jeudi 29 mars 2012

Vidéo-club : Winter's Bone



 Réal : Debra Granik

Avec : Jennifer Lawrence, John Hawkes, Kevin Breznahan

Année : 2010

A l'heure où Jennifer Lawrence est en passe de devenir un phénomène de société à elle seule, l'occasion de revenir sur Winter's Bone, film à l'ambiance indé qui l'avait lancé dans le grand bain il n'y a pas si longtemps que cela.


L'histoire d'abord : A 17 ans, Ree Dolly s’occupe de son frère et de sa sœur dans une maison reculée de la forêt des Ozark, quand elle apprend que son père, fraichement sorti de prison, a disparu sans laisser de traces. Problème, il a mis la maison familiale en caution, et s’il ne se présente pas devant les juges à la date prévue, Ree et toute sa famille seront à la rue. Celle-ci se retrouve donc dans l’obligation de partir à sa recherche, dans un milieu où poser de simples questions peut entraîner la mort…

Coup de cœur de la presse spécialisée, Winter’s Bone possède toutes les qualités indies qui ont fait la réputation du festival de Sundance. Et en premier lieu ce minimalisme visuel, assumé ici à la grâce d’un décor enclavé, rural, au fond social aride et misérable, où l’on a pas assez pour manger et dont on se doute que la seule éducation reçue est celle de la trique.

Pour le coup, la réalisatrice ne lésine pas sur les détails d'ambiance, racontant un espace tellement reculé qu’il rappelle celui de la famille tronçonneuse ou de la colline à des yeux. Consanguinité, violence sourde, omerta, terrains chaotiques jonchés de cadavres de voitures, on s'y s’habille avec ce que l’on possède, ici bottes fourrées et parka militaire usées jusqu’à la corde, polaires sans âge avec motifs de sapins que l’on aurait pu voir porter il y a trente ans. Le temps stagne, croupi, avec pour seule question existentielle celle de la survie. Manger, payer les factures nécessaires, et quand on peut, acheter du foin pour nourrir un cheval famélique. Et surtout traîner devant chez soi et parcourir du regard les sous bois humides seulement éclairés par un soleil froid.

Debra Granick a la main lourde, mais réussit à passer en force. Car malgré le risque caricatural optimum, Winter’s bone reste crédible. Prouesse indispensable pour qu’on la suive dans cette zone de non-droit irrespirable sans se poser la question du réalisme. Sur ce champs de ruines absolu, seule une jeune fille aux responsabilités démesurées, de celles qui vous font vieillir bien avant l’âge, fait figure de bouffée d'oxygène. De fait, il n’y a rien d’autre qu'elle à l’écran qui ne soit vicié par l’abandon. Alors on tremble tout le long à sa suite, dans cette quête épouvantable où l’on apprend qu’il ne faut jamais demander ce qui se donne. Que le sang, aussi corrompu soit-il, est le seul lien qui peut encore faire sens. Sur un fond de country blues lancinant, Ree Dolly fait du surplace, confrontée à une galerie de protagonistes abrutis par la drogue et des décennies d’isolement, à peine capable de communiquer. Avec pour seul espoir le droit de continuer à survivre dans ce cloaque pourri...

En bref : Véritable odyssée au cœur de la consanguinité, Winter’s bone va très loin dans la description d’un monde privé de tout, figé dans ses terres reculées et sa misère sociale, comme abruti par une malédiction ancestrale. Habité par des instincts primaires, hors la loi, soumis à des règles strictes mais jamais formulées, on souffre physiquement de voir Ree s'empêtrer dans son enquête, dont le véritable objectif est de garder le peu d’humanité que son hérédité chargée lui a légué. Un film étouffant au casting incroyable, qui donne froid jusqu’aux os.

