dimanche 29 avril 2012

Vidéo-club : Atoll K


Réalisateur : Léo Joannon

Avec : Stan Laurel, Oliver Hardy, Suzy Delair

Année : 1952

Atoll K -aka Utopia- est le dernier film tourné par Laurel et Hardy, trente ans après leur première collaboration. Et c’est peu d’écrire qu’il fut perçu comme un terrible échec à sa sortie. Trop vieux. Pas assez rythmé. Trop long. Bref, un navet ou pas loin. Pourtant Frank Zito, qui fêtera dans moins d’une semaine un âge canonique pour les ados et regretté par les ancêtres, en a gardé un souvenir ému. Bercé par le duo durant toute sa prime jeunesse, il était loin d’avoir trouvé le film plus mauvais que les autres. Mieux même, ces éléments fantastiques s’étaient gravés profondément dans sa mémoire. Cet atoll fumant qui disparaissait dans des flots déchainés, cette ambiance crépusculaire et burlesque à la fois l’avaient marqué à jamais. Aussi, apprenant qu’Arte rediffusait l’intégrale du duo était-il resté à l’affut, prêt à saisir l’occasion au vol d’anéantir un souvenir d’enfance pour en faire une chronique dévastatrice, sur un air de requiem pour comiques déchus. Et bien ballepeau ! C’est l’affreux mouflet qui l’a emporté haut la main, avec ses dents de la chance et son air con, sur le cinéphile grincheux qu’il est devenu. Une chronique charnière donc, qui prouve que sous son torse velu, un cœur d’enfant palpite encore...

Esprits chafouins et prostate défaillante

Enfin bref, la première chose qui frappe, à la revoyure d’Atoll K, c’est la qualité des gags. Les esprits chafouins pourront écrire qu’ils avaient fait mieux avant, force est de constater que la mécanique d’écriture est là, précise, incisive même. Découpées au cordeau, les séquences s’enchaînent, drôles et agaçantes, comme souvent chez le duo qui sait jouer avec les nerfs des spectateurs à merveille. Déplumés par des notaires vénaux, maladroits dans leurs manœuvres, enfumés par un passager clandestin, Laurel et Hardy déroulent leur talent presque sereinement, éloignant à chaque plan l’idée même du naufrage annoncé. Pourtant les faits sont là : ils ont vieilli. Au lieu des 12 semaines de tournage, Atoll K s’étire péniblement sur 11 mois, la faute à un Stan Laurel usé, qui multiplie les passages à l’hôpital. Mais de cette histoire, rien ne ressort. Visuellement, le duo fait des merveilles. Oliver Hardy est tyrannique et maniéré, Laurel naïf et benêt. Leurs traits sont peut-être plus marqués, leurs rides plus profondes, mais cela sert leur personnages plus vulnérables et attachants que jamais.

A cela s’ajoute un exotisme tout particulier qui, à l’époque, aura peut-être joué contre la réputation du film. Mais plus de soixante ans après, on peut y trouver matière à le revaloriser plus encore. Laurel et Hardy, de fait, n’ont rien tourné ensemble après guerre. Anachroniques, pas vraiment attendus dans leur propre pays par des majors pour qui les mouches ont changé d’âne, c’est entre Marseille et les Studios Billancourt qu’Atoll K voit le jour, co-produit par la France et l’Italie. Pour assurer leurs arrières, les producteurs leur associent Suzanne Delair, star que l’on qualifierait aujourd’hui de bankable. Une première pour ces têtes d’affiches, c’est dire l’humilité de leur retour aux affaires. Et c’est ce qui explique l'histoire parallèle de Chérie Lamour à Tahiti, les séquences chantées, les bavardages estampillés comédie populaire française plutôt que Laurel et Hardy movie.

Dernier round et mise en abîme

Mais loin d’être le handicap attendu, l’étrange attelage fonctionne parfaitement. Les accents à couper au couteau des acteurs européens apportent un charme fou à l’ensemble. Ensemble dominé par un humanisme désespéré.  Accompagné par deux compagnons d’infortunes, Laurel et Hardy échouent sur une île inconnue, dans laquelle il coulent des jours heureux, ayant décidé enfin d’y vivre sans loi, taxe, argent, prison et passeport. Une utopie qui, dès qu’elle sera connue, attirera la foule, foule évidemment prompte à suivre le premier aboyeur venu, afin de destituer le gouvernement fantoche incarné par nos généreux branquignoles. Comment ne pas faire le parallèle avec leur situation. Stars mondiales sur le déclin, plumés par leurs producteurs, pas loin d’être sur la paille, usés physiquement, ils pouvaient goûter plus encore qu’à l’habitude à la brutalité du retour de bâton. Oliver Hardy n’avait-il pas décidé, comme leurs personnages, de laisser tomber une carrière devenue encombrante pour couler des jours heureux sur fond de terrain de golf ? Leur dernier round est donc celui où leur beauté intérieure se fait plus rayonnante que jamais, épurée de tout cynisme, de toute malveillance, Laurel et Hardy se retrouvent seuls devant l’abîme, leurs poches retournées pour la dernière fois, avec leur complicité comme seul trésor. Et Utopia comme dernier cadeau.

En bref : Conclusion réputée imparfaite, mais haute en couleurs, d’un des plus mémorable duo de comiques de l’histoire du cinéma, Frank Zito s’était souvenu du bien que le film lui avait fait. Mais il avait aussi lu le déluge de merde qui lui était tombé dessus. Après y être revenu, il peut vous le dire, à vous, qui avez gardé un cœur d’enfant, qu’Atoll K est une bombe. Humaniste, véritable compilation de classique gag du duo, les deux vieilles bourriques font un dernier round sans se prendre au sérieux. Et si le message est moins brillant et signifiant que celui de Charlot dans les feux de la rampe, il n’en est pas moins testamentaire dans le fond. Pourtant, loin d’adopter la forme du requiem, Atoll K se pose comme Laurel et Hardy movie simple et sans fioriture, magnifique de modestie, point final gracieux de ces deux gentlemen à l’incroyable complémentarité au monde du septième art. Film somme à la simplicité déroutante, il accompagne la sortie sans flonflon ni trompette de ces deux artistes qui voulaient en finir comme ils avaient commencé : dans un grand éclat de rire. Burlesque et humain.

vendredi 27 avril 2012

Documentaire : La vie moderne


Réalisateur : Raymond Depardon

Année : 2008

La vie moderne. Dans une période de trouble politique, d’hystérie médiatique, de peur économique et d’abrutissement citoyen, alors qu’entre cynisme et imbécilité le cœur des hommes balance, quoi de mieux que de se sortir un instant la tête du guidon. Arrêter d’être aspiré par les buzz les plus désolants, les sujets à la portée périmée avant même leur arrivée. Quand le mur d’informations se fait si bruyant qu’on arrive plus à voir au-delà, à penser par soi même. Que l’on ressent viscéralement un ras le bol à l’égard des sondages miteux, des journalistes véreux, de ce choc permanent qui nous enferme en nous même, nous rend le monde hostile, ruine toute espérance pour nous laisser exsangue. Quand la tête bourdonne et que l’on est pris de nausée à la seule idée que demain sera pareil à aujourd’hui, quoi de mieux que déposer les armes, un instant. Refuser ce flux hystérique d’images, de sons et de cataclysme artificiels, ce tunnel de débilité émaillé de slogans publicitaires. Bref, quoi de mieux que de couper son portable, éteindre son ordinateur, neutraliser sa sonnette d‘entrée, et s’installer tranquillement devant La Vie Moderne

Peignes culs gavés de Chocopop : Zito s’égare…

Car le documentaire de Depardon, même si ce n’est pas son but premier, fait l’effet d’une séance de yoga particulièrement efficace. Immédiatement, toute la furie qui nous emportait dans son sillage retrouve sa juste place. Proche d’une certaine forme de vérité primitive. Vérité qui berçait le cœur des hommes il n’y a pas encore si longtemps. Avec ses codes, sa folie, ses erreurs, mais surtout son authenticité. Et n’allez pas commencer à pleurer votre misère. Crier que Frank Zito est un passéiste, qu’il voudrait que l’on retourne à la campagne, bêcher son lopin de terre et redevenir un peuple de cul-terreux. Loin de lui cette idée. Non, car de cul-terreux, dans La vie moderne, nous n’en verrons pas, tandis qu’autour de nous, et parfois même dans nos propres âmes, nous sommes tellement éloignés de tout, que nous ne ressemblons plus à rien. Peignes-culs gavés de Chocopop. Traine-savates en admiration devant les idoles qu’elles méritent. Manges-merdes prêts à tout avaler, pourvu que ce soit assez gros. Bon, il s’égare sévère Frank… vire incompréhensible même. Alors reprenons, si tant est qu’il ne coupe pas tout ça au montage.

