’n’roll qui tache...

mercredi 22 février 2012

Video-club express : Le lac des morts vivants


Réalisation : J A Lazer (Jean Rollin)

Avec : Anouchka, Antonio Mayans, Youri Radionow

Année : 1980

Incroyable Jean Rollin ! Le réalisateur, décédé il y a peu, était un des rares capable de donner envie de défendre l'indéfendable. Des titres aussi insolites que Les raisins de la mort ou La nuit des horloges, aux fulgurances magnifiques égarées dans d’interminables plans à la magie incertaine. Mais Le lac des morts-vivants, quand même… Il faut confesser que Jean Rollin ne l'assumait pas pleinement, signant d'un pseudo exotique -J A Lazer- cette pourtant bien franchouillarde pellicule, production Eurociné de sinistre mémoire. Et on ne lui donnera pas tord, car de Jean Rollin, il n'y a point dans ce navet cosmique. Exit la langueur troublante au profit d'un pénible sur place. Pas de lyrisme, mais du je-m'en-foutisme. Et ce montage dyslexique ! Un poème. Les zombies sortent du lac en boucle, grimacent sur la place du village, un instant avant de gesticuler au bord de l'eau, à un kilomètre de là. D'un plan l'autre ils sont seul, trois, douze... En attendant il fait nuit, jour, jour, nuit dans le désordre le plus invraisemblable...

Impensable bobine à la photographie ignoble, au scénario irresponsable et à l'érotisme tristounet. Paradoxalement, on y trouve tout ce que les critiques reprochent traditionnellement à Jean Rollin. L'amateurisme total, la nullité de chaque plan, la bêtise intersidérale d'une histoire qu'évidemment sa mise en scène ne vient pas sauver. Et c'est peut-être là que se niche l’intérêt majeur du Lac des morts-vivants : le fait de nous permettre justement de toucher les différences palpables qui existent entre cette coquille vide de commande et les œuvres signées par le réalisateur, habitées, elles, d'une certaine poésie, d'un art assumé du plan qui fascine, d'un ridicule fauché qui attire la tendresse et l'indulgence. Un film à voir donc, dans l'optique soit de rire un bon coup en suivant cet improbable roman photo sur les difficultés d’assumer son rôle de père dans la France profonde quand on est un zombie nazi amphibie, soit de mieux comprendre, par son absence même, l’essence du cinéma de Jean Rollin.

mardi 21 février 2012

Vidéo-club : Insidious


Réalisation : James Wan

Avec : Patrick Wilson, Rose Byrne, Ty Simpkins



La trame est connue : une famille bien sous tous rapports, aménage dans une nouvelle demeure. Las, celle-ci est percluse de phénomènes paranormaux, aussi en lieu et place des jours heureux, les Lambert vont passer à la moulinette de la terreur domestique version Amityville. Vu, déjà vu, archi vu, le modèle, visiblement exempt de copyright, vient de titiller à nouveau la tirelire du cinéma mondial avec Paranormal Activity, autant dire que dans les tuyaux du tout Hollywood traînent des dizaines de scripts de maisons hantées dont l’aspiration première est évidement l’espoir d’un retour juteux sur investissement…

Toutefois, le projet était ici initié par James Wan, dont on ne peut nier la déférence au genre, prouvée non pas avec le succès galactique de Saw, mais bien avec le sympathique et scolaire Dead Silence, et l’incroyable Death Sentence, deux bobines fleurant bon le cinéma à la papa, dans lesquels Wan démontrait des qualités de réalisation plutôt au dessus de la moyenne. Bref, la sortie d’Insidious, avec sa réputation de film de trouille et son pédigrée racé, se faisait désirer. Et comme une bonne nouvelle n‘arrive jamais seule, il s’avère être tout ce qui a été dit et écrit partout, en mieux même...

Le film évoque une histoire de maison hantée qui dérape en son cœur pour s’aventurer dans des contrées fantastiques plus démonstratives, et finir dans un délire de galerie de monstres assez jubilatoire. Wan reprend tous les poncifs du genre avec le sérieux d’un premier de la classe. L’image est particulièrement léchée, et les effets sonores et optiques s’enchaînent dans un crescendo implacable. L’affaire, rondement menée, et d’ailleurs exécutée par un casting parfait, aidé par des dialogues moins creux que d’habitude. Wan en profite pour régurgiter avec un certain talent toutes ses références, nourrissant son script de sa cinéphilie pour donner à l’ensemble une touche plus intime.

En cela, il serait à rapprocher de cette génération de bidouilleurs de génie qui s’amusent à faire revivre leur cinéma d’adolescent dans des films de genre à voir comme des revivals inspirés. Mais à la différence d’un Rodriguez bordélique que rend génial son caractère free lance, James Wan est un élève discipliné, pas du tout le genre à traîner au fond de la classe, près du radiateur, mais plutôt à offrir son goûter à sa maitresse dans l’espoir de récolter un bon point. Sa personnalité faisant la qualité première de sa réalisation, ainsi que son principal défaut : un classicisme formel hors du temps et appliqué. Loin des gesticulations de caméra inutiles, il calibre chaque mouvement, lui donne un sens, une fonction, rien n’étant laissé au hasard dans ce film plein comme un œuf. Mieux même, Insidious avance presque scientifiquement, selon des recettes maîtrisées, et fonctionne à la perfection.

Grincement, claquement de porte, déplacement d’objets, râles et murmures, Insidious recycle tout, avant de déraper à la grâce d’une séance de spiritisme de dingue, avec masque à gaz, projection astrale, univers superposés et chasseurs de fantômes. Les éléments s’emboîtent sur le fil malgré le risque d’embardée dû à une succession de scènes incroyables qui manquent parfois de liant. Mais Wan réussit son tour de force, et nous fait sursauter sans pour autant en oublier de raconter son histoire. Old school, mais parfaitement de son temps, Insidious prouve que si James Wan n’est pas un cinéaste majeur, il se place comme l’un des plus grands héritiers du cinéma de genre 80’s, de ceux qui arrivent à faire low-cost de véritables bombes qui donnent l’impression d’avoir couté dix fois plus cher, quand de grosses machines tentent vainement de se donner des airs de série B avec leurs budgets pharaoniques. Assurément l’un des meilleurs faiseurs de sa génération.