mercredi 28 mars 2012

Ciné : Faites le mur


Réalisateur : Banksy

Avec : Rhys Ifans, Banksy, Thierry Guetta

Année : 2011

Thierry Guetta accompagne partout son cousin, Invader, artiste urbain français qui sème dans les rues du monde entier des mosaïques ayant pour sujet les pictogrammes du jeu vidéo Space Invaders. Obsessionnel, Guetta filme tout ce qui bouge, ne lâchant sa caméra ni pour aller acheter le pain, ni pour pisser. C’est en suivant le parcours alternatif d’Invader qu’il va intégrer le monde clandestin du Street Art, suivant ces artistes hors-la-loi dans toutes leurs performances. Son rêve ultime : réussir à capturer l’œuvre de Banksy, le plus célèbre pochoiriste du monde, mais aussi le plus énigmatique…

Ouverture : Banksy, dans l’ombre d’une toge qui le fait apparaître en Dark Vador de l’art contemporain, voix trafiquée et métallique, explique comment il a rencontré Thierry Guetta, et pourquoi il en est venu à inverser le sujet du documentaire qu’il lui proposait afin de faire découvrir ce français compulsif et un peu looser plutôt que lui-même. Et Banksy de se lancer dans une histoire récente de l'art urbain par le biais des documents censément récoltés au fil des années par Guetta, qui s’est trouvé dans l’ombre des plus célèbres artistes urbains de la planète, depuis Invader, bien sûr, en passant par Shepard Fairey dont il suit la campagne de collage « Obey Giant » pour finir par Banksy lui-même, dont il devient le side-kick durant plusieurs mois, avant que le maitre ne lui suggère de voler de ses propres ailes.

Il y a plusieurs strates dans ce documentaire, mise en abîme d’autant plus vertigineuse qu’à l’image d'une poupée russe chaque question posée en appelle une nouvelle. Mais c’est aussi une prise sur le vif terriblement instructive sur les méthodes du Street Art, où l’on se retrouve au cœur de la création illégale de ces rebelles encagoulés qui exposent leur collages, graffitis, stickers et mosaïques dans la rue au mépris d’une police toujours prompte à les embarquer.

Le documentaire alterne ces moments de bravoure avec la pathologie de Guetta et ses relations étranges avec les acteurs du mouvement. Sorte de candide collant et relou accepté par le milieu underground comme le serait une mascotte, il en fait des tonnes au point d'être souvent gonflant. Basculant du documentaire à la farce, Banksy profite de cet alter ego moisi pour interpeler le spectateur, poser une foule de questions sur l’art, mais aussi sur sa légitimité, ses motivations, ses contradictions et bien sûr ses compromissions.

Gloire, notoriété, image, business, action, célébrité, tous ses thèmes s’entrecroisent dans une sorte de furia créatrice dont on aurait perdu le mode d’emploi, Banksy jouant la carte de l’humour pince sans rire tout en lâchant assez peu d'indices sur le sens de son documenteur. Malicieux, il apparaît mégalomaniaque, démiurge à la tête d'une armée d’assistants, et s’il fait entendre une critique à son sujet, cette fameuse financiarisation de l’art de rue qu’il a fait entrer dans les galeries, c’est pour mieux ironiser sur ses acquéreurs ridicules, courtisans pathétiques incapables de distinguer le vrai du faux, l’artiste de la copie, l’œuvre du buzz.

Bien sûr on peut regretter que dans sa démarche nihiliste il oublie d’expliciter clairement la raison d’être de l'art urbain, mais on reste admiratif devant la façon dont il nous interpelle. Banksky et Guetta existent-ils ? Sont-ils le fruit d’un collectif ? Leur volonté est-elle d’entrer dans les arcanes de l’art contemporain ou de le décrédibiliser en pointant sa fatuité? Sont-ils antisystème ou simplement de tristes baudruches avides de célébrité ? Banksy ne répond à rien, préférant un final en eau de boudin burlesque, où le monstre qu’il a créée, cette pâle copie de BrainWash, n’est pas loin de devenir plus célèbre que son maître.