Depardon, de retour sur des terres qu’il connait bien, tourne sa caméra à contre courant de toute mode et creuse une nouveau sillon de la vie des campagnes. De ce mode d’existence en voie de disparition. Tellement éloigné de nos critères visuels qu’on croirait qu’il n’existe déjà plus. Et pourtant, en posant son trépied dans les cuisines de cet incroyable panel rural motivé par des désirs bien éloignés du monde consumériste qui nous avale un peu plus chaque jour, Depardon nous rappelle que ces dinosaures ne sont pas encore morts. Et alors que leur existence ne tient qu’à un fil, les Marcelle Bres et Marcel Privat rechignent à être domptés par la caméra aimable du réalisateur, à se poser en victime. Ce rôle connu, ils ne l’ont jamais endossé, avançant au rythme des saisons, la tête en arrière. Mais Depardon a du métier. Il sait y faire. Il est du cru. Aussi finissent-ils par se livrer presque à leur insu, dans des séquences aussi touchantes que rares.

Vieux chats aux alliances qu’on imagine éternelles

D’une maison l’autre, d’une vie l’autre, le documentariste trace une route anachronique comme ses anthropologues qui toucheraient du doigt un peuple indigène méconnu. Levis Strauss d’une France oubliée. Techniquement brillant, il emprunte des chemins de traverse entre chaque rendez-vous, pour souligner l’enclavement de ses paysans. Lentement, se dessine une réalité qui s’efface de son vivant. On entend les pas crisser dans la neige, le chant du coq au loin, les lames frapper le bois. Les silences se font plus nombreux que les discours. Hors du temps, et pourtant parsemée d’horloges, de pendules, de carillons, La vie moderne infuse un minimalisme quasi animal. Celui de vies réglées au diapason des caprices de la nature. Une vie qui a du sens avant tout.

Habitués à aller à l’essentiel, ces témoins d’un monde qui s’efface trépignent d’impatience de retourner à leur existence. S’occuper des bêtes, des terres et de dieu sait quoi. Quand ils restent, c’est en se tenant nerveusement les mains pour répondre à des question qu’ils ne se sont jamais posés. Ils ressemblent à de vieux chats que l’on dérange, l’esprit ailleurs, pris dans des alliances que l’on imagine éternelles. Tous sont habités par la conviction que leurs anciens valaient mieux qu’eux, quand nous sommes englués dans un délire de jeunisme abétifiant. Comment comprendre ? Leurs silences à peine soutenus par d’admirables moment de classique -L’Elegia de Gabriel Fauré- La vie Moderne fait exploser nos évidences, fascine en fixant durablement dans nos esprits ces visages marqués par la dureté du labeur et une volonté puissante. Celle donnée par les certitudes. Celle là même qui se dérobe sous nos pieds.

En bref : Sans faire dans le passéisme, ni nous raconter que la vie c’était mieux quand c’était rural, Depardon nous offre une tranche de vie déchirante. Celle d’hommes et de femmes plus représentés nulle part. Si peu qu’on pourrait les oublier. Ils vivent dans les zones les plus enclavées du territoire, isolés en Ardèche, Corrèze, Haute Loire, autant de lieux désertés par l’image. Depardon, avec délicatesse, arrive à percer ces intimités pudiques pour mieux nous raconter la fin d’une époque par l’exemple. Celui d’un monde attaché à sa terre, à sa géographie, à son arbre généalogique et à ses bêtes, celui d’un monde délaissé par la finance, les médias, les spectateurs. D’un monde qui n’a rien d’excitant, qui ne court pas après l’air du temps mais enfonce obstinément ses racines dans un espace qui se désertifie irrémédiablement. Dans un silence de cathédrale, Depardon capte les regards gênés et la pudeur extrême de ses oiseaux qui semblent vouloir se cacher pour mourir. Magique.


mardi 24 avril 2012

Mauvaise humeur : Adèle Blanc-Sec


Réalisateur : Luc Besson

Avec : Louise Bourgoin, Gilles Lellouche, Mathieu Amalric

Le dernier Combat, Subway, Le grand bleu, Nikita, Léon, le cinquième élément, Jeanne d’arc, Angel-A, Arthur et les Minimoys, la vengeance de Maltazard, Adèle Blanc-Sec, la filmographie de Luc Besson (et l’on vous passe ses productions douteuses) ressemble à un graphique de déclinologue, de ceux qui pourraient illustrer les cours de la bourse en période de crise ou la carrière de Christophe Lambert. Car le débonnaire réalisateur ne déçoit jamais, faisant toujours pire que le coup précédent. Démonstration ici, avec un Adèle Blanc-Sec qui met la barre très haut dans la médiocrité…

Dix ans pour avoir l’accord de Tardi et lui soutirer ses droits aux forceps. Tardi, le dessinateur à la plume magnifique, à la poésie singulière et la qualité d’écriture hors norme. Jacques Tardi donc qui a effectivement dû se régaler les papilles en savourant le passage de son œuvre au sanibroyeur industriel d’EuropaCorp Distribution. Bon prince, l’ami Besson n’a pas lésiné sur les promesses, même si le résultat a dû laisser Tardi dubitatif : laid, vulgaire et lourdingue, Besson a « revisité » avec tout son coeur son Adèle Blanc-Sec, tout à sa mise en scène quand son épouse le déchargeait des problèmes de production. Et l’on s’en félicite.

Lourdeur cocardière et diarrhée sonore

CGI aux rabais, sans aucun ticket, décors digitaux de toute laideur, direction d’acteurs au sommet, avec une mention toute particulière pour Gilles Lelouche qui campe un Inspecteur Caponi en roue libre, avec grandes oreilles, moustache postiche et double menton en latex (ou pas) il livre sous l’œil malicieux d’une caméra complice, l’une des pires performances d’acteur qu’il nous ait été donné de savourer ces dernières années. Cette prouesse est bien sûr soutenue par un casting tout en nuance, dans lequel on pourra également saluer les efforts de Jean-Paul Rouve pour être au niveau ainsi qu’un Mathieu Almaric à chier par terre, mais qui échappe aux tomates pourries à la grâce d’un maquillage à la truelle assez subtil qui le rend méconnaissable.

Particulièrement décomplexé, notre ami Luc s’est donc approprié à prix d’or les droits de Tardi pour en faire du plomb, et ça marche ! Accordéon, barbichettes et haut de forme, voix off qui lorgne ostensiblement du côté d’Amélie Poulain, textes Djamélisés du plus mauvais effet, Punshlines moisies, humour de comiques télévisuel à obédience Canal+, mâtiné de lourdeur cocardière estampillée Patrick Sébastien, on croirait voir Astérix et Obélix là où Besson espérait rejouer Indiana Jones. A la hauteur, la bande son nous permet d’entendre agoniser Eric Serra dont on se rappelle qu’il a su un jour écrire de la musique, avant de se spécialiser dans la diarrhée sonore.

En bref : Luc Besson, enfermé dans un mépris absolu pour son public qu’il imagine encore plus con qu’il ne l’est, signe un film déshonorant qui, comme Kiss cool, a un double effet : celui de sa nullité propre combiné à l’insulte pour son matériau d’origine. Seule Louise Bourgouin réussit à ne pas couler avec l’embarcation pourrie d’EuropaCorps, remarquable quand des plus chevronnées qu’elle, et l’on pense ici à Gilles Lelouch, paix à son âme, sombrent corps et âme dans les profondeurs du septième art. De fait, pris par n’importe quel bout, Adèle Blanc-Sec fait pitié, et l’on finit par penser que l’enfer ne doit pas être pavé de bonnes intentions, mais carrelé avec la filmographie discount de Luc Besson. Une purge…


dimanche 22 avril 2012

Lucarne : The Walking Dead

 
Réalisation : Frank Darabont

Avec : Andrew Lincoln, Jon Bernthal, Sarah Wayne Callies

Année de production : 2010

Adaptation par le réalisateur de "la ligne verte" une bande dessinée bien vénère, The Walking dead a fait sensation l'an dernier : sur le podium des meilleures séries de l’année pour les Inrocks (troisième, derrière les monstrueux Mad Men et Breaking bad.) et loué un peu partout dans la presse. De quoi faire saliver, d’autant que le pitch, pour avoir déjà été visité au cinéma (des survivants à un holocauste zombie tentent de s’en sortir sans perdre leur humanité), restait inédit sur le petit écran. Hélas, il n'y a pas grand chose à dire du résultat final mi-figue, mi-raisin qui a rendu Zito pisse-vinaigre.

Pour le côté figue, on cochera sans conviction la qualité globale de l’ensemble. L’image est plutôt léchée, les effets spéciaux exceptionnels et la réalisation soignée, ce qui dans ce genre d'exercice, est à double tranchant. Le script, s'il ne tient pas toutes ses promesses, est plutôt divertissant, et les pistes creusées laissent la porte ouverte à une seconde saison potentiellement intéressante. A noter que certaines scènes gores tendent à démontrer la sincérité de Darabont dans sa volonté de ne pas réaliser une mini-série trop aseptisée afin de coller à l’esprit brut de décoffrage de la BD. Mais le moins que l'on puisse dire, c'est que c'est raté.