En bref : Insidious régurgite avec un certain talent toutes ses influences, d’Amityville à Poltergeist, en passant par le cinéma plus exigeant visuellement de Kubrick ou Shyamalan. De la sobriété au grand guignol, tout y est parfaitement maitrisé, et si l’histoire sent le renfermé, le script s'avère assez osé pour rendre ce recyclage stimulant. Passionné, James Wan en profite pour remettre à jour un scénar éculé qu’on ne croyait plus capable de foutre la trouille, et trousse une série B de première bourre, malgré son caractère parfois un peu trop scolaire. Une tuerie.


samedi 18 février 2012

Avant première : Chronicle


Réal : Josh Trank

Avec : Dane DeHaan, Alex Russell, Michael B. Jordan


Année : 2012

C’est assez confiants que nous sommes partis à bord de la Zito’s mobile afin d’assister à l’avant première de Chronicle, film auréolé d’une jolie réputation, qui débarque sur les écrans français la semaine prochaine. Bonne nouvelle : ce n’est pas une énième baudruche gonflée artificiellement à grands coups de buzz. Mauvaise nouvelle, c’est un épisode de plus dans  l’histoire du cinéma tourné à la première personne, qui se perd dans les méandres de son propre dispositif. Dommage, il aurait pu s’agir d’un des films de SF les plus monstrueux de ces dernières années. Finalement, cela restera un bon moment de passé. Ce qui n’est pas si mal.

Attaquons par le versant teen-movie, qui fonctionne à plein régime. Extrêmement crédible, le scénario évite les poncifs pour s’attarder sur trois lycéens qui acquièrent des pouvoirs psychiques après avoir été au contact d’une substance mystérieuse. La première partie est impressionnante, nous faisant basculer dans le quotidien d’Andrew, adolescent englué dans son mal être, et qui décide de filmer son existence pour pouvoir continuer à avancer. De brimades en violence, sa vie ressemble un peu à un enfer pour ado ayant raté le train de la popularité. Autant écrire que ces pouvoir télékinésiques tombent à point nommé dans son existence aux faux airs d’impasse glauque.

Sauf qu’à la différence de ses deux camarades, ce freak uniquement protégé de la vie par sa caméra n’est peut-être pas assez structuré pour pouvoir assimiler cette puissance dont il ne maîtrise pas le dessein. Josh Trank et Max Landis frappent juste. La crédibilité des situations associée au jeu de tout le casting, rend l’impossible tout à fait acceptable. D’où certainement cette volonté de tourner leur teen-movie dans le style Food-footage, à l’image d’aînés plus ou moins réussis (Blair Witch pour le plus ou Cloverfield pour le moins). Et c’est sur ce point que Chronicle rate une marche. De fait, l’utilité du dispositif est comme souvent, sujet à caution dès le début du film. Afin d’expliquer l’existence des images que nous voyons, nous devons en passer par les tunnels narratifs les plus stéréotypés. Ainsi toutes ces personnes croisées qui se sentent obligées de demander que l’on coupe la caméra, tout comme ces images tournées sans raison par ses amis lors de soirée, ces sempiternelles confessions qui sentent la loose, et ces grands écarts techniques pour varier les angles de vues. Au lieu de la légèreté espérée, il est clair que ce choix plombe un peu l’ambiance.


Pourtant, et malgré cette faute de goût, le métrage fonctionne bien, se fait parfois étonnant alors qu’il poursuit le chemin extrêmement balisé de tous les franchisés du « superpouvoir » . La première partie, celle de la découverte de leur potentiel, des premiers tests et des limites qu’ils induisent, roule sur du velours dans une ambiance Mysfits version pathos. Car ça ne rigole pas, dans Chronicle, loin de là. Autour des paillettes, de la gaité forcée du campus, Josh Trank dépeint parfaitement l’envers du décor, cette obligation faite de rires gras, d‘alcoolisation, d’intégration aux forceps sans quoi on prend le risque d’être marginalisé. La vie est dure, le monde brutal, sans concession, car la fiesta, vue par un Andrew enfermé dans son univers mental, écœure plus qu’elle n’attire. Superbe tour de force, qui vire dans son deuxième acte apocalypse, avec un final en déluge d’effets spéciaux particulièrement réussis.

Sauf qu’à cet instant, le réalisateur abandonne totalement le dispositif initial, au profit d’une mise en scène classique particulièrement efficace qu’on aurait aimé voir dès le début. Chronicle prend de l’ampleur, un souffle inattendu qui n’est pas sans rappeler le monstrueux Akira. Mais les choses vont soudain trop vite. Les évènements ne prennent pas le temps, comme s’il fallait se dépêcher d’en finir alors que le scénario en avait encore beaucoup sous la pédale. De Flamboyant, Chronicle se fait frustrant, avec sa durée rikiki pour une histoire qui méritait un développement plus approfondi. Le deuxième acte explose donc, comme un feu d’artifice, le temps de nous laisser sur les genoux, avec un goût de trop peu dans la bouche. Tristounet.

En bref : Vraie bonne surprise, avec son côté super pouvoir réaliste, Chronicle fait deux erreurs qui, si elles ne gâchent pas totalement le plaisir, en atténuent grandement la portée. D’abord dans le choix lourdingue du tournage à la première personne, qui plombe la narration sans vraiment apporter quoi que ce soit d’intéressant en échange, puis dans le développement finalement très sage d’un script qui portait en lui les germes du chef d’œuvre d’Ottomo : Akira. Entre enthousiasme et déception, Frank Zito a donc réintégré sa Zito’s mobile trois chevaux un peu chagriné, avec l’impression d’avoir assisté à la victoire sans forcer d’un athlète qui en a gardé beaucoup sous la semelle pour un prochain essai. A suivre donc…


vendredi 17 février 2012

Ciné express : El Chino



 Réalisation : Sébastian Borensztein

 Avec : Ricardo Darin, Ignacio Huang, Muriel Santa Ana

 Année : 2012

 Durée : 1h 40 ; Pays : Espagne/Argentine

El Chino, c’est le genre de film qui sent le pâté à des kilomètres. Une histoire bourrée de bons sentiments, celle d’un quincailler misanthrope et acariâtre qui recueille malgré lui un chinois en grosse difficulté. Le communiqué de presse fait d’ailleurs froid dans le dos : « C’est l’histoire insolite d’un Argentin et d’un Chinois unis par une vache tombée du ciel ! ». Immédiatement on imagine le topo: réalisation anonyme, gags éculés, ficelles scénaristiques grosses comme des gazoducs trans-sahariens, émotion facile et coulure de mièvrerie garanties producteur, jusque dans les chaussettes. Bref, le film que Frank Zito évite traditionnellement comme la peste.