En bref : Faites le mur est une réflexion vertigineuse sur le monde du Street Art, depuis sa création jusqu’à sa valorisation dans un marché abruti par la Hype. Où l’on se demande d’ailleurs si le documentaire est aussi drôle qu'il en à l’air, ou si à force de vider son action de tout sens Banksy n’est pas allé un peu trop loin. Désorienté par tant de mises en abîme, on sort de la salle sans vraiment savoir ce qu'il s’est passé, si ce n’est que notre regard face à cet artiste indomptable ne sera jamais plus le même. Sidérant.

dimanche 25 mars 2012

Vidéo-club : The dead


Réalisateur : Howard J. Ford

Avec :
Rob Freeman, Prince David Osei, David Dontoh

Année :
2010

Histoire : Après le crash d'un vol d'évacuation, le lieutenant Brian Murphy doit survivre en milieu hostile : un territoire dominé par les morts-vivants en pleine Afrique de l’Ouest.
Et voilà, emballé c’est pesé. Point final. That’s all folks ! Circulez y’a plus rien à voir. Hein ? Comment ? Vous dites que Cédric Deléllée en a fait l’éloge dans le dernier Mad Movies ? Qu’après L’Armée des morts et 28 jours plus tard, il trouve que le film de zombies moderne peut s’enorgueillir d’un nouveau petit classique ? Que ce navet ensoleillée serait une véritable odyssée magnifiquement filmée ? Il était intoxiqué aux superlatifs, l’ami Delellé ? Ignifugé à l’amiante ? Malvoyant ? Semi dément ? Tout cela à la fois ?

Frank Zito, lucide, penche pour la dernière supposition, car après avoir visionné The dead, il peut vous jurer qu’il faut se pincer très fort pour trouver de quoi s’exciter dans cette série Z torchée avec les pieds par des réalisateurs de film d’entreprise. Et moins encore d’y trouver une quelconque relation avec La prisonnière du désert. Oui, vous lisez bien : le chef d’œuvre de John Ford. Le cinéaste américain qui a influencé à peu près tout ce qui se fait d’important dans le septième art contemporain. Sûr que ça ne vous serez pas venu à l‘esprit, mais à celui de Cédric Delellée, oui. No problemo. D’ailleurs si il avait eu le temps, il aurait cité Chaplin, Lynch, Kubrick, Capra, j’en passe et des plus grands. En fait, vous enfileriez des raclures de cabinets sous ses yeux qu’il croirait voir les colliers de la reine, vous dire la berlue.

De fait, partir de si haut pour arriver si bas, ça ferait presque suspect. Que Zito il doit en faire des caisses. Inventer. C’est pas possible. Cédric Deléllée, quand même. C’est pas du pipi de chat. Il entend bien. Comprend même. Et pourtant… Sûr, il se rend compte que les frères Ford sont aller piocher dans l’histoire du film de zombies pour torcher leur aventure. Loin même. On y retrouve beaucoup du Vaudou de Jacques Tourneur, surtout en ce qui concerne les lentilles de contact type Michael Jackson dans l’épilogue de Thriller, et de l'exotisme d'avant guerre avec la peur du grand noir sauvage impitoyable. Ils ont aussi beaucoup pioché chez Romero. Ici, pas de zombie sprinteur type Karl Lewis, mais un bon retour aux fondamentaux. Ça rôde lentement, râle mollement, boite péniblement. Putréfiés, abimés, les zombies n’ont pas d’âmes. Mais là où Tourneur et Romero arrivaient à créer du suspens, voire de l’inquiétude, avec the Dead, on a l’impression d’assister à une zombie Walk pour minorités visibles.