Il suffit pour sans convaincre de passer rapidement côté raisin. Avec en premier le lieu le casting et ses acteurs dénués de tout charisme. Le pompon est décroché par le très fade Andrew Lincoln, qui peine à rendre crédible son officier de police redneck, à la bonne tête de gagnant. En permanence travaillé par des sentiments contradictoires et puérils, il serait plus crédible dans le rôle d'une adolescente à couettes tourmentée par un premier amour impossible, qu'en chef de meute viril et barré. A sa décharge, il aurait fallu qu'il puisse transcender des textes bien relous, suite de dialogues ininterrompus et ronflants, qui plombent méchamment l’ambiance. Hélas, acteurs et dialogues sont au diapason de la fameuse "patte Darabont" qui, au lieu de rentrer dans le lard du sujet, huile à outrance le moindre de ses cadrages, appesantit ses enchaînements, gonfle ses travellings. Au final, The Walking Dead, au lieu de sentir le sang et la fureur, respire la mise en scène pour grands-mères et l’académisme clinquant, déjà opérant dans La Ligne verte. Darabont finit par trousser sa série comme s’il s’agissait de la énième adaptation télé d’un Stephen King à destination des masses. Tant pis pour nous.

En bref : Six épisodes plutôt moyens qui peinent à se hisser au dessus de la production télévisuelle lambda, le principal défaut de The Walking Dead étant d’être extrêmement éloigné de l’OVNI qui nous était promis. Peut mieux faire, mais on parie qu'il n'y arrivera pas. La faute à un ton affecté et une réalisation léchée qui tuent dans l’œuf tout espoir de férocité et de noirceur au profit d'une ambiance enluminures et napperons propres aux première parties de soirée les plus insoutenables.


vendredi 20 avril 2012

Concert : So?Mash! + Balthazar


Première pour les Zito au Poste à Galène, salle marseillaise à la programmation démentielle si l’on se réfère au quotient notoriété/mètre carré. La taille d’un loft pour des concerts Maousse. Chapeau les artistes ! Pourtant, même petit, le poste à galène n’est pas étouffant. L’ambiance étudiante reste bon enfant, l’accueil chaleureux. Une vraie bonne adresse à la réputation pas usurpée. D’autant que l’affiche de la soirée faisait le plein, avec plus de deux cents personnes qui se pressaient pour entendre les Belges Balthazar défendre leur album à venir. Un groupe adoubé en France par les Inrocks, et accessoirement, parvenu tardivement aux oreilles de Frank par les voies impénétrables du téléphone arabe.

So?Mash! : à tes souhaits…

Pas le temps de finir sa Bécasse cerise, elle aussi brassée en Belgique, que la première partie s’avance. So?Mash!, donc, duo électro soul dont nous apprendrons qu’il est local. Et la confirmation que la soirée s’annonce sous de bons auspices. Beats agressifs, chant suave et puissant, compositions complexes et accrocheuses, So?Mash! Envoie du bois. Quasiment un sans faute, avec beaucoup (trop?) de sons préenregistrés soutenus par un multi-instrumentiste plutôt sympathique qui passe de son synthétiseur à sa batterie électronique avec un enthousiasme emprunté assez communicatif. Sorhum. C’est son nom de scène. Mash Puppit celui de la chanteuse. So?Mash! Le nom du groupe. Le genre de couple à appeler leur rejeton Génilyn ou Lyrix. Un côté bad-ass sympa pour des pseudos de chevaux de courses, plus dur à assumer quand on a l’air de sortir de la chambre de ses parents.

Et c’est là que So?Mash! bat un peu de l’aile. Mash Puppit, à l’anglais impeccable, crache un flow techniquement parfait avec un visage totalement inexpressif. Trop concentrée, elle est physiquement un peu en dedans. La faute pourrait-on croire à une salle qu’elle n’imaginait pas pleine comme un œuf. Les titres passent, le public joue le jeu, mais la jeune fille semble ne pas arriver à se libérer. Leur répertoire solide, qui rappelle autant M.I.A. que les Naive New Beaters, s’avère en contradiction avec un jeu de scène trop sommaire. So?Mash? dans sa volonté de bien faire, n’investira jamais vraiment la scène. Pourtant l’énergie positive est là, le Poste à Galène n’attendant qu’à être renversé, mais l’on se contentera d’être techniquement bluffé par ces deux lascars qui doivent comprendre que leur hip hop électro réclame une incarnation à la démesure de leur pseudo. Prendre la foule à son compte, se lâcher autant que leurs compositions, et ils seront alors littéralement à tomber par terre. Gros avenir en perspective, si tant est qu’ils apprennent à se transcender.

Comme un roi mage en Galilée

La bonne humeur reste de mise durant la pause. La salle respire l’humanité. Pas du genre à se regarder la couture du pantalon et se réajuster la mise en pli, non, du vrai amateur, du bigarré, de la belle âme. Un plaisir de nager dans des eaux au final plus rares qu’on ne le croirait. Et quoi de mieux que ce groupe belge armé de pop-songs quasi parfaites pour mettre le feu à un Poste à Galène soudain surchauffé. Balthazar, au diapason de la soirée, se présente décontracté, mais attaque fort dès le départ. Le mur de musiciens, qui cache un batteur en mode Rain-Man emmuré dans sa rythmique, en jette, c’est sûr. Jeunes, classes, brillants, Balthazar vit. Et vit très bien même. Les couches vocales se superposent dans des compositions légères sans être faciles. Tout semble naturel dans le déroulement d’un concert parfaitement maitrisé.

Durant un set riche en titres, on verra passer les fantômes d’Okkervil River pour ce qu’ils font de mieux croiser le fer avec les Arctic Monkeys et les Spinto band, auquel Balthazar fait beaucoup penser. La même justesse, la même évidence, la même folie douce mais en moins brouillon, plus canalisé, bref, plus prometteurs aux oreilles de Zito. Maîtres du changement d’ambiance, Balthazar alterne les univers avec un sens de l’épique particulièrement rodé. Chorus démentiels, cris rageurs et cymbales déchirées clôturent des titres qui révèlent leur richesse émotionnelle sur la longueur. Ebouriffant. Un seul regret, la fin de ce concert monstrueux, furieux et magique, au rappel soudain plus fade, comme si toute l’énergie qui avait précédé suffisait. Le rappel, quand il est un passage obligé, prend souvent cette tournure, le cordon ombilical qui vous relie au groupe ayant été coupé, on se retrouve un ton en dessous pour finir sur un étrange goût de trop peu, quand on se sentait rassasié deux chansons plus tôt. Rien de bien grave, les Flamands, en nous faisant découvrir une grosse partie de leur album à venir, s’annoncent incontournables. Magnifique.

Sur les trottoirs encombrés d’encombrants de Marseille, balayés par le vent et le froid, les Zitos comme toujours savent qu’ils auront beaucoup de route à faire pour rentrer dans leur trou, mais sans rancune, ce soir le jeu en valait vraiment la chandelle.


mercredi 18 avril 2012

Contre-courant : Debout les morts


De : Fred Vargas


Bon, inutile de tortiller du cul pour chier droit, Fank Zito n’aime pas l’œuvre de Fred Vargas. Son univers, ses personnages, ses mots, rien n’arrive à exciter son cœur de pierre. L’ennui frappe dès qu’il ouvre un de ses romans. Total. Absolu. Pourtant, en un dimanche pluvieux, et alors qu’il était bloqué à l’hôpital, dans un Relay qui proposait un linéaire des meilleures ventes, il y est retourné…

Isolé entre les mémoires de Jaques Chirac et les régimes Dukan, Debout les Morts tenait la place du dernier né de la reine du polar, L‘armée Furieuse. En rupture. Pas grave, il s’en empara sans enthousiasme. Deux raisons à cela. D’abord parce qu’il y a chez Zito une forme d’incrédulité à ne pas réussir à aimer une auteur de polar dotée d’une si bonne réputation. Ensuite parce que Debout les morts tient en moins de 300 pages là où L’armée furieuse en fait 430. Toujours ça de gagné, s'était-il dit en souriant tristement.

Grave erreur, car les 285 pages se sont avérées un calvaire intersidéral. Tout ce qui, chez Vargas, l’avait déjà indisposé se retrouvait dans Debout les morts. D’abord une intrigue bancale, capilotractée et mal tenue. De mauvaise augure pour la suite. En effet, cette histoire de Cantatrice qui découvre un arbre qu’elle ne connait pas dans son jardin sonne con dès la page dix. Horreur : il reste 275 pages à se farcir. Même pas peur, se dit Zito. Il aurait dû, car la suite avait tout du film d’épouvante.