Et pourtant il y est allé. Plus étonnant, il en est sorti sans la nausée tant attendue. Sûr, le film n’est pas brillant. Tous les poncifs prévus sont là. Le déroulement d’El Chino est aussi nul et prévisible qu’on le craignait. Pire même, il s’enorgueillit de CGI d’une laideur invraisemblable, depuis la fameuse vache tombée du ciel qui rappelle les effets spéciaux à la Jacquouille, jusqu’au décollage d’un avion de transport si toc qu’on croirait une cinématique de jeu vidéo discount. Une bouillasse visuelle qui fait tellement Tiers-Monde qu’on est incapable d’en comprendre la présence sur des écrans du XXIème siècle.

Oui mais voilà, il y a Ricardo Darin aux manettes, avec son bagage d’acteur incroyable et sa justesse hypnotisante. A la limite, du film, on peut ne rien en avoir à faire tant sa performance se suffit à elle-même. Jamais dans le mauvais tempo, malgré toutes les lourdeurs du scénario et de la réalisation, il donne à chaque plan une valeur insoupçonnée, esquissant ici un rictus, là appuyant son regard sur une situation, infimes impulsions qui battent la mesure de la pellicule. Tout en intériorité et en épaisseur, il aimante tout sur son passage, et surtout relève le niveau de ce qui semblait voué à un échec embarrassant. A son contact, le casting tête à claque s’illumine, essaye de se mettre au niveau, gravite autour de la bête de scène avec humilité pour se sauver du ridicule. Et ça marche. A lui seul, Ricardo Darin sauve donc El Chino du naufrage comme De Funes à ses plus belles heures. Peut-être le meilleur acteur en activité. Un monstre.



jeudi 16 février 2012

Lucarne : Dexter (Saison 5)


  
Créée par : James Manos Jr

Avec : Michael C. Hall, Jennifer Carpenter, Desmond Harrington

Alors que la saison 4 nous avait laissé sur les genoux, se clôturant sur l’assassinat de Rita par le Trinity Killer, que Dexter se retrouvait de-facto père célibataire d’une famille nombreuse, et que l’on avait appris la triste nouvelle du cancer de Michael C Hall, les interrogations sur la suite donnée à la série laissaient la porte ouverte à toutes sortes de suppositions. Et curieusement, c’est la seule à laquelle on avait pas pensé qui est arrivée : le déclin aussi soudain que radical d’une série qui semblait pourtant en avoir encore sous la semelle.


Dès le départ, Dexter s’empêtre dans ses contradictions : peut-il devenir un bon père ? Est-il fautif de n’avoir su protéger son épouse ? Devra-t-il continuer à tuer pour vivre ou vivre pour tuer ? Autant de questions révélatrices des doutes qui affectent les scénaristes de la série, celle-ci partant en vrille dès l’épisode 2, radotant sa narration comme un grabataire un peu gâteux ses récits de guerre. Dans une sorte de délire non-sensique, Dexter abandonne tout, puis décide de revenir vivre dans son appartement, Debra s’installant avec Quinn qui soupçonne Dexter d’être l’assassin de Rita. Quinn qui embauche Liddy, un flic véreux, afin d’enquêter en sous-marin. Astor et Cody vont eux s’installer chez leurs grands-parents, Harrison restant seul avec Sonia, une nounou d’enfer qui permet à Dexter de s’occuper du nouveau tueur en série de Miami tandis que Masuka le remplace au labo, que le lieutenant Laguerta règle ses problèmes personnels avec Angel Batista et sa hiérarchie, que Lumen la survivante emménage dans la maison familiale où Astor fait une fugue, que Debra perd son insigne pour mieux le retrouver, que Dexter botte le cul d’un parent d’élève, qu’il n’y a plus un, mais cinq meurtriers etc, etc, etc.

Tirelipimpon sur le chiwawa


Comme toutes les séries ne sachant plus où elles vont, Dexter part dans tous les sens, joue la carte des rebondissements faciles, s’encombre de dizaines d’intrigues secondaires, délaisse la relation des personnages principaux chacun jouant sa partition au mépris d’une intrigue principale tellement énorme que personne dans le commissariat ne semble y prêter attention. Et puis de toute façon, Dexter, au commissariat, il y fout plus les pieds. Il préfère de beaucoup faire n’importe quoi, niant épisode après épisode sa crédibilité de tueur froid pour lui préférer celle d’assistante sociale, inquiet parce qu’Harrison n’a pas fait son rôt, parce qu’Astor boit de la bière, parce que Lumen ne répond pas au téléphone, parce que ci, parce que ça, au point qu’on croirait revoir Tony Danza dans « Madame est servie », sauf que Tony Danza était bien plus méticuleux et aurait semé trois fois moins d‘indices. Bref, Dexter saison 5 détruit méticuleusement tout ce qui a été construit durant les 4 saisons précédentes, le justicier de l’ombre semblant postuler pour une place de conseillère pédagogique au collège Jean Giono.

Alors bien sûr, il y a également ce ronronnement agréable, cette douce musique qui fait qu’on suit ce sabordage sans trop de déplaisir, quand bien même chaque épisode nous amène à avaler un nouveau lot de couleuvres géantes. On se laisse même parfois prendre au jeu du frisson facile, du suspens convenu. Bien sûr on est content de revoir toutes ces trognes sympathiques, de rire des miettes avec Mazuka et d’admirer la présence du grandiose Peter Wellers dans le rôle taillé sur mesure du détective déchu Liddy. On peut aussi fermer les yeux sur les erreurs de casting criantes, comme celle de l’imbittable Lumen (bien peu aidée par une caractérisation fantaisiste), ou de la terriblement fade Sonya. On peut même faire semblant de ne pas remarquer que Michael C Hall porte des perruques alors qu’il respirait jusqu’alors la santé. « On » peut, mais Frank Zito, lui, n’a pas pu…

En bref : Une cinquième saison pathétique, qui déjoue tous les pronostiques en s’imposant comme une caricature de son propre sujet. Et nous de nous demander, à la vue des cheveux de paille dont Dexter est affublé pour masquer la maladie, si quatre saisons de qualité ne méritaient pas l’octroi d’une pause, le temps de digérer le choc, plutôt que de remettre tout ce beau monde au turbin afin d’essorer le jus qu’il restait à tirer de Dexter ? De rêver d’un monde où Show must pas go on ? Toujours est-il que si certains se demandent aujourd’hui si la prochaine saison ne sera pas celle de trop, ils font une cruelle erreur, celle-ci vient d’avoir lieu.


mercredi 15 février 2012

Ciné : La taupe



Réal : Tomas Alfredson

Avec : Gary Oldman, Mark Strong, John Hurt

Rien de mieux lorsqu’il gèle sur la Côte d’Azur que de prendre un bon grog au coin du feu, à peine adouci par une lichette de miel. Le regard perdu dans le vague, une couverture sur les épaules, un roman sur les genoux, des demi-lunes à portée de main. L’extase en charentaise. Et bien bonne nouvelle pour tous les allergiques au rhum ou à la sénescence anticipée, se trouve à l’affiche un film qui possède toutes les vertus cardinales précitées, ce qui, à la grâce de la vague de froid qui traverse la France depuis la Sibérie, devrait lui assurer un succès aussi immédiat que salutaire.