Caricatural direz vous ? Et c’est justement tout ce qui saute au visage de cette bobine mal foutue. L’Afrique dépeinte, c’est celle de Tintin au Congo. Le désert à perte de vue, c’est toujours le même plan, la même dune, le même village avec ses trois cases en torchis. En terme d’Afrique primitive, on croirait se retrouver dans une reconstitution pour fête foraine. Tout comme l’océan dans lequel se débat le lieutenant Bryan Murphy au début ressemble à une piscine à vague d‘Aqualand. Cet horrible machin laid comme un pou ne bénéficie évidement pas d’une quelconque amplitude de mise en scène. Plate comme une limande, on ne confirait pas aux frères Ford la réalisation d’un épisode de Plus belle la vie, de peur qu’ils n’en gâchent les meilleurs effets. Les acteurs sont épouvantables, statiques, l’histoire inexistante, Le lieutenant traverse le désert avec son ami de fortune, dans le but de nous offrir une bonne tranche d’amitié interraciale qui fleure plutôt le y’a bon banania. Tout est caricature, presque obscène, délire dont on est surpris que la bande son ne soit pas Saga africa. Ça aurait mis un peu d’ambiance dans la brousse en plastique.

En bref : N’allez surtout pas, sur les conseils avisés de Cédric Délellée, acheter The Dead à la Fnac la plus proche. Car si le fourreau est magnifique, s’il a été nommé dans plein de festivals (dont celui organisé par Mad Movies, oh surprise !) vous ne risquez pas d’y voir une « métaphore guerrière » dans un « film crédible dont les sensations sont décuplées par des accès de violence sanglante dont la sécheresse et la brutalité ne sont jamais gratuites ». Delellée avait fumé la moquette, aussi a-t-il vraiment cru voir dans ce publi-reportage de carte postale, caricatural et con comme la lune, le renouveau du film de zombies. Le pire de cette entreprise fumeuse à la réalisation miteuse, c’est qu’elle se prend au sérieux en diffusant un message d’amitié entre les peuples qui fouette fort la condescendance et la parodie. De fait, au lieu de penser à John Ford, on se rappelle plutôt Bruno Mattei en suivant ce super Touareg américain dans sa 504 Peugeot qui arrose les tontons macoutes à la kalachnikov.  Hélas ce dernier avait le don de nous faire rire quand The dead nous fait seulement chier.


vendredi 23 mars 2012

Livre : Les racines du mal


Auteur : Maurice G. Dantec   

Toujours en retard d’une ou plusieurs guerre, Frank Zito s’est lancé dans la lecture du grand œuvre de Maurice G. Dantec, Les racines du mal, plus de quinze ans après sa sortie, avec une question au bout des lèvres : que pouvait-il bien rester de ce roman à la grosse réputation, best seller d’anticipation qui avait ramassé le grand prix de l’imaginaire l’année même où Frank effectuait son objectorat de conscience dans un tennis club du sud de la France ? Le temps passé, tout cela sentait bon la surcote. D’autant qu’à l’époque, la Sirène rouge, le précédent effort de Dantec, avait laissé de marbre l’apprenti sportif avec son intrigue passe partout, ses snuffs movie ringards, son insignifiance pimentée de scènes d’actions type l’Exécuteur et sa pincée de sévices saveur Balkan.

Uppercut, sérials killers et neuromatrice

Bonne nouvelle, Les racines du mal, c’est quand même vachement mieux. La platitude de La Sirène Rouge est ici évitée grâce à une intrigue nettement moins linéaire en quatre parties, au découpage passionnant et un développement plus approfondi accès sur l’hypothèse par laquelle la violence, l’agressivité et l’instinct de destruction forment une composante essentielle de la vie, contre pied en forme d’uppercut à la philosophie rousseauiste. Dantec joue à décortiquer son histoire de sérial killers barbares sous un angle expérimental. Mécanismes complexes, probabilités, entropie, vie biologique organisée, parenthèses hallucinées autour de programmes informatiques, système cognitif, il enrobe son polar d’une sauce scientifique transdisciplinaire qui accouchera de la neuromatrice, avec laquelle Arthur Darquandier, le héros du roman, va finir par prendre en chasse une amicale de prédateurs fous furieux.