Parti sur les chapeaux de roue n’importe comment, Vargas nous fait alors faire la connaissance des héros de son polar, trois étudiants en histoire qu’accompagne un vieux flic à la retraite forcée. Ces quatre calamiteux arrivent à louer une baraque (pourrie) à côté de la cantatrice. Vargas, à la peine, décide de nous la jouer BD. Chaque étage de la maison est habité par l’un des protagonistes, selon la période historique étudiée. De l’archéologue Mathias, au spécialiste de la Grande Guerre, surplombé par le vieux qui vit au présent. Dès lors pas une phrase ne sera prononcée normalement. Les « évangélistes », c’est leur surnom, parlent comme dans un jeu de rôle d’ado qui ont trop poussé sur la fumette. L’un se trimbale torse-poil avec une corde pour toute ceinture, l’autre porte de grosses bagouzes médiévales quand le dernier ne parle que de tranchée. Les métaphores les plus calamiteuses pleuvent. La redondance est de la partie. Relou.

Et ce ne sont pas les relations improbables entres les personnages qui arrangent la sauce. Du grand n’importe quoi du début à la fin, à ne pas en croire ses yeux. Excessif, soi-disant déjanté, tout sonne atrocement faux tandis que l’enquête piétine. L’idée, qui semblait être de faire du Tardi sans la justesse de trait du dessinateur, vire au cauchemar à grand renfort de références ringardes. Si les héros, censés être brillants, sont ridicules, vous n’imaginez même pas ce que l’on ressent quand Vargas se décide à croquer un personnage falot. De fait, elle en fait trop à chaque ligne, provoquant une gêne palpable dans la lecture. Eprouvant.

En bref : Fred Vargas a des tics que Zito juge indépassables, voir embarrassants. Si les auteurs de polars se font souvent de grand témoins de leur époque, la mère Vargas, elle, déroule un univers qui sent le renfermé et la production France Télévision. Coincé à l’hôpital, Zito aurait encore préféré se faire poser un anus artificiel qu’avoir à côtoyer « Saint Luc » « Saint Marc » « Saint Mathieu » et « Vandoosler le vieux ». Hélas, il n’aura pas eu ce bonheur.

dimanche 15 avril 2012

Ciné : Livide


Réalisateurs : Julien Maury, Alexandre Bustillo

Avec : Chloé Coulloud, Félix Moati, Jérémy Kapone

Année : 2011

Julien Maury et Alexandre Bustillo, anciens rédacteurs de Mad Movies, nous avaient laissés sur notre faim avec leur précédent film, un A l’intérieur sale, méchant et parfois con comme la lune. Sanglant, noir jusqu’au bout des ongles, ils avaient pourtant su développer une ambiance étouffante, assez éloignée des standards hexagonaux de l’époque. Sans tomber dans les travers insupportables du film de fan boy, très proche des standards hexagonaux de l’époque... Bref, il y avait quelques raisons d’avoir envie de suivre le travail de ce duo généreux, plein de promesses, mais qui ne maîtrisait pas totalement son sujet, A l’intérieur laissant au final un arrière goût de work in progress radical et sanguinolent.

Bonne nouvelle avec Livide, les deux réalisateurs n’ont pas perdu la main. Une fois encore ils ont mis l’accent sur la qualité. Qualité de la photographie et des décors d’abord, somptueux pour un projet de cette envergure. Mais aussi qualité des effets spéciaux, une nouvelle fois bluffants. Si l’ambiance de Livide est terriblement éloignée au départ de celle d’ A l’intérieur, elle laisse, elle aussi, un goût particulier, malade, quelque chose d’abîmé qui semble être la naissance d’une patte Maury/Bustillo. Ici tout est contaminé. Le trio de branquignoles pas nets, l’infirmière psychopathe, la comateuse moisie, les petits rats chelous. Chaque plan est infecté par la mélancolie. Une forme de tristesse désespérée qui détone de la production lambda, et qui fait tout le sel de Livide.

Mauvaise nouvelle, les deux réalisateurs ne transforment pas l’essai. Plus beau, plus chiadé, plus mainstream aussi, Livide conserve beaucoup des défauts d’A l’intérieur. Une fois de plus Bustillo et Maury peinent à maintenir la tension sur la longueur du métrage. Leur film de vampires se vit comme une succession de plans d’une rare beauté au liant trop faible. D’abord la faute à une direction d’acteurs perfectible. Les dialogues, assez quelconques et pourtant très écrits, sonnent mal dans la bouche d’interprètes qui, à l’exception notable de l’excellente Catherine Jacob, n’arrivent pas à sublimer des personnages mal dessinés. Ils finissent par donner une impression accessoire, celle d’exister dans l’unique but de nous faire visiter les décors à la féerie baroque du film. A l’image de ces jeux vidéo dont vous êtes le héros, on passe d’une salle l’autre pour découvrir des animaux empaillés, un cadavre utilisé comme boîte à musique, des poupées de porcelaines vintage. Prêt à donner deux euros pour le guide, Zito se rappelle in extrémis que l’on se fout comme d’une guigne de ce qu’il va bien pouvoir lui arriver.

Rédhibitoire ? Surement pas. Des pans entiers du cinéma de genre se sont joués avec des acteurs moyens incarnant des personnages navrants. Ce qui l’est plus, c’est que la générosité de Maury/Bustillo, canalisée dans un pavillon pour A l’intérieur, les emmènent, en s’éparpillant, à perdre la principale force de leur cinéma : son caractère viscéral. Car Livide, véritable fourre-tout gothique, qui convoque aussi bien Insidious que les jeux vidéo d’horreur, le cinéma espagnol contemporain et le cinéma italien du début des années 80, oublie de coller à ses personnages. Il les abandonnent un à un dans une brocante des horreurs généreuse en bonnes idées, mais dont aucune n’est creusée sérieusement. A trop vouloir remplir le film de séquences fortes visuellement, Livide ne laisse jamais un climat s’installer. Le temps à l’épouvante de la situation d’infuser. Et de finir par ressembler plus au cinéma du surestimé Bagualero qu’à celui dont Zito pense qu’ils ont le potentiel de prendre la succession : Lucio Fulci.

En bref : Livide, malgré des qualités indéniable, déçoit un peu. D’autant que, débarrassé d’une esthétique un peu trop Hellfest et d’un scénario-valise qui à trop vouloir embrasser étreint mal, le film avait le potentiel de frapper fort. Hélas, comme pour A l’intérieur, Bustillo et Maury peinent encore à domestiquer leurs qualités visuelles au dessus de la moyenne, le film se vivant comme une expérience à courant alternatif, passant du visuellement époustouflant aux séquences fades, indignes de leur talent. Finalement, l’ambiance ne prend pas, et le soufflé fait un peu pschitt. Les deux hommes confirment tout de même leur originalité, cette capacité à échapper du corset de la vraisemblance pour basculer dans un onirisme très personnel, à la noirceur de ton et au premier degré qui rappelle parfois le poète du macabre. A suivre avec attention.

vendredi 13 avril 2012

Game over : Take Shelter




Réalisateur : Jeff Nichols

Avec : Michael Shannon (II), Jessica Chastain, Tova Stewart


Année : 2011
 

2012 commence donc comme l’année 2011 s’était clôturée : sur un air d’apocalypse. Il faut écrire que tout semble foutre le camp, dans une perte de sens absolue, comme si la société de consommation abêtissante dans laquelle nous baignons du soir au matin était en passe de finir son grand œuvre : la perte de tout les repères en version universelle. C’est donc dans une unité thématique proprement hallucinante que les créateurs les plus divers se croisent sans s’être concertés pour raconter la finitude des choses. L’âpreté des temps modernes. Et notre impuissance pathétique à les aborder de front. 

Triptyque de malheur
 
Evidemment, Frank Zito ne parle pas ici de 2012, pur produit de l’abrutissement généralisé précité sur fond de sauce Maya. Non pas. Il se souvient surtout avoir été fauché par le terrible Mélancholia, la bombe de Lars Von Trier, et accessoirement plus gros morceau cinématographique de l’année passée. Film anxiogène par excellence, il racontait aussi bien notre suffisance que notre incroyable faiblesse devant un changement d’échelle assourdissant. Démonstration douloureuse, confirmée par Habemus Papam qui décortique le ridicule de la religion, incapable au début du troisième millénaire de répondre à une population perdue. Sans voix, infantilisé, le nouveau pape s’effondre lamentablement devant l’ampleur de son rôle, et les limites de son pouvoir. Le sol se fait fuyant, Nanni Moretti filme le dérisoire et nous fait comprendre que des valeurs cardinales, il ne reste que des cendres. Grotesque et visionnaire. Les religions ne sont que bouffonneries, croyances à ranger au côté des politiques agonisantes que personne ne semble plus être en mesure de conduire. Bref, on sonne le tocsin de la fin des illusions.