Paranoïa bureaucratique

Old fashion dans le style et les décors, chiadés comme dans les plus belles superproductions d’époque, vous n’y trouverez pas d’effet de manche visuel, de caméra qui gesticule, de fondu spectaculaire prompt à vous bousculer la rétine. La taupe se veut un classique spy-movie, dans la plus pure tradition. Pour se faire, Thomas Alfredson nous la joue feutrée jusqu’au bout des ongles. Le réalisateur du phénoménal Morse, déjà un voyage dans l’histoire récente du cinéma horrifique par le biais d’un scénario très accès sur la caractérisation de ses personnages, met en scène l’administration d’Etat avec un savoir faire de vieux Lord britannique. Sous son regard, les services secrets se montrent aussi asphyxiants que peu glamours. On est plus proche de Brazil et sa bureaucratie au bord de la crise de nerf que de la saga Jason Bourne. Et l’on ne va pas s’en plaindre, loin s’en faut.

Car là où les adaptations de Ludlum viraient branquignoles, abruties par une mise en scène au modernisme tapageur qui vous donnait immédiatement envie de fuir les livres de son créateur, John Le Carré ressort grandi par sa Taupe. Mieux, le film agit comme une sorte de roman d’espionnage idéal, dont les pages se tournent confortablement, qui infusent méthodiquement leur paranoïa sous fond de guerre froide. La violence bureaucratique, impersonnelle, souterraine et impitoyable, si chère à Le Carré, transpire dans chaque plan de La Taupe qui déroule son intrigue dans un tour d’Europe qui mènera ses protagonistes de Budapest au Kremlin, en passant par Paris, Istanbul et la Mer noire. La structure en flash back fonctionne parfaitement, et l’on ne reviendra pas sur l’excellence du casting, en tout point à la hauteur de l’enjeu, avec ses tics d’Actor Studio très seventies. Gary Oldman, John Hurt, Toby Jones, Colin Firth, tous semblent au sommet de leur art en incarnant cette galerie d’espions comme autant de tronches de faux-culs qui brouillent, de par leurs seuls traits, toutes les pistes misent à notre disposition.

Une légère odeur de naphtaline

Toutefois, si la Taupe est un vrai bon film, bien foutu, sans fausse note, il souffre tout de même de son austérité volontaire. D’abord dans le choix de ce monochrome marron sépia qui imprègne chaque page de l’histoire contée, dans une unité de couleur qui sent le renfermé, le vieux cigare, la pisse même parfois. Justifié, cela reste un choix qui, au lieu de faire Dandy, comme pouvait le laisser penser la présence du couturier Paul Smith aux manettes, vire quand même un peu brocante.

D’ailleurs, de brocante, il est souvent question dans cette reconstitution tellement soignée qu’elle vire par moment carte postale. Les pays visités sentent parfois le cheptels de voitures de collection. Les vêtements faussement anciens semblent un peu trop propres sur eux, harmonieux, coordonnés. Tous comme les bureaux surchargés non par la vie, mais par des décoratrices d’intérieur maniaques. Le perfectionnisme de La Taupe est en fait son principal défaut. Rien ne dépasse, tout est à sa place, bien ordonné, le pli finement rangé, le cheveux parfaitement travaillé, bref, la machine par moment s’enraille au profit de son dispositif écrasant. Aussi au moment de décoller, le film se surprend à ronronner dans son confort pour terminer son voyage rassurant sur un rythme de sénateur qu’il n’aura jamais perdu. C’est le seul point qui le sépare de ses grand aînés et l’empêche in-extremis de se hisser à leur niveau.

En bref :
Thomas Alfredson aux manettes d’un John Le Carré movie, ça avait de la gueule. Et il faut bien dire que le résultat ne déçoit pas. Le réalisateur suédois apporte tout son sérieux et son ascétisme à cette histoire d’espionnage rocambolesque, farcie jusqu’à la garde d’agents doubles, d’Opération sorcière et de Fonds Reptile. Mais dans sa volonté de coller de près à une réalité de l’époque, ses services secrets d’état gérés comme n’importe quel service administratif, avec ses vanité, sa hiérarchie et sa paranoïa, la Taupe oublie parfois de respirer. Millimétrée, la reconstitution est par moment aussi suffocante que l’histoire, sentant parfois le formol synthétique. Pourtant le film d’Alfredson est loin d’être un échec, avec sa vraie bonne histoire, sa réalisation classique et éthérée, et son casting à la hauteur, il reste tout de même symbolisé par les lunettes grosses montures de Gary Oldman, authentiques au point de parfois révéler ce qu’elles sont : un accessoire.


mardi 14 février 2012

Sortie DVD : Drive


Réalisateur : Nicolas Winding Refn

Avec : Ryan Gosling, Carey Mulligan, Bryan Cranston

Une fois n’est pas coutume, Frank Zito va aller dans le sens du vent en encensant Drive comme l’a fait l’intégralité de la presse spécialisée . Oui, le film de Nicolas Winding Refn est une bombe qui vous explose à la figure aussi surement que les paquets cadeaux du Stroumph farceur. D’abord parce que le réalisateur y appose sa patte, celle d’un cinéaste tout à la fois ludique et ascétique, grand public et exigeant. Et parce qu’à l’image de Quentin Tarantino, il est l’un des rares réalisateurs contemporains à pouvoir digérer avec talent un scénario ultra référentiel qui sue le septième art à tous les degrés. Ici, c’est un véritable feu d’artifice qui nous rappelle immédiatement le cinéma de Walter Hill et John Bormann, avec les grands angles d’un Michael Mann qui ne pèterait pas plus haut que son cul.