Lire Les racines du mal aujourd’hui, c’est évidemment perdre beaucoup de son côté science fiction. Le Doctor Schizzo, neurodouble de Darquandier, fantaisie fractale à l’image du héros, équipée d’une interface vidéo-verbale, sonne parfois daté, renvoie plus aux lois de la robotique d’Asimov qu’à la technologie instinctive développée dans les applications les plus quotidiennes de nos vies actuelles. Pourtant l’ensemble, bien qu’un peu pompeux, fait encore son petit effet, et l’on continue de croire aussi bien à ce scientifique de la conscience artificielle shooté au LSD, qu’à son modèle virtuel qui, en se réveillant de son sommeil en silicium, se répand en nuage de fractale sur l’écran d’ordinateur avant d’y cristalliser son visage. Cette terminologie faite de bric et de broc fonctionne encore, son exotisme très siècle dernier est presque une valeur ajoutée pour un roman dont on comprend qu’à l’époque il ait pu passer pour prétentieux.

Faites entrer l’accusé raconté par Chuck Palahniuk

Mais Les racines du mal réussit page après page à s’affranchir de la pesanteur qu’aurait pu procurer ce verbiage pour nous faire dériver avec son héros dans la dimension de l’horreur primale. Là où La Sirène Rouge s’arrêtait aux portes de l’enfer, avec son caractère fiction-toc sur torture-porn en Europe centrale, Les racines du mal creuse le sillon au plus profond, joue avec la fascination morbide du lecteur qui s’identifie à un Darquandier en perte de repères, tendu, dépressif, toujours en recherche de stimuli extérieur, à l’image de sa neuromatrice. Il finit d’ailleurs par vivre le même conflit intérieur, au bout de la folie la plus noire, où la réalité de sa chambre d’hôtel, dans laquelle il se pose en voyeur d’évènements qui le dépassent, manque de le paralyser. Où il prend le risque de vivre par procuration, par le biais de neurovecteurs transcutanés, de molécules virtuelles d’histamine, de n’importe quoi sauf de chair et de sang. Où il va jusqu’à risquer de perdre son conflit contre une entité rivale. La plus dangereuse : la sienne…

En bref : Brutal, violent, méchant et parfois daté, Les racines du mal, s’il a beaucoup perdu de son impact anticipationnel, a gardé toute sa puissance narrative. Mieux même, avec son acharnement à détailler les scènes de crimes les plus morbides, à multiplier les cadavres et énumérer méthodiquement la boucherie exécutée par son réseau de psychopathes, il rappelle le vertige provoqué par l’énumération clinique des assassinats de jeunes filles qui émaillaient la ville de Santa Thérésa dans le monstrueux 2666 de Roberto Bolano. Virtuel et réel s’entremêlent alors dans une danse macabre sans chef d’orchestre. Répulsion, dégoût, fascination, tristesse, rage et anxiété, le lecteur passe à la moulinette de tous ces états, comme s’il s’imposait l’intégrale des Faites entrer l’accusé raconté par Chuck Palahniuk. Avec en conclusion l’idée que nous sommes tous partie prenante dans le chaos que nous vivons, sur une planète en passe de disjoncter. D’une actualité brûlante.

jeudi 22 mars 2012

Ciné : Sherlock Holmes 2 : Jeu d’ombres



Réalisateur : Guy Ritchie

Acteurs : Robert Downey Jr, Jude Law

Année : 2012

Double séance Sherlock Holmes pour un après-midi pluvieux, faute de mieux dans un Var-est sinistré pour qui veut voir autre chose que du cinéma populaire. Et là surprise et Madeleine de Zito : alors que ce blog devenait un cimetière des éléphants, où les blockbusters semblaient voués à venir y mourir comme les grosses baudruches pleines de rien qu’elles étaient, Sherlock Holmes sort du lot commun avec une certaine maestria. Vous écrire la stupeur.