Take Shelter débarquait en début d'année comme pour conclure un triptyque conceptuel. Dès les premières images, l’ambiance respire l’anéantissement de la seconde partie de Melancholia. L’existence ne semble être qu’une mascarade, un vernis qui craquelle pour laisser place au vide intersidéral. A l’image de Justine, Curtis Laforce a des visions. La réalité, qui semblait douce hier, prend un tour inquiétant. Tout ce qui l’entoure semble vicié. La révélation du mensonge est total. Comme ces orages dont il est difficile de savoir s’ils n’existent que dans sa tête, ou s’ils sont bien porteurs d‘un cataclysme épouvantable. Pour instaurer le malaise, Jeff Nichols ne mise pas sur le spectaculaire, mais plutôt sur le contre champs invisible, ce ciel inoffensif vu au travers du regard tourmenté de Michael Shannon (II). La campagne de l‘Ohio, plate, découverte, laisse place à un horizon qui se recroqueville au fil du temps sur Curtis LaForce et sa famille, comme un étau qui se resserre, comprime l’espace jusqu’à son point le plus oppressant, cet abri pour tempête, béance humide au cœur d’une pelouse verdoyante, seul espoir d’un homme qui ne peut plus affronter l’avenir.

No future

Car, comme pour ses grands prédécesseurs, la fin des certitudes s’abat avec une brutalité rare sur la tête de ce bon père de famille croyant et travailleur. Miné par des cauchemars récurrents, celui-ci perd le sens commun des réalités pour s’harnacher à son seul espoir, cet abri sous terrain déraisonnablement cher, qui risque de lui coûter ses amis, son travail et sa famille. Mais quelle alternative ? Le monde s’écroule sous ses yeux, comme incarné par des parodies d’être humains jouant un rôle auquel ils ne croient pas. Les psychologues sont d’impuissants fonctionnaires, la médecine inabordable, la religion réduite à sa tradition de kermesse dominicale, jusqu’à la cellule familiale la plus intime, qui loin de la fusion attendue, laisse une impression glaciale de rapports humains acceptés par défauts. Le métiers se perdent du jour au lendemain, les proches réagissent comme des inconnus dès les premiers doutes, les dettes attendent comme les chiens l’occasion de mordre la main de leur maître. Rien n’est stable, tout est sable mouvant, et la seule chance de ne pas couler est de se terrer dans un trou et d’espérer que cela passe.


Michael Shannon incarne parfaitement cet état second. Son visage étrange, qui supporte très mal le surjeu -à l’image de sa prestation borderline dans Bug- apporte ici ce décalage qui rend vraisemblable l’incoercible. Le regard qu’il pose sur chaque chose l’anéantit. Le futur n’est que souffrance et idée fixe. A travers son mutisme et sa maîtrise apparente, il s’effiloche au fil du métrage jusqu’à finir par paraître dément et capable de tout. Mais il le fait par strates. Posément. Inéluctablement. Comme Christopher Walken dans Dead Zone, l’acteur porte ici son personnage avec une telle force qu’on n’imagine personne à sa place. Et pourtant, on s’y identifie tous. Car le monde que ce film nous dépeint semble bien être celui dans lequel nous vivons, celui où la gangrène du doute a tellement vérolé les institutions religieuses, économiques ou écologiques qu’il ne nous reste plus rien sur quoi s’appuyer. Si Mélancholia et Habemus Papam nous le démontraient à grande échelle, Jef Nichols s’attache à nous faire comprendre qu’il y a encore pire que ne plus faire confiance aux autres : c’est de ne même plus avoir confiance en soi même. Game over.


En bref : Avec son regard intense qui rappelle les plus belles heures de Christopher Walken, Michael Shannon scrute un horizon anxiogène. Dans ces temps difficiles, où tout ce qui était certain la veille ne semble plus être qu’une pathétique mascarade, Jeff Nichols apporte sa pierre à l’édifice désenchanté de l’air du temps. Avec brio, et sous un style auteurisant, il nous dépeint la fin d’un monde dans une atmosphère oppressante et paranoïaque. Miné de l’intérieur, méfiant envers et contre tous, Curtis Laforce sent bien que les choses ne tournent pas rond, que l’avenir est barré. Comme nous, il en est réduit à espérer que le ciel ne lui tombe pas sur la tête. Une espoir aussi égoïste que pathétique. Take shelter se pose comme une démonstration magnifique et désespérée qui nous laisse à penser que la fin est proche. Très proche.

mercredi 11 avril 2012

Double séance : Le Havre + 38 témoins


Réalisateurs : Lucas Belvaux / Alex Kaurismaki

Acteurs : Yvan Attal, Sophie Quinton / André Wilms, Jean-Pierre Darroussin
  

Année : 2012

Quand on n’a pas les moyens de se payer un voyage dans des destinations exotiques, quoi de mieux que le cinéma pour se déplacer à peu de frais. Vivre des expériences autres. S’aérer dans des univers oniriques, lever les yeux vers un écran géant pour s’offrir ce que Frank Zito ne possède pas sur sa Côte d’Azur haute en couleurs : des décors sinistres, des personnages sinistres, des histoires sinistres arrosés par une bruine sinistre. C’est vrai, quoi. Ras le bol du beau temps, de la plage et des palmiers. Destination le Nord, et les plaisirs d’un pays de cocagne dont tous les fruits sont gris.

L’occasion surtout, comme vous aurez pu le constater, de sortir du cliché qu’offre cette ville mal aimée du septième art et méconnue de votre serviteur. D’autant que les films à l’affiche avaient de la gueule, et une aura critique très favorable. Avec un verdict en demi-teinte toutefois. Car des deux, celui qui titillait le plus Zito était 38 témoins, son intrigue, son caractère authentique, son affiche très Simenon, ses critiques dithyrambiques. Vous dire la chute. Lourde. Très lourde. Comme le film d’ailleurs. C’est dire…

Une démonstration ignifugée au pathos

Lucas Belvaux a voulu développer une thèse, dénoncer l’ignoble lâcheté de ses 38 témoins, d’un crime devant lequel ils n’ont pas bougé le petit doigt. Qui ont pressé un polochon sur leurs oreilles afin de faire cesser les gémissements. Nié avoir rien vu, rien su, rien entendu. L’histoire, si belle, passionnante même, part mal dès le départ. On met du temps à comprendre les enjeux, à saisir l’importance du fait divers. Les témoins souffrent, apparaissent unilatéralement misérables et puants. Les regards se croisent, lourds de sens, signifiants jusqu’à donner la nausée et parfois déclencher le rire involontaire. Le regard de Belvaux passe par trop de filtres. Celui naïf, presque niais de Sophie Quinton. Regard qui se fait dur devant ce mari qui l’a déçue. Par celui de Nicole Garcia, plutôt en dessous dans son rôle de journaliste locale assez bancale, indécise et volontaire. Aussi parfois par ceux du procureur et des flics, plus intransigeants. Mais tous ces regards se croisent sans jamais former un ensemble. Inexplicable, lamentable, ce fait divers qui aurait pu éclairer Vichy finit par ne rien dire du tout.

Au-delà de la démonstration, le problème du film reste le crime lui-même, qui chancelle devant sa propre reconstitution. De l’ambigüité à l’incompréhension, il n’y a qu’un pas. Si peu intéressé par son meurtre, Lucas Belvaux semble ne pas se rendre compte que rien ne tient debout. Pris dans les œillères de sa charge bien pensante, obsédé par une envie de nuancer qui finit par tout brouiller, il quitte le domaine du cinéma, abandonne en cours de route le réalisme de son enquête, pour se vautrer dans une démonstration scolaire. Coupables, innocents, pourris, rien ne ressort de ce magma figé dans le temps, si ce n’est que les protagonistes écœurent Belvaux. Tellement qu’il ne les imagine pas autrement que minés par les remords. Bouffés du soir au matin par une introspection que le malheureux Yvan Attal, au top de l’absence de charisme, porte sur sa triste gueule. D’ailleurs tout le monde a une triste gueule dans cette reconstitution à forte dose de pathos et à l’absence quasi-totale de souffle. 38 témoins crève de manquer d’air, de vie, de réalité. Plat et finalement désincarné, quand il aurait pu nous la jouer coup de poing à la Boisset. Le film laisse un arrière goût de foirade à la hauteur de la prétention de son réalisateur. Poussif et tristement auteurisant.

Le Havre du Havre : Lumineux

Mais si 38 témoins boit la tasse dans le port, Le Havre prend son contre-pied absolu. Pourtant Alex Kaurismaki aussi a une thèse à défendre. Sa charge sur la situation des réfugiés en zone de stand-by est aussi douloureuse que celle de Belvaux sur la lâcheté ordinaire. La ville sert d’ailleurs pareillement de fond d’écran à la misère sociale. Mais là où le réalisateur belge se fourvoyait dans la grisaille de son histoire et la pesanteur de sa démonstration, Le Havre décolle avec une tonalité poétique proprement vivifiante. Quand on étouffait chez Belvaux, on vit chez Kaurismaki. Quand l’un nous offre une esquisse de ce qui se fait de plus caricatural dans les films d’auteurs, le Finlandais survole son sujet, comme touché par la grâce.