Soulignée par son incroyable BO, Drive se vit souvent comme une errance déstructurée dans un Los Angeles aérien et phantasmatique. Les décors et le paysage se font aussi rutilants que les véhicules de collection utilisés par le pilote, lui-même incarné par un Ryan Gosling iconique en diable. Taciturne, presque impénétrable, il est à lui seul l’essence du héros mythique. Incorruptible, généreux, désintéressé, classe dans un blouson qui ferait passer tout être humain normalement constitué pour un guignol, il est une ode au cinéma viril de nos années de jeunesse, un rappel à lui seul de ce que Steve McQueen pouvait représenter sur les écrans d’alors. Il semble l’homme parfait, dans toute sa virilité.

Sauf que recyclé par l’œil de Nicolas Winding Refn, et peut-être même à l’insu de son acteur principal, ce personnage quasi surnaturel, Bruce Lee des temps modernes, armé d’un bolide en lieu et place d’un nunchaku, fait curieusement peine à voir. A l'évidence c’est un pro. Avec son allumette à la bouche, à l’image du Cobra de Stallone, son air impassible, sa coupe inaltérable, il en jette, c'est sûr. Mais l’homme est seul, terriblement seul. Quasi déshumanisé. Vide aussi. Perfectionniste, obsédé par le désir de tout contrôle, il est l’enfant même du nouveau millénaire. Incapable de relation humaine, il en arrive à vivre une histoire d’amour par procuration d’un pathétique comme on en a rarement vu dans le cinéma d’action. Et de nous raconter qu’aujourd’hui les mythes inébranlables ont fait long feu, et que s’il peut défier à lui seul la mafia locale, le driver est infoutu de prendre la femme qu'il désire par la main, incapable de toute intimité. De lui n’existe qu’une forme de représentation qui, poussée à l’extrême, le désincarne au point de le vider de toute substance, de tout réel, et, dans un grand écart qui confine au génie, de tout héroïsme.

A l'image d'un geek ultra callé dans son domaine, Ryan Goslin traverse donc de part en part son film, oscillant sans arrêt entre la puissance fascinante du héros classique, type McQuenn, et la naïveté confondante d’un Rain Man perdu dans un monde qu’il ne comprend pas, et dont il ne possède visiblement pas les codes. Anachronique, il n’en est que plus fascinant. Autour de ce tour de force narratif saisissant, tout est parfaitement maîtrisé. Les stars du petit écran Bryan Cranston et Christina Hendricks jouent précisément leur partition, les autres sont au diapason, les courses poursuites admirables, la violence graphique tout autant, le film avance avec élégance sur des rails familiers, même si l’on sent bien que c’est un train voué à dérailler tant sa locomotive est défectueuse. Et de nous faire comprendre définitivement que Steve McQueen ne reviendra plus. Les temps sont durs.

En bref : Le réalisateur de l’énorme trilogie Pusher nous livre un film quasi parfait, pétri de références aussi variées que jouissives. Drive est une splendide leçon de cinéma, justement auréolée par le prix de la mise en scène à Cannes, et qui, sous prétexte de nous la rejouer Bullit, nous croque le portrait hallucinant du héros des temps modernes, froid, beau, téméraire mais dans le même temps dépouillé de toutes les certitudes qui faisaient de ses aînés des hommes. Cocktail qui finit par lui donner les allures d’un enfant autiste qui nous rejouerait McQueen devant la caméra désenchantée de Winding Refn. La fin d’un monde. Ahurissant.


dimanche 12 février 2012

Video-club : All the boys love Mandy Lane



Réal : Jonathan Levine

Avec : Amber Heard, Anson Mount, Michael Welch

Comme les alertes météo, Frank Zito songe à se spécialiser dans l’alerte à la baudruche. Ces petits films qui, comme les grenouilles, à force de travailler les réseaux sociaux, de trainer leurs jolies guêtres dans les festivals, d’alimenter la machine à Buzzer, finissent par gonfler jusqu’à faire croire qu’ils sont aussi gros qu’un bœuf. Et qui, comme dans la fable de Lafontaine, s’enflent si bien qu’à la fin ils crèvent.

Ici, l’élément majeur qui a permis à la grenouille de gonfler, gonfler, gonfler, au point de nous les gonfler d‘ailleurs, c’est l’efficacité toute particulière entre le packaging et son slogan. All the boys love Mandy Lane, et son actrice, alors seulement en cours de peopolisation, Amber Heard, qu’all the critiques aiment aussi. D’une manière assez bizarre, il semble que le coefficient d’excitation maximum que fait passer la blonde spectaculaire, arrive à leur faire perdre toute notion de relativité. D’ici à penser que l’aimable Amber Heard aurait tout aussi bien pu rester cantonner à la double page sexy de Playboy, il n’y a qu’un pas que Frank franchit allégrement, et pas lui seulement d’ailleurs.

Car Amber Heard, aussi belle soit-elle, n‘est pas une actrice née. Son regard éteint ne communique rien, son corps parfait n’imprime pas particulièrement la pellicule, son côté femme-enfant ne passe pas. On a depuis eu l’occasion de s’en assurer avec le médiocre Hell Driver et le soporifique The Ward. Comment expliquer que la présence d’une belle femme, -faut-il rappeler ici qu’il suffit à tout homme de sortir de chez lui pour en rencontrer par douzaines, en 3 dimensions et à qui on ne demande pas forcément d’être bonne actrice- puissent suffire à déclencher un tel emballement ? Le spectateur de Slasher serait-il devenu l’équivalent d‘une adolescente devant qui il suffit d‘agiter une photo de Justin Bieber pour qu‘il se mette à suffoquer? Dans ce cas précis les choses sont de toute façon allées trop loin : nous n’avons plus le choix : Amber Heard est devenue la fille qu’il faut trouver excitante, qui passe dans GQ, qui avoue qu’elle est un peu lesbienne, mais pas que, bref, c’est la pure abstraction qui incarne la valeur étalon de la séduction du moment. On lui souhaite la carrière de Marilyn, même si on suppose qu’elle aura plutôt celle de Loana.

