vendredi 23 mars 2012

Livre : Les racines du mal


Auteur : Maurice G. Dantec   

Toujours en retard d’une ou plusieurs guerre, Frank Zito s’est lancé dans la lecture du grand œuvre de Maurice G. Dantec, Les racines du mal, plus de quinze ans après sa sortie, avec une question au bout des lèvres : que pouvait-il bien rester de ce roman à la grosse réputation, best seller d’anticipation qui avait ramassé le grand prix de l’imaginaire l’année même où Frank effectuait son objectorat de conscience dans un tennis club du sud de la France ? Le temps passé, tout cela sentait bon la surcote. D’autant qu’à l’époque, la Sirène rouge, le précédent effort de Dantec, avait laissé de marbre l’apprenti sportif avec son intrigue passe partout, ses snuffs movie ringards, son insignifiance pimentée de scènes d’actions type l’Exécuteur et sa pincée de sévices saveur Balkan.

Uppercut, sérials killers et neuromatrice

Bonne nouvelle, Les racines du mal, c’est quand même vachement mieux. La platitude de La Sirène Rouge est ici évitée grâce à une intrigue nettement moins linéaire en quatre parties, au découpage passionnant et un développement plus approfondi accès sur l’hypothèse par laquelle la violence, l’agressivité et l’instinct de destruction forment une composante essentielle de la vie, contre pied en forme d’uppercut à la philosophie rousseauiste. Dantec joue à décortiquer son histoire de sérial killers barbares sous un angle expérimental. Mécanismes complexes, probabilités, entropie, vie biologique organisée, parenthèses hallucinées autour de programmes informatiques, système cognitif, il enrobe son polar d’une sauce scientifique transdisciplinaire qui accouchera de la neuromatrice, avec laquelle Arthur Darquandier, le héros du roman, va finir par prendre en chasse une amicale de prédateurs fous furieux.

Lire Les racines du mal aujourd’hui, c’est évidemment perdre beaucoup de son côté science fiction. Le Doctor Schizzo, neurodouble de Darquandier, fantaisie fractale à l’image du héros, équipée d’une interface vidéo-verbale, sonne parfois daté, renvoie plus aux lois de la robotique d’Asimov qu’à la technologie instinctive développée dans les applications les plus quotidiennes de nos vies actuelles. Pourtant l’ensemble, bien qu’un peu pompeux, fait encore son petit effet, et l’on continue de croire aussi bien à ce scientifique de la conscience artificielle shooté au LSD, qu’à son modèle virtuel qui, en se réveillant de son sommeil en silicium, se répand en nuage de fractale sur l’écran d’ordinateur avant d’y cristalliser son visage. Cette terminologie faite de bric et de broc fonctionne encore, son exotisme très siècle dernier est presque une valeur ajoutée pour un roman dont on comprend qu’à l’époque il ait pu passer pour prétentieux.

Faites entrer l’accusé raconté par Chuck Palahniuk

Mais Les racines du mal réussit page après page à s’affranchir de la pesanteur qu’aurait pu procurer ce verbiage pour nous faire dériver avec son héros dans la dimension de l’horreur primale. Là où La Sirène Rouge s’arrêtait aux portes de l’enfer, avec son caractère fiction-toc sur torture-porn en Europe centrale, Les racines du mal creuse le sillon au plus profond, joue avec la fascination morbide du lecteur qui s’identifie à un Darquandier en perte de repères, tendu, dépressif, toujours en recherche de stimuli extérieur, à l’image de sa neuromatrice. Il finit d’ailleurs par vivre le même conflit intérieur, au bout de la folie la plus noire, où la réalité de sa chambre d’hôtel, dans laquelle il se pose en voyeur d’évènements qui le dépassent, manque de le paralyser. Où il prend le risque de vivre par procuration, par le biais de neurovecteurs transcutanés, de molécules virtuelles d’histamine, de n’importe quoi sauf de chair et de sang. Où il va jusqu’à risquer de perdre son conflit contre une entité rivale. La plus dangereuse : la sienne…

En bref : Brutal, violent, méchant et parfois daté, Les racines du mal, s’il a beaucoup perdu de son impact anticipationnel, a gardé toute sa puissance narrative. Mieux même, avec son acharnement à détailler les scènes de crimes les plus morbides, à multiplier les cadavres et énumérer méthodiquement la boucherie exécutée par son réseau de psychopathes, il rappelle le vertige provoqué par l’énumération clinique des assassinats de jeunes filles qui émaillaient la ville de Santa Thérésa dans le monstrueux 2666 de Roberto Bolano. Virtuel et réel s’entremêlent alors dans une danse macabre sans chef d’orchestre. Répulsion, dégoût, fascination, tristesse, rage et anxiété, le lecteur passe à la moulinette de tous ces états, comme s’il s’imposait l’intégrale des Faites entrer l’accusé raconté par Chuck Palahniuk. Avec en conclusion l’idée que nous sommes tous partie prenante dans le chaos que nous vivons, sur une planète en passe de disjoncter. D’une actualité brûlante.

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