Face au jeu figé, superficiellement énigmatique et particulièrement fade des témoins havrais, les acteurs de Le Havre ont du chien, une identité, un goût. La photographie de cette histoire contemporaine est proprement magnifique. Tout rappelle le cinéma des années 60, quand le film de Belvaux nous raconte une histoire des années 60 avec un ton si contemporain qu’il lui fait perdre son authenticité. Le jeu de miroir entre les deux film est tellement défavorable au Belge que s’en est gênant. Aérien, Kaurismaki met en image son scénario avec les certitudes de ceux qui ne veulent pas en mettre plein la figure à leurs spectateurs, mais avant tout leur raconter une histoire. Sa thèse, il la fait passer après son film. Et c’est-ce qui la rend tellement virtuose, quand celle qui se voulait intellectuelle sonne lourdingue ? La magie résonne dans chaque dialogue, chaque confrontation, chargée d’une humanité qui sonne tellement plus juste que l’inhumanité caricaturale des 38 témoins de pacotille. Au final, Le Havre est une démonstration de force magnifique qui vous tord les boyaux.

En bref : Comme les deux faces d’une même pièce, 38 témoins et Le Havre, en prenant pour décor la ville portuaire la moins sexy de France, semblent danser un tango mortel pour le premier. En effet, avec son côté réaliste cru, moralisateur, sur-signifiant, Belvaux avance sa thèse de petit bourgeois dans un film aussi laid que ses personnages, et au bout du compte aussi peu crédible. Quand Kaurismaki ancre sa caméra dans le cinéma français le mieux ourlé pour raconter sous la forme d’un poème, l’horreur de la situation des rapatriés. De la thèse du premier, on ne retient rien, si ce n’est une bouillasse mal tenue et déstructurée. Du second, que l’inhumanité du pouvoir doit être combattue par tous les moyens, et que le cinéma peut en être un d’une redoutable efficacité. Brillant.


lundi 9 avril 2012

Video-club : The last winter


Réalisation : Larry Fessenden

Avec : James Le Gros, Ron Perlman, Connie Britton

Année : 2006
 
Plutôt que se ruer vers le remake/préquelle/quenelle de The Thing, dont on se fout comme de notre dernière chemise, nous avons préféré nous tourner vers The Last Winter, bobine réputée efficace, dans laquelle on suit une équipe de scientifiques isolée en Alaska basculer dans l’étrange, aux prises d’une force indicible. Sûr, toute ressemblance avec The thing est évidement fortuite, pourtant cela incommode moins que le remake fadasse, cet objet commercial chargé de siphonner les spectateurs sur la base d’un name dropping ridicule, et qui finit le plus souvent par donner un produit qui dévalue définitivement l’original.

Entre la référence et le remake gluant type The fog ou Freddy, il restera toujours un pas, qu’on pourrait qualifier de créatif, et c’est-ce pas qui rend ici le projet de Larry Fessenden séduisant. Car si The last Winter avait été un simple remake, on se serait coltiné les mêmes personnages suivre les mêmes dédales d’une histoire connue, dans une sorte de jeux des sept erreurs où le seul perdant est toujours le spectateur qui passe son temps à regretter l’original. Alors que Larry Fessenden, s’il marche dans les pas de Big John, profite de la correspondance entre son The Last Winter et The Thing pour jouer d’un décalage presque poétique qui n’handicape jamais le métrage. L’équipe est la même à quelques détails près, le décor semblable au point de paraître identique, mais l’histoire dérive, vogue de ses propres ailes, se démarque nettement de l’agressivité primale de La Chose pour finir elle aussi par sonder au plus profond, les failles de l’être humain.

La tonalité du film, désespérée, lancinante, presque douloureuse, dit à chaque plan que quelque chose dans notre monde est pourri. Que personne ne sortira indemne de cette zone d’exploitation pétrolière qui sert de métaphore vibrante à la folie meurtrière dans laquelle l’homme s’est engagé.

Intelligemment, Fessenden se laisse le temps, n’excite pas artificiellement son métrage, joue à fond de l’unité de lieu, de l’isolement, de la claustrophobie ambiante. Sourde, l’hostilité de la région et du climat, imprègne patiemment la pellicule, s’impose aux hommes comme aux baraquements qui semblent de bien pâles remparts face à cette étendue neigeuse infinie vue comme une énergie primitive. De cette ligne de force visuelle, le réalisateur tire une allégorie écologique aussi vibrante que rudimentaire, à l’efficacité redoutable. Empêtrés dans les contradictions humaines les plus contemporaines, qui voient la nature opposée à la finance dans un bras de fer désuet, les personnages ne sont que des marionnettes qui s’ébrouent dans une histoire qui les dépasse, une histoire ancestrale qui fut leur berceau et sera leur tombe. Inexorablement, la nature reprend ses droits, balaye le campement comme le loup la maison des trois petits cochons, refuse aux hommes toute rédemption. Reprend tout simplement ses droits.

En bref : Son minimalisme magique, ses acteurs au cordeau (dont un Ron Pearlman en roue libre bien plus pathétique et crédible que dans le rôle grotesque du patriarche de Sons of Anarchy) sa musique planante et sa mise en images somptueuse sont parfaitement adaptés à son propos simpliste mais pas simplet, The Last Winter sort du lot commun et nous fascine même grâce à une réalisation élégante et inspirée, un discours offensif et une poésie brutale. Du lourd en apesanteur à découvrir d’urgence.

samedi 7 avril 2012

Inrocks : Nous ne vieillirons pas ensemble


Voilà maintenant plus d’un an, deux peut-être, les Inrockuptibles ont mué. Motivés par des pertes sèches et la volonté de grossir pour ne pas mourir. Grossir mais à quel prix pour un titre qui avait déjà perdu beaucoup de son âme au fil des ans ? Qui s'était embourgeoisé. Avait cédé tour à tour aux sirènes du réseau, du marketing et de la toute puissance des départements publicité. Bonne nouvelle, les ventes de la nouvelle formule sont excellentes : +33%. Dans les réunions des professionnels de la presse, des hommes d'affaires soulignent cette réussite en pointant du doigt des courbes ascendantes. C’est la fête à tous les étages. La joie. Pourtant, et si Zito ne connait personne aux Inrock, son petit doigt lui dit que dans la rédaction, cette joie doit être particulièrement amère.

Adieu Technikart, bonjour l'Express

Il faut écrire qu'avec Mathieu Pigasse à sa tête, la ligne politique est devenue la priorité de l'hebdomadaire culturel qui, s’il s’assumait de gauche, n’avait jamais roulé officiellement pour un parti. Nombre de lecteurs se foutaient d’ailleurs de cette inclinaison naturelle. Mais il faudra s’y faire, pour les Inrocks, la musique, les arts ou le ciné sont maintenant secondaires. Le créneau, c’est le news magazine orienté. Dès lors, on demande aux buralistes de le ranger entre le Nouvel Observateur et le Point, ses nouveaux concurrents. Adieu Technikart ou Chronicart, bonjour l’Express et VSD ! Avec à la barre des éditocrates mous du genoux type Serge July ou Thomas Legrand… On croit rêver. Dès les premiers numéros, la messe est dite, avec les pages culturelles remisées en cul de périodique, à la traîne d’une partie news aussi copieuse qu’indigeste.

On pourrait penser que cela ne change pas grand chose à l'affaire. Que les Inrocks, on a toujours aimé les détester. Que leur parisianisme emprunté, leur côté Télérama laïc, cette ambiance électro folk fadasse était tout aussi facile à moquer que cette ligne éditoriale en forme de coulure tiède de robinet qui fuit. Mais la presse culturelle est rare, et malgré ses tics, ses vanités et sa préciosité agaçante, on y découvrait beaucoup. On y rêvait même parfois. Avec cette impression de toucher de près à quelque chose de précieux.

Mais là, horreur ! De pleines pages de dossiers relous, des entretiens sans saveurs qui racontent le comte de Paris progressiste ou flattent un Delanoë dans des entretiens qui rappellent la Pravda. Les reportages s’enchaînent sans passion, parlent des twittos politiques, de Morano, Jospin, Fabius, Sarkozy, on croirait BFM papier. On s’emmerde. Mais on s’emmerde. Si encore les sujets étaient traités avec hauteur, d’un point de vue original, n’importe quoi, mais non, rien qui ne ressemble pas à leurs nouveaux confrères. Demain Laurent Joffrin ou Franz Olivier Giesbert pourront postuler pour y être rédacteur en chef, Apathie et Duhamel viendront peut-être y faire des piges. Chez les dentistes progressistes, on le retrouvera dans les salles d’attente avec Gala, Closer et Marie claire. Misère…

De l'insoumission à la compromission

Et les pages culturelles alors, dont la direction s’était vantée de ne pas perdre une ligne ? Jurant leurs grands dieux que la news c’était du bonus et rien que du bonus ? Dévaluées par la bouillie qui la précède, elle semble comme vérolée. La médiocrité infuse tout. Là où l’on pensait culture de gauche, le caractère encarté de la nouvelle ligne éditoriale dévoile le pot-aux-roses. La compromission intellectuelle est de rigueur.  La dévaluation totale. Les pages sentent l’accessoire. On imagine leurs rédacteurs remisés dans les bureaux les plus éloignés du cœur de la machine, avec les encombrants. L’encéphalogramme des Inrocks est plat, la passion ne transpire plus, l’hebdo est mort de son vivant. Il n’aura donc pas fallu deux ans pour que le titre avec lequel on était fiers de s’afficher soit devenu quelconque. Pire même, on le fait encarter par son marchand de journaux dans Nice-Matin avec Femina et Télé magazine. C’est moins embarrassant.