Car de Guy Ritchie, dont le cinéma cool et tapageur avait bercé les années estudiantines de Zito, avec sa mémorable trilogie Arnaque Crime et Botanique, Snatch et Carton rouge, trois bobines percutantes aux dialogues ciselés, une version british d’Audiard à la sauce Tarantino, il ne restait pas grand-chose. Le réalisateur donnait l’impression de s’être brulé les ailes au contact de la super nova Madonna, castré dans ses certitudes, moulinant dans le vide des titres aussi mineurs que minables, bref, Guy Ritchie était mort pour la patrie, relégué dans les pages de tabloïds sordides au rang de faire valoir. De son univers baroque, plus rien, jusqu’à ce que Sherlock Holmes sorte sur les écrans. A l’époque, la bande annonce plutôt vilaine n’avait pas réussi à attirer à nouveau Frank dans les bras d’un réalisateur auquel il n’apportait plus le moindre crédit. Autant écrire qu’il avait eu tord. Un tord réparé aujourd’hui.

Car tel le Phénix, et après avoir quitté l’orbite de la Madone, riche en frasques mais pauvre en pellicules, Guy Ritchie a retrouvé toute sa vista. L’étonnement est d’autant plus grand qu’il le fait en s’appuyant sur un film de commande, le dépoussiérage d’un mythe qui n’avait plus connu les honneurs du grand écran depuis vingt ans, accompagné de la mission bassement mercantile de créer une franchise bien juteuse. Bref, tous les voyants étaient au rouge. Et pourtant il se sort de cette affaire avec une classe étonnante. La restauration du héros de Connan Doyle est une réussite absolue. Décors soignés, reconstitution extrêmement riche, scénarios qui fleurtent avec le fantastique et le burlesque, le Sherlock Holmes de Ritchie lui ressemble, part dans tous les sens sans jamais se perdre, éblouit tout en respectant sa narration, se joue de tous les poncifs du blockbuster de base en gardant assez de substance pour ne pas incommoder.

Loin de jouer au passe-plat, Guy Ritchie met tout son cœur dans l’affaire. Drôle, énergique, dialogué avec brio, il n’hésite pas à en faire des caisses sur le spectaculaire, en remet une louche avec des ralentis parfois dantesques devant lesquels on reste bouche bée. Après les kilomètres de pellicules en 3D reloues qu’on ingurgite comme des veaux depuis Avatar, Sherlock Holmes nous rappelle que le pur spectacle n’a pas forcément besoin de ce type d’artifices pour exister dans le cinéma d’action contemporain. Délirant et loufoque, les deux films, impossibles à dissocier, flambent du feux de la virtuosité, de la joie de tourner, incarné par un duo d’acteurs proprement époustouflants. Robert Downey Jr, monstrueux, et Jude Law crèvent l’écran. Leur complémentarité est d’ailleurs l’une des plus belles qu’il nous ait été donné de voir dans ce genre de production depuis des lustres.

En bref : Blockbuster jubilatoire qui signe le retour par la grande porte d’un réalisateur que l’on croyait définitivement perdu pour la cause, Sherlock Holmes remplit son cahier des charges les doigts dans le nez. Guy Ritchie retrouve toute sa verve et signe ses aventures virevoltantes où tout fonctionne, le spectateur étant pris par le feu de l’histoire comme s’il était envouté par un mage facétieux. Joyeux, gesticulatoire, mais toujours lisible, il doit aussi beaucoup au charme absolu du duo Downey Jr/Jude Law, qui apportent tout leur charisme aux personnages cultes de Sherlock Holmes et du Docteur Watson. Du cinéma populaire chiadé, qui rend euphorique au point de réveiller le gosse qui sommeille en nous. En un mot comme en cent : de l’or en barre.


dimanche 18 mars 2012

Sortie poche : La carte et le territoire


Auteur : Michel Houellebecq

Sans surprise, le dernier Houellebecq, qui depuis sa sortie à remporté le prix Goncourt, est un très bon roman. L’auteur s’attache à suivre la partie créative de l’existence de Jed Martin, artiste peintre touche à tout, dont on devine assez rapidement qu’il sera une sorte d’Alter Ego, un double cadet de Michel Houellebecq, qui joue à se mettre en scène dans le roman, accréditant par le texte même cette filiation.