Mais il ne faudrait pas être trop de mauvaise fois. Amber Heard, si elle a permis de par sa seule présence, de faire monter la mayonnaise (voire plus) n’est pas la principale cause de l’explosion en plein vol de cette baudruche surfaite. Ce néo-slasher sent le pneu brûlé dès les premières minutes passées. Rien d’original, ce qui n’est pas grave, mais rien d’intéressant non plus. On se retrouve à suivre d’un œil lassé l’évolution de notre sempiternelle bande de jeunes isolés le temps d’un week-end dans le ranch texan d‘Hillary Duff, où un tueur va les éliminer méthodiquement. Pour donner une impression de vérité, écraser l‘espace sous le soleil brûlant, l’image est surexposée. Mais au lieu de la ouateur espérée, c’est plutôt une impression de camelote visuelle qui se dégage, de clip faussement root’s, baigné dans une bande son pop-rock mollassonne. Les ralentis, la musique, tout concourent à essayer de donner du piment à un plat qui en manque cruellement.

Et ce n’est pas l’extrême pauvreté de la caractérisation qui va apporter la lumière. Volontairement superficiels, les personnages indisposent le spectateur, comme dans tout slasher qui se respecte, sauf qu’ici nous n’avons pas le droit à notre récompense : des mises à mort bien saignantes qui compensent le temps perdu. De fait, le seul élément qui fonctionne dans All The boys love Mandy Lane, c’est ce sentiment d’isolement pur, celui du pigeon qui, une fois de plus, c’est fait refourguer une imitation grossière en croyant avoir acheter une Rolex. Ne croyez donc pas ce qui se dit : rien, dans Mandy Lane, n’a de goût. Des slashers de meilleure qualité, il suffit de taper dans une poubelle pour en trouver. Même La maison de cire, avec l’abominable Paris Hilton, arrivait à faire mieux avec son final Grand-Guignol. Et pourtant, dans le genre soufflet crevé, il s’arrêtait là.

En bref : Loué par la presse spécialisée, All the boys love Mandy Lane s’avère être un slasher de plus (de trop?) que la seule présence d’Amber Heard aura réussi à faire passer du statut de bouse à celui de petite réussite du genre. Si vous désiriez passer une soirée à mater une blonde remuer son boule face caméra, Frank Zito vous aiguillera plutôt vers Josépine, ange gardien avec Véronique Partout. Par contre si vous souhaitez vous concocter un bon petit film d’horreur sans prétention, qui vous apportera son petit lot de sursauts et de rires faciles, passez votre chemin : en plus d’être très con, All the boys love Mandy Lane se prend terriblement au sérieux. Et si c’était cela, la définition contemporaine de l’horreur pure ?


vendredi 10 février 2012

Bulle : Ice Haven


Auteur : Daniel Clowes

Ice Haven, petite bourgade américaine du Midwest, est bouleversée par la disparition d’un enfant du pays, le petit David Goldberg. L’occasion de se rendre compte que cette paisible communauté est loin d’être ce qu’un coup d’œil distrait pouvait laisser imaginer…

Daniel Clowes déstructure son récit en une trentaine de saynètes qui, au fur et à mesure de la lecture, se font écho pour former un tout d’une cohérence absolue. Au-delà d’un synopsis alibi, le dessinateur nous dépeint une communauté gangrénée par le mensonge, la solitude, la méchanceté et l’étouffement. Jouant en permanence la carte du contraste entre des planches qui inspirent la douceur et un contenu parfois brutal, Ice Haven détourne avec bonheur le style « comic strip » traditionnel , celui de l’Amérique des années cinquante, fantasmée par l’auteur mais où le vers serait déjà dans le fruit. Rien chez Clowes ne correspond aux apparences qu’il dispose, tout est tromperie. Un trou dans le mur peut-être l’objet de toutes les méprises, les amours les plus purs sont voués à l’incompréhension, les rêves littéraires se meurent dans le journal local, la classe moyenne navigue entre amertume et ennui, piégée par cette ville étriquée, presque poussée par elle à la médiocrité.

Dans cet entrelacs d’histoires brillantes, où le style change selon les récits sans que l’ensemble ne perde jamais sa cohérence, son tracé épuré fait merveille. Ice Haven est tout simplement l’une des bande dessinées les plus intéressante qu’il nous ait été donné de voir, ses cases transpirant l’humour du désespoir, la dépression, la cruauté et par moment l’émotion pure délivrée par ceux qui, ayant rêvé trop haut, se font mal en s’enfonçant dans la médiocrité d‘un destin ordinaire et provincial.

En bref : L'énigmatique disparition d’un enfant permet à Daniel Clowes de jeter un regard ironique sur toute une communauté dont la façade apaisée masque mal une frustration généralisée par l’ennui d’une existence morne. Beau, brillant et original : un chef d’œuvre instantané.

jeudi 9 février 2012

Video-club : La maison près du cimetière


Réal : Lucio Fulci

Avec : Catriona MacColl, Paolo Malco, Ania Pieroni

Norman Boyle quitte New York pour la banlieue de Boston afin de poursuivre les travaux d’un estimé confrère, suicidé par pendaison. Accompagné d’un épouse fragile et de leur jeune fils, ils emménagent dans une grande maison délabrée, construite au cœur d’un cimetière. Rapidement, Lucy va découvrir une pierre tombale sous un tapis du salon, quand Bobby s’amuse avec une jeune fille imaginaire et que, depuis le sous-sol, se font entendre les râles d’une chose ancestrale et putride prête à tout pour survivre…

Grincements de portes, clavecin inquiétant, dissonances, dès l’introduction La maison près du cimetière fait claquer des dents. Ritournelle nostalgique, mannequin décapité dans un bruit de succion, poupée brisée, tout agresse notre jeune couple dont on se dit qu’ils n’ont pas fait un choix de vie bien cosy. Il faut écrire que dans le genre maison inhospitalière, elle se pose là, avec son jardin défraîchi, ses toiles d’araignées et ses portes murées; son chat noir et cette petite voisine télépathe qui les regarde de travers. Théâtre splendide et baroque, concentré à lui seul de toutes les maisons hantées, il est un unique vecteur d’inquiétude, d’anormalité, de pourrissement. D’ailleurs rien ne laissera jamais entendre qu’il ne peut y exister autre chose que le mal à l’état pur.