Pourtant si chaque semaine nous éloignent de ce qu’il a été, personne ne se plaint de ce virage. Car tout le monde se fout aujourd’hui des Inrocks, comme tout le monde se fout du Nouvel Obs, du Point et de l’Express, si ce n‘est le microcosme médiatique si cher à Mathieu Pigasse. Survolé par plus de monde, il n’est finalement lu par personne. Le 15 mars 2010, son fondateur Christian Fevret le quittait en déclarant sur un air de Requiem : « Vingt-quatre ans après avoir fondé, Les Inrockuptibles, c'est avec une émotion toute particulière que j'ai décidé de quitter le journal pour me consacrer à des projets personnels. Nous avons toujours voulu que Les Inrocks soit en mouvement permanent, réfractaire au sur-place et aux institutions, fidèle à son esprit d'insoumission, en quête de nouveauté et tourné vers l'avenir.». 24 ans. Même pas 27. Ç’aurait pourtant été un bel âge pour crever. Adieu l’ami.

vendredi 6 avril 2012

Bulle : Maus


Auteur : Art Spiegelman

Maus. Le jeune Arty pleure à chaudes larmes. Ses amis l’ont laissé tomber après qu’il ait lamentablement chuté à rollers. Son père, qui le questionne sur les raisons de ce chagrin, arrête séance tenante la coupe qu’il effectuait à la scie pour s’étonner avec gravité : "Des amis ? Tes amis ? Enfermez vous tous une semaine dans une seule pièce sans rien à manger… alors tu verras ce que c’est les amis!…"

C’est à partir de ce souvenir d’enfance qu’Art Spiegelman introduit l‘histoire de MAUS, témoignage d’un rescapé d’Auschwitz qui, au crépuscule de sa vie, et sans forcément en éprouver le désir, va transmettre à son fils son expérience des camps de la mort. Une première en bande dessinée, même si MAUS, et c’est-ce qui en fait le monument incontournable qu’il est, arrive à ne pas se résumer uniquement à la Shoa, le dessinateur en profitant pour nous offrir une tranche de vie d’une valeur tout aussi précieuse que les évènements qu’il raconte.

Et d’abord en s’appuyant sur un artifice qui a fait sa célébrité. Dans MAUS, comme dans Mickey Mouse, les personnages sont représentés par d’inoffensifs animaux. Ici, les juifs sont des souris, les allemands des chats, les polonais des porcs et les français des grenouilles. Si ce n’est que l’effet, au lieu d’être édulcoré comme chez Disney, est inversé par l’horreur du sujet traité. On observe donc la souris Vladeck raconter à son fils Auschwitz à la première personne, mais aussi se pencher sur sa vie passée, depuis ses premiers amours et ses ambitions passées jusqu’à son amertume et ses certitudes forgées par cette expérience hors du commun. Prenant ancrage dans un récit de jeunesse de toute beauté et des épisodes de conversations intimes proprement étourdissantes, Spiegelman, avec son noir et blanc tranchant, son trait épais et sa technique si touchante frappe au cœur et nous bouleverse bien au-delà de l’évidence de l’enfer des camps.

Car loin d’être scolaire, le récit de Vladeck s’écoule sans pathos, mené par ce père vieillissant avec qui il est si compliqué de communiquer et qui, s’il n’a rien oublié, déballe sa vie avec une apparente désinvolture, avance dans sa légende avec la pudeur de ceux qui n’osant se raconter, livrent tout jusqu’au moindre détail. Le dessinateur emboîte d’ailleurs son pas avec courage en se mettant lui aussi à nu. Il livre avec cet ouvrage un témoignage touchant sur l’éternelle complexité des relations père/fils et délivre des anecdotes qui donnent une épaisseur singulière à MAUS. Il n’y a qu’à voir ce moment où, trouvant qu’Arty a une veste râpée, Vladeck la fout à la poubelle pour lui donner un de ses coupe-vent flambant neuf alors que son fils a trente ans…

Personnage hors du commun, survivant de l’impossible, pris dans une course éperdue avec les chambres à gaz comme épée de Damoclès, Vladeck est tout autant ce vieil homme inconsolable du suicide de sa femme, son Anja bien aimée -Arty insérant dans MAUS son « prisonnier sur la planète enfer », récit déchirant de sa propre réaction à la mort de sa mère- que cet impayable radin qui laisse le gaz allumé parce qu’il est compris dans le loyer afin de ne pas gaspiller ses allumettes. Et Spiegelman de nous donner le coup de grâce dans une seconde partie mortifère, dévorée par les idées noires et la mort, même s’il arrive toujours à nous rappeler au détour d’une case que le bonheur peut se cacher dans un morceau de pain déniché alors que l’on crevait de faim. Que l’amour est-ce qu’il y a de plus beau. Et aussi que la vie s’accroche. Toujours.

En bref : Rarement prix Pullizer n’aura été aussi mérité que celui attribué à MAUS, l’intemporelle bande dessinée d’Art Spiegelman qui a réussi à traiter l’Holocauste par le biais de son père, un vieil homme capricieux et avare, d’une beauté irradiante, que l’on meurt d’envie de prendre dans ses bras pour le remercier de nous avoir offert ce témoignage. Comme l’écrit si bien Umberto Eco, « Maus est un livre que l’on ne referme pas, même pour dormir. Lorsque deux des souris parlent d’amour, on est ému, lorsqu’elles souffrent, on pleure. ». Un indiscutable chef d’œuvre.

mercredi 4 avril 2012

Retour vers le futur : Iron Maiden



Le rachat d’une platine à l’heure où les vinyles semblent reprendre du poil de la bête (tout cela grâce à une industrie musicale aux abois, prête à réinvestir dans les gramophones et les mange-disques si un marché se présente ) a rendu Frank nostalgique…

C’est que ses vieilles galettes, rangées depuis des années en colonnes poussiéreuses, avaient fini par disparaître de son existence. Leurs rares contacts, en l’absence de chaîne stéréo, ne réveillaient même plus les souvenirs émerveillés de leurs achats. De cette époque où l’on allait chez le disquaire du quartier dépenser ses francs misérablement économisés sur un argent de poche immérité. Pire, le temps passant, revenir à ces redoutables années métal sur des supports dématérialisés avait comme désenchanté ces sons jadis magiques. AC/DC, Maiden, Motorhead, Priest, Anthrax, Testament, j’en passe et des Megadeth semblaient avoir définitivement perdu leur mordant. Sans râtelier, ils s’étaient liquéfiés en une bouillie d’ambiance Heavy compassée sur disque dur, aussi inodore, indolore et indigeste qu’un régime sans sel.

Cette musique, tout comme son époque, ne pouvait reprendre son sens que dans ces vieux atours. L’occasion donnée de poser à nouveau un diamant sur les 33 tours oubliés, de faire craquer leurs microsillons, de raviver leur magie. Le bruit, la fureur, les hurlements, jusqu’à la folle modernité parfois, tout revint en bloc à Zito. Plus qu’une madeleine, c’est un panettone qu’il s’est soudain farci. Haut en couleur, souvent lourd, parfois indigeste, mais additif comme à leurs premières heures. Cheveux de feux, tatouages diaboliques, ceintures militaires et bracelets à clous. Tout ce tintamarre, cette quincaillerie, lui tiraient les poils sur la nuque. Ce bordel. Assourdissant. Et soudain les souvenirs. Les vrais. Ceux qui disent quelque chose d’un temps que l’on croyait perdu à jamais.

