Réalisateur : Léo Joannon
Avec : Stan Laurel, Oliver Hardy, Suzy Delair
Année : 1952
Atoll K -aka Utopia- est le dernier film tourné par Laurel et Hardy,
trente ans après leur première collaboration. Et c’est peu d’écrire qu’il fut
perçu comme un terrible échec à sa sortie. Trop vieux. Pas assez rythmé. Trop
long. Bref, un navet ou pas loin. Pourtant Frank Zito, qui fêtera dans moins
d’une semaine un âge canonique pour les ados et regretté par les ancêtres, en a
gardé un souvenir ému. Bercé par le duo durant toute sa prime jeunesse, il était
loin d’avoir trouvé le film plus mauvais que les autres. Mieux même, ces
éléments fantastiques s’étaient gravés profondément dans sa mémoire. Cet atoll
fumant qui disparaissait dans des flots déchainés, cette ambiance crépusculaire
et burlesque à la fois l’avaient marqué à jamais. Aussi, apprenant qu’Arte
rediffusait l’intégrale du duo était-il resté à l’affut, prêt à saisir
l’occasion au vol d’anéantir un souvenir d’enfance pour en faire une chronique
dévastatrice, sur un air de requiem pour comiques déchus. Et bien ballepeau !
C’est l’affreux mouflet qui l’a emporté haut la main, avec ses dents de la
chance et son air con, sur le cinéphile grincheux qu’il est devenu. Une
chronique charnière donc, qui prouve que sous son torse velu, un cœur d’enfant
palpite encore...
Esprits chafouins et prostate défaillante
Enfin bref, la première chose qui frappe, à la revoyure d’Atoll K,
c’est la qualité des gags. Les esprits chafouins pourront écrire qu’ils avaient
fait mieux avant, force est de constater que la mécanique d’écriture est là,
précise, incisive même. Découpées au cordeau, les séquences s’enchaînent, drôles
et agaçantes, comme souvent chez le duo qui sait jouer avec les nerfs des
spectateurs à merveille. Déplumés par des notaires vénaux, maladroits dans leurs
manœuvres, enfumés par un passager clandestin, Laurel et Hardy déroulent leur
talent presque sereinement, éloignant à chaque plan l’idée même du naufrage
annoncé. Pourtant les faits sont là : ils ont vieilli. Au lieu des 12 semaines
de tournage, Atoll K s’étire péniblement sur 11 mois, la faute à un Stan
Laurel usé, qui multiplie les passages à l’hôpital. Mais de cette histoire, rien
ne ressort. Visuellement, le duo fait des merveilles. Oliver Hardy
est tyrannique et maniéré, Laurel naïf et benêt. Leurs traits sont peut-être
plus marqués, leurs rides plus profondes, mais cela sert leur personnages plus
vulnérables et attachants que jamais.
A cela s’ajoute un exotisme tout particulier qui, à l’époque,
aura peut-être joué contre la réputation du film. Mais plus de soixante ans
après, on peut y trouver matière à le revaloriser plus encore. Laurel et Hardy,
de fait, n’ont rien tourné ensemble après guerre. Anachroniques, pas vraiment
attendus dans leur propre pays par des majors pour qui les mouches ont changé
d’âne, c’est entre Marseille et les Studios Billancourt qu’Atoll K voit
le jour, co-produit par la France et l’Italie. Pour assurer leurs arrières, les
producteurs leur associent Suzanne Delair, star que l’on qualifierait
aujourd’hui de bankable. Une première pour ces têtes d’affiches, c’est dire
l’humilité de leur retour aux affaires. Et c’est ce qui explique l'histoire
parallèle de Chérie Lamour à Tahiti, les séquences chantées, les bavardages
estampillés comédie populaire française plutôt que Laurel et Hardy movie.
Dernier round et mise en abîme
En bref : Conclusion réputée imparfaite, mais haute en couleurs, d’un
des plus mémorable duo de comiques de l’histoire du cinéma, Frank Zito s’était
souvenu du bien que le film lui avait fait. Mais il avait aussi lu le déluge de
merde qui lui était tombé dessus. Après y être revenu, il peut vous le dire, à
vous, qui avez gardé un cœur d’enfant, qu’Atoll K est une bombe.
Humaniste, véritable compilation de classique gag du duo, les deux vieilles
bourriques font un dernier round sans se prendre au sérieux. Et si le message
est moins brillant et signifiant que celui de Charlot dans les feux de la rampe, il n’en est pas moins
testamentaire dans le fond. Pourtant, loin d’adopter la forme du requiem,
Atoll K se pose comme Laurel et Hardy movie simple et sans fioriture,
magnifique de modestie, point final gracieux de ces deux gentlemen à
l’incroyable complémentarité au monde du septième art. Film somme à la
simplicité déroutante, il accompagne la sortie sans flonflon ni trompette de ces
deux artistes qui voulaient en finir comme ils avaient commencé : dans un grand
éclat de rire. Burlesque et humain.