lundi 5 mars 2012

Double séance : Borgen + L'execice de l'etat




Le hasard, si tant est qu’il existe, a fait se croiser sous le regard étourdi de Frank une série, Borgen, diffusée actuellement sur Arte, et un film, L’exercice de l’état, jadis megauploadé, aujourd’hui putlocké, mais qui aurait vraiment mérité un grand écran. Deux faces d’une même pièce : une virée dans les coulisses du pouvoir à une époque charnière dans l’ère politique, celle de la puissance médiatique toujours plus forte, et de l’impuissance des États au regard d’une mondialisation qui en a rogné les prérogatives.

Pas de suspens, les deux valent vraiment le détour. La série danoise, qui compte l’arrivée au pouvoir de Brigitte, une femme politique droite dans ses bottes confrontée à la réal-politik du « château », le parlement danois où se noue les alliances les plus improbables au fil des besoins. Spin-doctor, médias, promotions, indulgences et influences viennent frapper de plein fouet la rigueur morale de cette épouse modèle dont on devine que les dégâts sur sa vie de famille seront élevés. Et que dire de Bertrand Saint Jean, ministre des transports dans l’Exercice de l’État, qui se trouve lui aussi aux prises avec celui qu’il est censé avoir été et ce pouvoir qui broie les hommes pour les amener à fonctionner comme l’on imagine qu’ils doivent le faire : sans morale ni complexe, prêts à travestir la réalité pour la bonne cause si le besoin s’en fait sentir, obligés d’opiner du chef même si pour cela on doit trahir ses idéaux les plus élémentaires.

Dans les coulisses : un panier de crabes

Bref, les deux sont la démonstration attendue d’un pouvoir machiavélique -chaque épisode de Borgen s’ouvre sur une citation du philosophe-, même si le film de Pierre Sholler remporte haut la main la palme du réalisme, avec son Olivier Gourmet en mode ministre outsider type Eric Worth pré-Bettencourt. Il impressionne de naturel, délivrant une performance sur la lutte intérieure entre son égo démesuré, ses coups bas que l’on se donne sans même s’en rendre compte, ses fausses fidélités et ses vraies vanités. L’exercice du pouvoir le mâche, le malaxe et l’avale comme cet alligator qu’il voit en songe. La peau se durcit, l’orgueil s’éteint devant les promesses d’avancements. Avec une question à la clef : devient-on surhomme ou sous-homme à ce régime là ?

De ce point de vue, Borgen laisse la porte entrouverte, avec son héroïne qui se débat dans son panier de crabes, n’a pas encore abdiqué, quand le personnage d’Olivier Gourmet se transforme sous nos yeux en un passe plat manipulé par son directeur de cabinet, l’impénétrable et inoxydable Michel Blanc, glaçant dans un rôle ambigu de serviteur de l’ombre dont on ne saura jamais vraiment où s’arrête son influence. Dans les deux cas, il faut composer avec les évènements, savoir les retourner en sa faveur, trahir si nécessaire. Et au fil du temps, les premières couleuvres avalées, ne plus servir ni l’Etat, ni même être servi par lui, mais se contenter de jouer le rôle qui nous a été assigné, dans un jeu d’échec qui dépasse de beaucoup les individus et dont on finit par croire qu’ils sont interchangeables.

En bref : Témoignage d’un temps où tout le monde semble avoir abdiqué devant les puissances conjuguées de l’image et de la finance, Borgen et L’Exercice de l’Etat démontent avec intelligence, les mécanismes qui emmènent la classe politique à devenir ce qu’elle est : une affreuse baudruche impuissante dont chaque mot semble être lu sur un prompteur absurde dont on ne sait plus très bien qui l‘alimente. Dès lors, seule la carrière personnelle prend tout son sens. Et la démocratie dans tout cela vous direz vous ? Il parait encore, à l’heure où j’écris ces lignes, qu’il s’agit du moins mauvais système politique que nous ayons à notre disposition… Une double séance glaçante.


 

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