Une fois encore, Houellebecq y porte un regard détaché sur le monde qui l’entoure, et nous décrit l’humanité comme un anthropologue le ferait d’une société indigène mal comprise. Tour à tour désenchanté, amusé et fataliste, il témoigne comme personne de l’absurdité du monde contemporain, dans lequel, à l’évidence, il n’arrive pas à trouver une place, si ce n’est accepter celle que les observateurs lui donne.

Dépouillé de ses passages les plus subversifs, qui avaient fait les choux gras des médias pour ses deux derniers romans, et qui finissaient par en parasiter l’image, l’auteur décline ici avec une douce tranquillité, ses considérations sur l’euthanasie, l’art, la modernité, le sexe, le monde du travail, l’inspiration, la mort et le libéralisme, fleuretant à la grâce de son regard décalé avec un premier degré si personnel, qu’il rend toute activité humaine ridicule.

« Le monde est médiocre » écrit-il, comme pour valider ce décalage, cette impression qu’il n’en fait plus partie, que parler avec un chauffe-eau défaillant n’est pas moins absurde que de communiquer avec les êtres périssables qui le côtoient et finiront pareillement emportés par la végétation. A noter un étrange virage narratif au troisième chapitre, ludique, et presque haletant, qui fait brûler les dernières pages d’un livre qui s’avère mémorable.

En bref : Le roman le moins subversif de Michel Houellebecq est donc celui qui aura décroché la timbale. Sans surprise car il est loin d’être rentré dans le rang et semble ici s’être plus diverti qu’à l’accoutumée en se mettant en scène au cœur d’une vrai fausse enquête aussi fantaisiste que secondaire. Car ce qui prime dans La carte et le territoire c’est ce point de vue si singulier porté sur notre société par celui qui est peut être le plus grand écrivain français de sa génération. Indispensable.

samedi 17 mars 2012

Sortie DVD : Louise Wimmer


Réal : Cyril Mennegun

Avec : Corinne Masiero, Jérôme Kircher, Anne Benoit
 

Attention baudruche ! Rarement film n’aura été aussi éloigné de ce qu’il était censé représenter : l’image fidèle de la précarité sociale contemporaine à travers le parcours compliqué de Louise Wimmer, quinqua qui survit dans sa voiture, avec pour seuls revenus un emploi de femme de chambre à temps partiel et de rares ménages chez des particuliers. Angle du film : nous faire découvrir une femme tellement dans le dur qu’elle se refuse à sourire à la vie, à s’abaisser au remerciement facile, à être considérée comme en détresse. Louise, se démerde seule, envers et contre tous. Véritable porte de prison qui ne fond en larmes que lorsqu’elle conduit ou qu’elle a un verre dans le nez (ce qui arrive plus souvent qu‘on ne le voudrait), elle espère qu’un appartement se libère. En attendant c’est la guerre. Et pas question de lacher quoi que ce soit. Et surtout pas une thune, nous en reparlerons plus tard…