Car c’est ce qui fait le cinéma de Fulci, ce nihilisme, cet absolu, cette noirceur. La lumière du jour y est blême, on a froid jusqu’aux os rien qu’à s’imaginer un instant dans cette contrée perdue hantée par des fantômes passés dont on ne doute pas qu’ils sont morts dans d’atroces souffrances. Chez Fulci, descendre quelques marches devient un calvaire, tout est affaire de regard, de perception faussée, de dilatation d’un temps dans le mode du cauchemar. Pas d’éclaircie, jamais. Seul l’histoire compte, et si c’est une histoire d’horreur, alors seule l’horreur compte. Dans un registre nettement moins léger et brillant que celui d’Argento, car Fulci est entré dans le gore comme on entre en religion, sans recul, tête baissée, prêt à tout sacrifier pour son entreprise mortuaire.

Alors il colle au plus près de ses personnages, de leur folie, de leurs aveuglements volontaires, de leur bêtise aussi. Fulci amplifie le réel jusqu’à le tordre, joue des ressemblances troublantes, maintient la tension en restant collé aux éléments les plus efficaces, délaissant tout le reste pour faire des films à l’aspect presque déstructuré à force d’être agrippés à leur synopsis. C’est par cet effet de loupe et un premier degré étouffant, qu’il arrive à faire de ce qui aurait pu n’être que banal, un film d’horreur malsain, brutal et choquant. Il le réussit d’autant mieux qu’il est techniquement un immense faiseur, tombé dans le gore sur le tard, au terme d’un parcours singulier qui fait l’essence même de son œuvre. A ce moment, Fulci est à son meilleur. Sa mise en scène est ultra précise, magnifique parfois, élégante toujours. Et c’est à la seule force de sa réalisation qu’il parvient à nous écœurer d’une chauve souris gorgée de sang ou d’une trachée arrachée à main nue, dilatant une dernière fois le temps pour des mises à mort sonnant comme d’interminables complaintes funéraires.

En bref : Au sommet de son art, Fulci signe une œuvre splendide, noire et poétique, avec ses fantômes du passés, ses expériences lovecraftiennes et ses meurtres sanguinaires. Focalisé sur l’efficacité, agrippé aux corps, à la chair et aux regards déboussolés d’un famille qui perd un à un tous ses repères, il nous entraîne à sa suite dans les entrailles de sa maison de cauchemar, où tout espoir se délite dans des séquences d’une cruauté d’autant plus dure qu’elle semble inéluctable. Un conte macabre, douloureux et nostalgique magnifié par une réalisation tout entière dévouée à son sujet.




mercredi 8 février 2012

Ciné express : Tucker & Dale vs Evil


 Réalisateur : Eli Craig

Avec : Tyler Labine, Alan Tudyk, Katrina Bowden

Pas besoin de s’appesantir sur l’excellent Tucker and Dale, unanimement célébré pour ce qu’il est : une comédie d’horreur très au dessus de la moyenne, shooté aux petits oignons par un jeune réalisateur sorti de nulle part, associé à un camarade de classe pour le scénario. Eternelle histoire version gore de l’American Dream, qui fait sur Frank Zito l’effet des marronniers de Jean Pierre Pernaud sur ses ménagères réactionnaires, c’est-à-dire le plaisir simple d’assister à une aventure en forme de conte de fée qui rappelle furieusement les premiers pas de Sam Raimi dans le cinéma.

Une fois de plus il est à noter que pour que le succès soit viral, le film d’horreur se doit de tenir sur un pitch efficace et marquant. Celui de Tucker & Dale n’échappe pas à la règle, avec sa bande de jeunes confrontés à un duo de pequenauds particulièrement chelous. Sauf que les deux ploucs sont doux comme des agneaux… De quiproquos en maladresses leur week-end va virer massacre involontaire.

Bonne idée, mais de là à signer un chèque en blanc... Car ce ne serait pas la première fois qu’un synopsis excitant tourne vinaigre sur la longueur par la faute d’un réalisateur incapable de donner de la chair à son phénomène de Buzz. Mais comme le laissait entendre le bouche à oreille, rien de tout cela ici. D’autant que Tucker & Dale échappe à l’écueil du Méta-slasher type Scream qui, sous prétexte de théoriser sur le genre, finit par n’intéresser que les cinéphiles qui y sont traditionnellement réfractaires. Tout comme il ne se prend pas les pieds dans le chausse trappe des parodies relou-foques type Scary movies.  Même le retitrage français (l’ignoble « Fightent le mal » ), qui laissait entendre que le public visé était essentiellement l’adolescent pré-pubère en quête de biactol n’y fait rien : pour une fois, Frank se range sans rechigner du côté des rieurs.

En bref : Soigné dans sa forme, distrayant avec ses références aux grands classiques type Massacre à la tronçonneuse, mais aussi à des titres moins glorieux comme Détour mortel ou Sherif fait moi peur, Tucker & Dale remplit son contrat en faisant vraiment rire. Parfois à gorge déployée. Et ce malgré la salle vide, Saint-Raphaël et un soir d’hiver tellement record qu’on se réchauffait en se passant des glaçons sur le torse. De l’or en barre, simple et sincère dans sa démarche, avec en cerise sur le gâteau un casting de simplets trois étoiles. Une authentique bonne surprise à situer entre le raté Dead snow et l’inégalable Shaun of the dead.


mardi 7 février 2012

Concert : Shaka Ponk + Brigitte + Orelsan, Midem festival



Il fallait braver des températures négatives à Cannes pour pouvoir assister à ce qui était annoncé par l’agenda culturel 06 comme un « bon moment de musique en perspective dans le cadre du Midem 2012 ». Bon, ça, ça donnait pas vraiment envie, mais on le sait, les affiches dans l’extrême Sud-est se font rare, et pouvoir toucher de près le phénomène pop-rock du moment sur la pointe du Palm Beach, à quelques encablures des îles de Lérins, ça le faisait sur le papier. Pas l’excitation folle, non, mais une vraie curiosité. L’envie d’être confronté à cette galerie de groupes à succès pas trop indigne. Verdict scolaire sous la forme la plus basique qu’il soit : thèse, antithèse, synthèse.

Thèse : Orelsan

Alors que des casses burnes essayaient de prendre en photo Monsieur et madame Zito, pour le compte de Sony ou d’on ne sait quelle marque de merde, quand le couple roucoulait tranquille, une bière à la main, Frank se demanda jusqu’où pourrait aller la pub dans son délire intrusif . Est-ce qu’un matin il allait se réveiller avec un toy gracieusement enfoncé dans le cul de la part de Durex ? Bref, il renvoya l’importun et son appareil photo à la con pour se tourner vers la scène, d’où venait de monter un gros son. Car ce fut la première bonne surprise du set d’Orelsan : un son old-school, très puissant, et surtout très éloigné de la production assez lisse de ses albums. Cagoule pointue ambiance monastère du Stup, Orelsan fait tranquillement claquer ses rimes, supporté par une mise en scène extrêmement soignée.

