samedi 3 mars 2012

Comptoir : The Strokes, le crépuscule des Dieux


Frank et madame Zito se sont mis sur le tard au phénomène. Sûr qu’ils avaient entendu ici et là quelques titres, mais le plus souvent au travers de pub que musicalement écoutées. Il leur a fallu attendre 2006, et la sortie de First impressions of Earth, et son premier single, Juicebox, pour que le couple s’emballe. Tonique, irrévérencieux et terriblement rock, ce fut la claque dans la gueule, immédiatement suivie de la découverte a posteriori des classiques Is this it et Room on fire. Aussi les Zito’s sont-ils passés à côté du phénomène de mode pure, du délire qui a entouré le groupe qui avait remis le rock au goût du jour au début du millénaire. L’histoire de ces cinq jeunes de bonnes familles relookés qui avaient à eux seuls relancés les Converses. Et pour être honnête, sans a priori, les Strokes, c’était tout simplement génial. La conclusion de cette révélation se fera dans l’été même, avec la présence du groupe à Turin, puis à Nice, au Théâtre de Verdure. Prestations impressionnantes, à la set-list mortelle, tellement abouties qu’elles se posaient d’elles-mêmes au firmament des lives auxquels avaient assisté Frank et sa fidèle compagne.

Après le coup de foudre, commença donc l’attente, suivie des premières escapades. D’abord celle d’Hammond, avec un album root’s excellent, puis de tous les autres, avec à chaque fois un zest de Strokes dedans, juste de quoi relancer la flamme avant qu’elle ne s’éteigne. Hammond se produisit à Nîmes en juillet 2007. Simple, sans chichi, il s’avèra particulièrement généreux. Puis vint l’heure de Julian Casablancas. Les années déjà avaient passées, les rumeurs allaient bon train, le doute avait fini par s’installer. Son Phraze for the Young, electro, et très Strokes, les claviers ayant simplement remplacés les guitares, nous remis du baume au cœur. Le gars savaient encore écrire de sacrés titres. Pourtant quelque chose semblait bien s’être passé. Une fêlure que la musique elle-même n‘apaisait pas.

Les phrases amères transpiraient lors d’interviews à clés, le monument semblait fragilisé. Tout portait à croire que si l’essai de Julian s’avérait concluant, nul doute que les Strokes n’y survivraient pas. Par chance, le leader des Strokes tournait durant l’été 2009 à Vigevano. L’occasion pour Frank d’aller y jeter un œil. Et tout de suite, il comprit que l’essai ne le serait pas, concluant. Groupe en retrait, style vestimentaire improbable, mal-être évident d’un Casabancas épaissi et bien peu glamour dans son blouson de cuir que de mauvaises langues affirment qu’il aurait été emprunté à Jacques Higelin, performance tristounette. Bref, ce soir là, bouffés par les moustiques, Frank et madame Zito surent avec certitude que les Strokes reviendraient, que cela ne pouvait pas continuer comme ça.

Vient alors l’attente du retour tant attendu. Et avec lui le questionnement. Les Strokes sont-ils encore un groupe, les égos peuvent-ils cohabiter, Julian Casblancas partagera-t-il le pouvoir ? Questions sans réponses. Les rumeurs enflaient. Ils n’enregistreraient pas ensemble. N’écriraient pas ensemble. Les articles font état d’interviews d’autistes, de gars malheureux qui espèrent un retour à la normale sans trop y croire. Chacun tweete de son côté. On apprend qu’Hammond était tombé dans la drogue assez méchamment. Bref, on entend à peu près tout et n’importe quoi sur ce groupe qui n’avait jamais eu besoin de frasque pour faire parler de lui. Un groupe qui transpirait la classe, et que ce déballage mettait un peu à mal. Mais bon, le peu de midinette qui restait en nous voulait y croire, et Angles arriva.

Drôle d’album, pleins de titres sympa, certains qualifiés de Classic strokes, d’autres plus aventureux, mais toujours intéressants. Sauf qu’après des dizaines d’écoutes, une révélation : aussi bon soit-il, il n’accroche pas les oreilles de la même manière que ses trois prédécesseurs. Plus décousu, parfois trop arrangé, sans flamboyance, aux excès millimétrés, il sonne trop calibré. C‘est un bon album, parce qu’un album des Strokes pas terrible reste bon, mais sans plus. Il lui manque la passion. La vie. Mais au-delà de cette performance moyenne accouchée dans la douleur, il y avait parallèlement le retour soudain de nos cinq héros sur la scène médiatique, et là, quelque chose de l’ordre de la chute aurait dû se faire sentir.

Mais les Zitos ne voulaient rien voir, aussi six ans après leur coup de foudre l’occasion leur était donnée de revoir les enfants prodiges en Italie. Accrochés à la barrière au premier rang, avec un public italien tout acquis à leur cause, tout ce que à quoi l’on s’était accroché durant des années s’efffondra sous nos yeux embués. Après avoir été aussi parfait que soudé, le groupe apparu brouillon et relativement froid. Julian Casblancas multiplie les salamaleck, remercie à tout va. Rit bêtement. Ne semble pas pouvoir tenir la distance. Jusqu’à son perfecto qui tombe mal. Là où tout ce que les Strokes touchaient suait la classe, tout semble aller de travers. Nick Valensi a l’air éteint. Ses solos sont mous, sans conviction, on croirait un guitar-hero sous xanax. Comme d’habitude, Nicolas Fraiture donne l’impression de se faire chier. Mais aujourd‘hui, on y croit. Moretti a définitivement perdu le modjo et Hammond les cheveux. Les cinq ont l’air déguisé pour l’occasion. Un peu comme s’il s’agissait de sosies mal dégrossis du groupe qu’on avait fini par fantasmer. Retour sur terre d’autant plus brutal qu’il y aura pas moins de quatre coupures d’électricité ce soir là, et le départ de Casablancas, excédé, alors que les autres attendent sans trop savoir ce qu’ils devaient faire. Du groupe, il ne resterait que des ruines. Le malaise…

Alors bien sûr, on les aime toujours. Mais la douleur a remplacé le plaisir. La faute à cette certitude que les choses ne seront plus jamais comme avant. Sûr, ils nous expliquent qu’ils ont changé, qu’ils ne peuvent plus être les jeunes insouciants qu’ils ont été, que ce serait malhonnête de leur part de le laisser croire. C’est vrai, mais de là à tomber si jeunes dans une Rollingstonisation radicale, et des concerts karaokés sur fond de standards indémodables, ça, on ne pensait pas y assister si tôt. De retour en France, et sans avoir échangé un mot sur la route, madame Zito a décollé le sticker des Strokes qui ornait sa guitare, remisé ses photos dédicacées au grenier, brûlé ses vieilles converses. Parfois Frank se rend bien compte qu’elle aussi n’est plus la même. Il la serre dans ses bras pour lui permettre de pleurer doucement, même si elle lui répète que ça n’a rien à voir, que ce ne sont que les oignons qu’elle a émincé. Mais il le sait bien, lui, qu’elle est minée par le chagrin, que le phare qu’était les Strokes dans son univers musical s’est éteint un peu trop tôt, un peu trop misérablement pour en sortir indemne. A vrai dire, le regard perdu dans le paysage, le silence seulement haché par les pleurs de madame, Frank se rend compte qu’il sanglote, lui aussi. Pourtant c’est sûr, ce soir il n’a pas coupé d’oignons.


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