De et avec Louie CK
Pour les retardataires, qui ne sauraient pas encore qui est Louie CK,
standupper américain qui connait aujourd’hui la gloire outre-Atlantique, le
billet qui suit risque d’être un peu nébuleux. En effet, Frank Zito vous y parle
non pas d’une, mais de deux séries qui ont comme personnage principal Louie,
incarné par le Louie CK susnommé, mais dans des formats, et des genres
totalement différents. Pourtant, le fond de sauce y est le même, à base de haine
de soi, d’objectivité brutale et de récits crus qui racontent la quarantaine
ratée dans une société contemporaine agressive. Dans le deux cas, on rit
beaucoup. Dans les deux cas, souvent jaune.
D’abord Lucky
Louie qui, comme le titre ne l’indique pas, n’est pas vraiment l’histoire
d’un gars chanceux. Voyez plutôt : A trente huit ans, Louie vend à mi-temps des
pots d’échappement pour un pote et réside dans un appart miteux avec son épouse,
dont la libido est émoussée par un travail d’infirmière mal rémunéré. Et c’est
comme si l’enthousiasme de l‘entrée dans la vie adulte, dont il ressent encore
le goût sans plus en cueillir les fruits, s’était délavé dans cette existence
morne qu’il n’aurait jamais imaginé mener : celle d’un homme mur, dégarni,
grassouillet et lessivé, père d’une gosse difficile, affublé de voisins qui le
méprisent et d’amis qui lui rappellent de par leur seule présence sa loose
insondable.
D’un premier abord, on pourrait croire son écriture féroce alourdie par le
format sitcom, mais ce serait grossièrement se tromper. Loin de se laisser
distraire par sa dimension familiale, Louie CK en dynamite ses codes. Les rires
du public accompagnent ainsi des histoires de loyers impayés, de problèmes
éducatifs, d’argent destiné aux courses mal dépensé, de misère sexuelle ou de
genèse embarrassante d’un 4 juillet spermicide. Et si le couple très attachant
qu’il forme à l’écran avec la formidable Pamela Adlon peut laisser croire
que l’on se trouve devant une série juste distrayante, on en est vite pour son
argent. En 13 épisodes, Louie CK nous réconcilie avec un format que l’on croyait
périmé depuis la fin de Seinfeld. Vous dire le tour de force.
Trop saignant, pas assez formaté, sûr que Lucky Louie ne pouvait pas
s’enraciner aussi facilement dans le paysage télévisuel US, aussi se
termine-t-il au bout d’une seule saison sur un climax terrible, preuve de
l’incroyable exigence de son auteur, pas vraiment prêt à jouer la concession.
L’écriture, plus sophistiquée, part dans tous les sens. D’un épisode l’autre
tout change, sa femme, sa mère, ses amis jusqu’à son appartement. Tout est
crédible et pourtant tout est faux. Et si le caractère autobiographique est
curieusement ébranlé avec ces mouvements presque imperceptibles autour du réel,
le désespoir d’une existence ratée reste criant de vérité. Le regard consterné
et naïf de Louie se pose avec force sur tous les compartiments les plus
douloureux de l’existence. La faiblesse physique, la cruauté, la violence, le
sexe et la mort se cooptent autour de son personnage balloté, incapable de
contrôler des évènements parfois insolites. Il donne alors le sentiment d’être
au crépuscule de sa vie alors qu’il vient d’avoir quarante ans. Magistral,
lunaire, hilarant et tendre même, il sait aussi nous mettre mal à l’aise dans
des scènes de tensions parfois insoutenables, ou au bout de raisonnements cruels
de réalisme qui vous retournent des vérités que vous croyiez incontestables pour
vous abandonner sans dessus-dessous.
En bref : Une sitcom et une série qui mettent en scène le
même personnage un peu pathétique, à quelques distinctions près, dans des
situations de plus en plus sombres, de moins en moins confortables et de plus en
plus mordantes. Louie rit de tout avec n‘importe qui, et le plus souvent, ça
fait mal. Et de nous amuser tout en nous rappelant sans concession que Dieu est
mort et que nous sommes seuls. Assurément la révélation d’un talent hors norme.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire