Frank et madame Zito se sont mis sur le tard au phénomène. Sûr qu’ils avaient
entendu ici et là quelques titres, mais le plus souvent au travers de pub que
musicalement écoutées. Il leur a fallu attendre 2006, et la sortie de First
impressions of Earth, et son premier single, Juicebox, pour que le
couple s’emballe. Tonique, irrévérencieux et terriblement rock, ce fut la claque
dans la gueule, immédiatement suivie de la découverte a posteriori des
classiques Is this it et Room on fire. Aussi les Zito’s sont-ils passés à côté
du phénomène de mode pure, du délire qui a entouré le groupe qui avait remis le
rock au goût du jour au début du millénaire. L’histoire de ces cinq jeunes de
bonnes familles relookés qui avaient à eux seuls relancés les Converses. Et pour
être honnête, sans a priori, les Strokes, c’était tout simplement génial. La
conclusion de cette révélation se fera dans l’été même, avec la présence du
groupe à Turin, puis à Nice, au Théâtre de Verdure. Prestations
impressionnantes, à la set-list mortelle, tellement abouties qu’elles se
posaient d’elles-mêmes au firmament des lives auxquels avaient assisté Frank et
sa fidèle compagne.
Après le coup de foudre, commença donc l’attente, suivie des premières
escapades. D’abord celle d’Hammond, avec un album
root’s excellent, puis de tous les autres, avec à chaque fois un zest de Strokes
dedans, juste de quoi relancer la flamme avant qu’elle ne s’éteigne. Hammond se
produisit à Nîmes en juillet 2007. Simple, sans chichi, il s’avèra
particulièrement généreux. Puis vint l’heure de Julian Casablancas. Les années
déjà avaient passées, les rumeurs allaient bon train, le doute avait fini par
s’installer. Son Phraze for
the Young, electro, et très Strokes, les claviers ayant simplement remplacés
les guitares, nous remis du baume au cœur. Le gars savaient encore écrire de
sacrés titres. Pourtant quelque chose semblait bien s’être passé. Une fêlure que
la musique elle-même n‘apaisait pas.
Les phrases amères transpiraient lors d’interviews à clés, le monument
semblait fragilisé. Tout portait à croire que si l’essai de Julian s’avérait
concluant, nul doute que les Strokes n’y survivraient pas. Par chance, le leader
des Strokes tournait durant l’été 2009 à Vigevano. L’occasion pour Frank d’aller
y jeter un œil. Et tout de suite, il comprit que l’essai ne le serait pas,
concluant. Groupe en retrait, style vestimentaire improbable, mal-être évident
d’un Casabancas épaissi et bien peu glamour dans son blouson de cuir que de
mauvaises langues affirment qu’il aurait été emprunté à Jacques Higelin,
performance tristounette. Bref, ce soir là, bouffés par les moustiques, Frank et
madame Zito surent avec certitude que les Strokes reviendraient, que cela ne
pouvait pas continuer comme ça.
Vient alors l’attente du retour tant attendu. Et avec lui le questionnement.
Les Strokes sont-ils encore un groupe, les égos peuvent-ils cohabiter, Julian
Casblancas partagera-t-il le pouvoir ? Questions sans réponses. Les rumeurs
enflaient. Ils n’enregistreraient pas ensemble. N’écriraient pas ensemble. Les
articles font état d’interviews d’autistes, de gars malheureux qui espèrent un
retour à la normale sans trop y croire. Chacun tweete de son côté. On apprend
qu’Hammond était tombé dans la drogue assez méchamment. Bref, on entend à peu
près tout et n’importe quoi sur ce groupe qui n’avait jamais eu besoin de
frasque pour faire parler de lui. Un groupe qui transpirait la classe, et que ce
déballage mettait un peu à mal. Mais bon, le peu de midinette qui restait en
nous voulait y croire, et Angles arriva.
Drôle d’album, pleins de titres sympa, certains qualifiés de Classic strokes,
d’autres plus aventureux, mais toujours intéressants. Sauf qu’après des dizaines
d’écoutes, une révélation : aussi bon soit-il, il n’accroche pas les oreilles de
la même manière que ses trois prédécesseurs. Plus décousu, parfois trop arrangé,
sans flamboyance, aux excès millimétrés, il sonne trop calibré. C‘est un bon
album, parce qu’un album des Strokes pas terrible reste bon, mais sans plus. Il
lui manque la passion. La vie. Mais au-delà de cette performance moyenne
accouchée dans la douleur, il y avait parallèlement le retour soudain de nos
cinq héros sur la scène médiatique, et là, quelque chose de l’ordre de la chute
aurait dû se faire sentir.
Mais les Zitos ne voulaient rien voir, aussi six ans après leur coup de
foudre l’occasion leur était donnée de revoir les enfants prodiges en Italie.
Accrochés à la barrière au premier rang, avec un public italien tout acquis à
leur cause, tout ce que à quoi l’on s’était accroché durant des années
s’efffondra sous nos yeux embués. Après avoir été aussi parfait que soudé, le
groupe apparu brouillon et relativement froid. Julian Casblancas multiplie les
salamaleck, remercie à tout va. Rit bêtement. Ne semble pas pouvoir tenir la
distance. Jusqu’à son perfecto qui tombe mal. Là où tout ce que les Strokes
touchaient suait la classe, tout semble aller de travers. Nick Valensi a l’air
éteint. Ses solos sont mous, sans conviction, on croirait un guitar-hero sous
xanax. Comme d’habitude, Nicolas Fraiture donne l’impression de se faire chier.
Mais aujourd‘hui, on y croit. Moretti a définitivement perdu le modjo et Hammond
les cheveux. Les cinq ont l’air déguisé pour l’occasion. Un peu comme s’il
s’agissait de sosies mal dégrossis du groupe qu’on avait fini par fantasmer.
Retour sur terre d’autant plus brutal qu’il y aura pas moins de quatre coupures
d’électricité ce soir là, et le départ de Casablancas, excédé, alors que les
autres attendent sans trop savoir ce qu’ils devaient faire. Du groupe, il ne
resterait que des ruines. Le malaise…
Alors bien sûr, on les aime toujours. Mais la douleur a remplacé le plaisir.
La faute à cette certitude que les choses ne seront plus jamais comme avant.
Sûr, ils nous expliquent qu’ils ont changé, qu’ils ne peuvent plus être les
jeunes insouciants qu’ils ont été, que ce serait malhonnête de leur part de le
laisser croire. C’est vrai, mais de là à tomber si jeunes dans une
Rollingstonisation radicale, et des concerts karaokés sur fond de standards
indémodables, ça, on ne pensait pas y assister si tôt. De retour en France, et
sans avoir échangé un mot sur la route, madame Zito a décollé le sticker des
Strokes qui ornait sa guitare, remisé ses photos dédicacées au grenier, brûlé
ses vieilles converses. Parfois Frank se rend bien compte qu’elle aussi n’est
plus la même. Il la serre dans ses bras pour lui permettre de pleurer doucement,
même si elle lui répète que ça n’a rien à voir, que ce ne sont que les oignons
qu’elle a émincé. Mais il le sait bien, lui, qu’elle est minée par le chagrin,
que le phare qu’était les Strokes dans son univers musical s’est éteint un peu
trop tôt, un peu trop misérablement pour en sortir indemne. A vrai dire, le
regard perdu dans le paysage, le silence seulement haché par les pleurs de
madame, Frank se rend compte qu’il sanglote, lui aussi. Pourtant c’est sûr, ce soir il
n’a pas coupé d’oignons.
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