mardi 13 mars 2012

Lucarne : Lucky Louie + Louie


De et avec Louie CK

Pour les retardataires, qui ne sauraient pas encore qui est Louie CK, standupper américain qui connait aujourd’hui la gloire outre-Atlantique, le billet qui suit risque d’être un peu nébuleux. En effet, Frank Zito vous y parle non pas d’une, mais de deux séries qui ont comme personnage principal Louie, incarné par le Louie CK susnommé, mais dans des formats, et des genres totalement différents. Pourtant, le fond de sauce y est le même, à base de haine de soi, d’objectivité brutale et de récits crus qui racontent la quarantaine ratée dans une société contemporaine agressive. Dans le deux cas, on rit beaucoup. Dans les deux cas, souvent jaune.

D’abord Lucky Louie qui, comme le titre ne l’indique pas, n’est pas vraiment l’histoire d’un gars chanceux. Voyez plutôt : A trente huit ans, Louie vend à mi-temps des pots d’échappement pour un pote et réside dans un appart miteux avec son épouse, dont la libido est émoussée par un travail d’infirmière mal rémunéré. Et c’est comme si l’enthousiasme de l‘entrée dans la vie adulte, dont il ressent encore le goût sans plus en cueillir les fruits, s’était délavé dans cette existence morne qu’il n’aurait jamais imaginé mener : celle d’un homme mur, dégarni, grassouillet et lessivé, père d’une gosse difficile, affublé de voisins qui le méprisent et d’amis qui lui rappellent de par leur seule présence sa loose insondable.

D’un premier abord, on pourrait croire son écriture féroce alourdie par le format sitcom, mais ce serait grossièrement se tromper. Loin de se laisser distraire par sa dimension familiale, Louie CK en dynamite ses codes. Les rires du public accompagnent ainsi des histoires de loyers impayés, de problèmes éducatifs, d’argent destiné aux courses mal dépensé, de misère sexuelle ou de genèse embarrassante d’un 4 juillet spermicide. Et si le couple très attachant qu’il forme à l’écran avec la formidable Pamela Adlon peut laisser croire que l’on se trouve devant une série juste distrayante, on en est vite pour son argent. En 13 épisodes, Louie CK nous réconcilie avec un format que l’on croyait périmé depuis la fin de Seinfeld. Vous dire le tour de force.

Trop saignant, pas assez formaté, sûr que Lucky Louie ne pouvait pas s’enraciner aussi facilement dans le paysage télévisuel US, aussi se termine-t-il au bout d’une seule saison sur un climax terrible, preuve de l’incroyable exigence de son auteur, pas vraiment prêt à jouer la concession.

D’où le plaisir, trois ans plus tard, de le retrouver dans Louie. Même plus Lucky, c’est vous dire si l’heure est grave. Séparé de sa femme, pas la même que dans la sitcom, nous retrouvons Louie CK dans une sorte de fausse autobiographie. Articulé autour de sessions de Stand up dont on ne peut jamais savoir si elles sont mises en scène ou spontanées, Louie délivre sous forme de saynètes douces-amères, le naufrage de la sa vie de quadra new-yorkais tout juste célibataire, sans atout physique particulier et sans argent. Il drague comme il peu, tente de remplir le vide de sa vie quand une semaine sur deux ses deux filles retournent chez leur mère, et de leur survivre quand elles sont à la maison. Tout est compliqué dans Louie, grisâtre voire pénible. Pour autant, rien n’est glauque. Il contemple l’humanité comme un scientifique impartial, questionnant la vie comme un enfant. Pourquoi les choses sont-elles toujours aussi compliquées ? Semble-t-il se demander, pour creuser sans fin la question, à l’image d’un Daniel Clowes, et nous faire découvrir toutes les facettes d’une société qui sait se faire humiliante quand on a pas les bonnes cartes en main.

L’écriture, plus sophistiquée, part dans tous les sens. D’un épisode l’autre tout change, sa femme, sa mère, ses amis jusqu’à son appartement. Tout est crédible et pourtant tout est faux. Et si le caractère autobiographique est curieusement ébranlé avec ces mouvements presque imperceptibles autour du réel, le désespoir d’une existence ratée reste criant de vérité. Le regard consterné et naïf de Louie se pose avec force sur tous les compartiments les plus douloureux de l’existence. La faiblesse physique, la cruauté, la violence, le sexe et la mort se cooptent autour de son personnage balloté, incapable de contrôler des évènements parfois insolites. Il donne alors le sentiment d’être au crépuscule de sa vie alors qu’il vient d’avoir quarante ans. Magistral, lunaire, hilarant et tendre même, il sait aussi nous mettre mal à l’aise dans des scènes de tensions parfois insoutenables, ou au bout de raisonnements cruels de réalisme qui vous retournent des vérités que vous croyiez incontestables pour vous abandonner sans dessus-dessous.

En bref : Une sitcom et une série qui mettent en scène le même personnage un peu pathétique, à quelques distinctions près, dans des situations de plus en plus sombres, de moins en moins confortables et de plus en plus mordantes. Louie rit de tout avec n‘importe qui, et le plus souvent, ça fait mal. Et de nous amuser tout en nous rappelant sans concession que Dieu est mort et que nous sommes seuls. Assurément la révélation d’un talent hors norme.

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