Raelsan assomme les doigts dans le nez ceux qui étaient venus pour le voir, mais aussi un Frank surpris par l’ambiance assez éloignée de l’idée qu’ils s’était faite, celle du rappeur blanc de banlieue provinciale, qui incarnerait son propre rôle dans une certaine forme d’auto-parodie. Loin s’en faut. Très pro, il s’investit dans son set sans recul ni ironie mal placée. Aucune réserve face à un public hybride qui allait des gangstas de cour de récré jusqu’à leurs grand-mères bobos. Orelsan incarne son univers avec une belle sincérité, et ses titres parfaitement défendus prennent une belle amplitude. Le chant des sirènes, Plus rien ne m’étonne, Mauvaise idée, Changement ou Jimmy Punslhline, tour à tour monstre ou drôle, Orelsan emporte tout sur son passage, loin de la baudruche qui aurait pu exploser devant la brutalité de son exposition médiatique. Mieux, il s’en est visiblement nourri pour revenir encore plus fort. Chapeau !

Antithèse : Brigitte

Après la claque dans la gueule, on prend le temps d’aller pisser. Les lumières scintillent au dessus des chiottes en plastique de chantier. On en revient le teint cireux, tout plein de souvenir qui sentaient fort le caca, pas vraiment prêts à être confrontés à l’univers plan-plan de Brigitte, le duo surcoté qui inonde les ondes avec des titres assez quelconques dont on peut se demander à qui ils peuvent plaire. Allez, parole à Libé, pour une petite présentation : « Sylvie et Aurélie s’appellent Brigitte. Pour ce duo malin, ce prénom est suffisamment ringard pour être décalé, il est surtout celui de trois références féminines qui leur parlent : Bardot, Lahaie, Fontaine. Le portrait-robot de Brigitte donnerait donc le visage d’une bombe sexuelle au caractère bien trempé, bourrée d’autodérision. ». L'horreur !

Et justement, habité par la peur de ne pas être décalées, au risque de ne plus être que ringardes si on a bien suivi, les Brigitte déroulent leur barnum superficiel sous le chapiteau qui rappelle soudain celui du cirque Pinder. Ce qui choque le plus, ce sont évidement ces paroles qu’on imagine rédigées par une lycéenne auto satisfaite, rendue euphorique par deux bouffées d’un joint à l’eucalyptus et un verre de Jet27. L'enfer sur verbe. Bonne nouvelle pour nos clowns involontaires, le public cannois s’est vraisemblablement déplacé pour elles. Du coup, on comprend mieux la présence des vieilles dames précitées. Certainement sourdes, elles n’auront pas le bonheur de gouter les voix nasillardes du duo qui s’entremêlent dans une sorte de fuite en avant. A celle qui sera le plus crécelle. Le pompon étant l’infâme reprise de Ma benz, le tube de Brigitte qui fait saigner les oreilles. Tout y est : la fausse bonne idée, le décalage qui consacre au grand Journal et la volupté des pages lingerie de la redoute. Le temps passe tellement lentement qu’on croirait que la pendule recule. C’est la machine à remonter le temps, sauf qu’elle nous ramène toujours au début d’une chanson de Brigitte. Madame Zito s’abîme dans le fond de son verre de rouge, convaincue qu’on ne s’en sortira jamais. A vrai dire, Frank doute lui aussi. Mais heureusement, au bout du tunnel se trouve la lumière : les filles décident d’interrompre le massacre. Celle qui la joue néo-Dalida sort en se tenant les cheveux tandis que l’autre, une version Nana Mouskouri en moins charismatique, balance un « Brigitte se casse » en guise de point final. Il était temps.

Synthèse : Shaka Ponk

Exsangues, Frank et Madame Zito avaient noyé leur ennui dans l’ivresse, collés aux conduits d’air chaud, et pour tout dire, ils peinaient à sortir de leur torpeur. Il faut écrire qu’à leur grande stupéfaction, c’était pour Brigitte que les Cannois s’étaient massivement déplacés, le public déguisé en rombière municipale retro-chic n’étant déjà plus qu’un mauvais souvenir. Ne restait donc plus que la moitié de l’audience, curieux attelage que l’on aurait bien de la peine à définir autrement qu’indéfinissable. Car justement, toute la question était là : à qui s’adresse Shaka Ponk, le groupe pop-rock du moment ? Armé de titres ravageurs, énergiques, parfois emballants, on peine tout de même à trouver une identité à ce groupe patchwork. Plus le temps de tergiverser pourtant, les lumières s’éteignent, la rumeur enfle, et les Shaka Ponk introduisent leur set avec le meilleur titre de leur dernier album, le tonitruant Shiza radio. La bande surgit, rugit, bondit sous couvert de guitares qui crachent méchant, Goz, le singe mascotte, nous invite à une bourrée. Ca sent bon la grosse fiesta.

Mais vite on sent un truc qui cloche. Alors que l’arène sonne clairsemée, et malgré la grosse débauche d’énergie du groupe, quelque chose ne passe pas. La torgnole tant attendue vire soufflé. Les titres s’enchaînent, un peu trop parfaits, un peu trop mécaniques. Tout cela respire le support technique. Le son est fort, très fort, mais curieusement il manque de puissance, de profondeur. A dire vrai tout sonne bizarrement toc. Les images omniprésentes au cœur de la scène aimantent l’attention, donnent l’impression d’un clip qui boucle sur MTV, une distance se crée entre la scène et le spectateur. Le symbole étant l’interminable Sex ball, tenu d’une main de maitresse SM par Samaha Sam qui force tellement le trait qu’elle agace. Visuellement, on n’en peut plus de voir le singe tête à claque. Pourtant il faut féliciter le groupe, qui avance comme si de rien était. Donne tout. Mais ont-ils vraiment quelque chose à donner, au-delà de chansons sur travaillées à faire danser, le tout sur une imagerie rock parfaitement superficielle. Las, la mayonnaise ne prend pas. Le spectacle, pourtant porté au nue par la presse, ne nous permet pas de toucher au cœur de Shaka Ponk, qui finalement reste calfeutré derrière les masques qu’ils se sont composés. L’envie d’Orelsan mixée à la camelote de Brigitte. Le top, le toc et le flop.