En slip, les doigts levés vers le ciel, un rictus mauvais sur le visage, et même s’il se rend bien compte qu’il ressemble plus à Demis Roussos secoué par une indigestion plutôt qu’au metalleux  agressif qu’il fut, Zito va donc vous faire partager une vérité connue de tous il y a vingt cinq ans et dont il ne sait pas si elle a passé le millénaire. Cette vérité velue, c’est qu’à l’image d’AC/DC et sa période Bon Scott, Iron Maiden a existé avant de devenir le barnum médiéval qu’il est devenu. Et à le réécouter, Zito peut vous dire que quand même, Maiden, c’était mieux avant…

Urbain et glauque avant d'être médiévalo-toc

Il n’y a qu’à regarder Eddy « The Head ». Les pochettes des deux premiers albums, jusqu’à celles des maxis sortis à l’époque, respirent l’urgence, la brutalité, la violence même. Urbain, glauque, Eddy rôde dans les faubourg de Londres, prêt à saigner le premier bourgeois qui passe. Ca pue la révolte sociale, la haine du pouvoir en place. Eddy arrache un poster de Thatcher. Pour sûr s’il le pouvait, il lui ferait sa fête, à la rombière qui met alors le peuple à genoux. La musique est au diapason de cette révolte, brutale, sans fard aucun, elle accroche les oreilles d’une manière assez particulière, qui n’est  pas celle du Maiden d’aujourd’hui. Habitée par quelque chose de pressant, d’efficace, d’enragé.

Le chanteur, Paul Di’anno, ravagé par la drogue, apporte de fait une saveur toute spéciale à la sauce Harris. C’est le contrepoids idéal à ce maniérisme musical qui tend déjà vers une certaine forme de progressif. La voix moins puissante que celle de Bruce Dickinson, plus menaçante aussi, ancre la vierge de fer dans son époque. Les pieds solidement arrimés au bitume londonien et pas chaussé dans des éperons féeriques. On croirait qu’il va nous saigner dans une impasse pour payer sa dose. Di’anno respire le punk, il chante sale et méchant quand Bruce Dickinson pousse sa voix claire et puissante comme le commandant d’un vaisseau en partance pour un combat intergalactique. Seul ce deuxième à résisté au temps. Gesticulatoire, spectaculaire, sportif, le Maiden de Dickinson place ses tubes dans des concerts dantesques depuis des décennies. Eddy the Head est devenu une mascotte gonflable qu’on exhibe pour faire rire les enfants. Puissant, joyeux, leur Heavy métal plein d’héroic fantasy avance dans une galaxie que l’on croirait jouxter celle de Raël.

Zito l’apprécie. Mais quand même, loin du compte médiévalo-toc qui ne peut plaire qu’aux initiés, dans un temps que les moins de trente ans ne peuvent pas connaître, se nichent deux pépites farcies de standards monstres, pleines d’une intensité tourmentée, qui voulait tout renverser sur son passage. Et de redécouvrir que, comme Zito, la Vierge de fer a eu une jeunesse. Et Maiden, avec les dents, c’était quand même quelque chose…


mardi 3 avril 2012

Cronenberg : A Dangerous Method



Réalisateur : David Cronenberg

Avec : Keira Knightley, Michael Fassbender, Viggo Mortensen

Année : 2011

A-t-on le droit d’être injuste avec son hôte ? De tomber sur un être qui ne l’aurait pas forcement mérité ? De s’acharner sur un vieil homme, binoclard de surcroît, quand il a eu l’obligeance de vous faire passer une délicieuse soirée ? De vous offrir un spectacle distingué, chic et élégant ? Et puis il s'est rendu coupable de quoi, Cronenberg ? D’avoir eu le mauvais goût de peaufiner son film aux petits oignons, d’en bichonner chaque détail, de livrer son introduction à la psychanalyse avec l’amour du travail bien fait ? Coupable de rien, bien sûr ! Frank Zito le premier pourrait passer la soirée à s’extasier à vos côtés sur les qualités de la nouvelle livraison du maître canadien. En savourant par exemple son acting first classe, tout plein d'acteurs au sommet de leur art qui habitent leurs déguisement avec un naturel… et puis disserter sur cette image léchée… ces décors… c’est qu’on s’y croirait, à Vienne, au début du siècle dernier. Denise a dû être contente. C’est vrai, quoi, la sœur Cronenberg, chef costumière, y fait fureur ! Ah cette ombrelle d’époque, ces falbalas, ces petites lunettes cerclées d’or… quelle authenticité ! Et ne parlons pas de la mise en scène. Un sommet de raffinement. La maitrise parfaite. Jamais un plan plus haut que l’autre. Des raccords ourlés comme de la fine dentelle. Une discrétion racée, avec ce qu’il faut d’incarnation pour ne pas être fade, mais rien de trop épicé afin ne jamais incommoder le spectateur confortablement installé. Et pourtant aujourd’hui, il n’a qu’une envie Zito : lui écraser sa bobine merveilleuse sur le coin de la figure, à Cronenberg. Et d’y foutre le feu. Juste comme ça. Pour voir si le père de Vidéodrome réagirait, où s’il resterait civilisé, poli, soufflant avec courtoisie sur les braises naissantes pour mieux les attiser... Allez savoir, vous. Même Bernie Bonvoisin a fini par voter Modem trente ans après avoir craché à la gueule de tout ce système...

Encéphalogramme plat et fessées pudiques

Et pourtant, le potentiel était là, bien présent. Un sujet en or à plusieurs étages. Des balbutiements de la psychanalyse à la dispute entre Freud et Jung, en passant par une histoire amorale au potentiel fou. Seulement le scénario, mal agencé, met une demi heure à s’effondrer sous le poids de sa propre ambition. Au lieu de creuser au plus profond, d’enfoncer la caméra là où ça fait mal, Cronenberg suit posément un script formaté qui entend ne rien laisser de côté. Aussi, dès la sortie de Sabina Spielrein du cabinet de Jung, où celui-ci tente de la guérir de son hystérie grâce à la psychanalyse de son maître à penser, partie assez intense qui nous laisse espérer le meilleur, le film explose à trop vouloir embrasser son sujet le moins intéressant, c’est-à-dire mettre en image doctement une «psychanalyse pour les nuls».

Dominé par ce surmoi, ce besoin irrépressible de raconter le plus justement possible une histoire vraie, Cronenberg tombe dans les pires travers du biopic en costume. Sage, terriblement sage, à l’encéphalogramme aussi plat que les fessées pudiques administrées sans conviction par le professeur Jung à sa jeune patiente et néanmoins disciple, le film enchaîne les séquences avec une certaine lourdeur universitaire. Exit dès lors, toute possibilité de déborder de son cadre, tout sensualité même, un comble pour celui qui avait réussi dans d’autres temps à érotiser une télévision et à rendre une machine à écrire vaginale. Ici la chair paraît triste, sans saveur, et Sabina Spielrein d’apparaître soudain pour ce qu’elle est : un simple prétexte grimaçant à raconter le duel au sommet entre Freud et son disciple, une astuce narrative qui ne sera jamais le cœur du sujet.

De Scanners à La gloire de mon père

Dès lors tout est survolé, comme résumé. Il manque indubitablement à l’entreprise un point de vue, un regard, celui de son auteur. Las, Cronenberg suit religieusement le scénario de Christopher Hampton, se fait discret et s’avère incapable de s’approprier son film dont le titre restera un effet d’annonce jamais exaucé. Ainsi nous enchaînons mollement l’amitié entre les deux psychanalystes, l’apparition superflue d’Otto Gross -Vincent Cassel, rarement aussi mauvais que lorsqu’il est dirigé par Cronenberg-, les doutes, incarnés par le célèbre voyage à New-York, la liaison inévitable entre Jung et Sabina, son déclin, pour en arriver à la fracture épistolaire et définitive. Tout le monde est impeccable, le film roule sur du velours, même si, à l’image de ce transatlantique digital qui fend un océan scintillant de pixels grossiers, l’ensemble laisse un goût quelque peu toc dans le palais. Pire, il prend parfois des allures de Jean de Florette viennois, si ce n‘est qu’ici Hugolin réussit à se taper Manon des sources, sous le regard lourd de signification du papet qui tire silencieusement sur son gros cigare en hochant la tête d’un air entendu. Produit par Berry, on se serait félicité de cette saga qualité France. Tourné par le pape de la nouvelle chair, on a un peu envie de pleurer.

En bref : A Dangerous Method, qui n’en a que le nom, s’avère être un spectacle délicieux, comme le disent les vieilles dames venues s’encanailler chez un réalisateur habitué à appuyer là où ça fait mal. Hélas, c’est un Cronenberg emprunté, voire pudique, qui dirige la manœuvre. Le Canadien joue ici, à notre grande surprise, le premier degré au détriment de l’ambigüité et de la sensualité, à l’image de son Jung, sérieux moustachu, raide dans son caleçon et droit dans ses bottes. Ses protagonistes ne s’incarnent pas autrement que pour ce qu’ils sont : des personnages historiques pris dans leurs propre mythologie, auquel Cronenberg ne réussit jamais à donner de la chair. Après des promesses de l’ombre aussi surcotées que ratées, Cronenberg s’éloigne donc de plus en plus des contrées qui en avaient fait le Francis Bacon du cinéma mondial, et se retrouve à deux doigts de venir s’échouer sur les côtes calibrées du biopic hollywoodien. Tourné par Sir Richard Attenborough, on aurait dit bravo. Mais dirigé par Cronenberg, cette Dangerous Method propre sur elle, laisse comme un goût d’inachevé.