Poncifs à tous les étages et dignité à géométrie variable

Si vous avez aimé Le quai de Ouistreham, dont le film semble être l’adaptation involontaire, vous adorerez Louise Wimmer. Univers âpre, vérité choc, chronique implacable, Cyril Mennegun, auréolé d’un passé de documentariste sociétal, use visuellement d’une technique sobre et intrusive. Caméra collée à son personnage, il ne nous épargne rien de cette lutte contre la déchéance, de cette déclassification brutale, et du lot de cruauté qu’elles véhiculent. Jusque là, rien d’anormal. Sauf que rapidement, le film dévisse, comme perturbé par un grain de sable. Loin de respirer le cinéma vérité, il semble prendre les pires tangentes du cinéma social le plus caricatural. Et d’abord de par son scénario, vu comme malin par l’ensemble de la profession quand il est simplement fuyant. Du passé de Louise, on ne comprend pas grand chose, si ce n’est que sa vie a basculé à la suite d’une séparation d’avec un homme qui devait certainement l’entretenir. L’homme a de l’argent. Il est prêt à l’aider. Mais Louise en veut pas de son aide. Pas plus que de celle de son amant, avec qui elle couche comme une bête, dans une véritable purge physique qui sent grave l‘acte non simulé. Lui aussi a de l’argent. Il pourrait l’héberger. Mais Louise, elle en veut pas non plus de son pognon. Et puis il y a sa fille. Elle est bien mise. Elle vient de se marier. Nul doute qu’elle pourrait l’héberger quelques temps. Mais vous l‘aurez compris, Louise, elle est trop digne pour être aidée. Pas son truc. Alors après une accolade malhabile, elle la laisse filer, sa fille.

Alors quoi, pour une presque marginale, elle fait la fine bouche Louise. Et justement, c’est ça le cœur du film : Louise Wimmer a bien le droit de ne rien demander à personne. Elle a bien le droit de cacher sa déchéance, quand bien même tout le monde dans le film s’en rend compte. Sauf que comme dans tout conte social digne de ce nom, Louise, elle tend parfois la main. Vers son patron d’abord, qui est parfaitement ignoble. Il l’engueule quand elle arrive en retard. Lui refuse un temps plein. Et pour ce qui est d’une avance elle pourra toujours courir, Louise. De toute façon, elle s’en fout. Elle bosse mal, n’est pas motivée et pique tout ce qu’elle peut dans l’hôtel. Dans l’enfer de la précarité, c’est ni Dieu ni maître pour Louise. Alors son con de patron, elle lui crache à la gueule.

Pour une poignée de poils sous les bras

On résume : pleins de gens peuvent l’héberger, elle a une haute estime d’elle-même. Elle est dure au mal et dégueule son patron. Elle s’assume, Louise. Enfin bon, jusqu’à un certain point. Parce que l’Etat pourrait quand même bien faire quelque chose pour elle, non ? Et bien croyez le ou non, ce n’est pas aussi simple. Son assistante sociale se fait attendre pour sa demande d’appartement. Comme quoi il y aurait des personnes prioritaires sur elle… des gens plus dans la galère, sans famille aisée, sans emploi, qui sait ? Alors ça Louise, ça la rend marteau, et c’est vrai que l’assistante sociale, on voit qu’elle a un peu honte de cette fin de non recevoir (Heureusement, elle sera remplacée en cours de route par une jeune humaniste qui s’empressera de rayer des listes les familles prioritaires pour caser la déchirante et droite dans ses bottes, Louise Wimmer)

Bon, jusque là, Louise Wimmer aurait pu n’être qu’un énième film sans saveur (réalisation plate, bien éloignée de l’uppercut filmique qu’était Rosetta en son temps) et un peu bancal sur une réalité sociale tellement dénaturée qu’elle en devient comique, mais non, il faut que Mennegun en remette une louche. Car Louise a du pognon. Zito estime son solde mensuel à au moins 700 euros par mois net. Vous le verrez, le calcul des dépenses, lui, sera encore plus simple à poser. Simple, car notre sympathique héroïne ne lâche rien. Pas de loyer, pas de frais de bouche (digne, elle se fait rincer au PMU toute la sainte journée, et a une ardoise qu’elle esquive avec une élégance rare), elle siphonne son gasoil à même les réservoirs de poids-lourds sur les aires de parking. Elle s’habille avec ses vielles fringues. Et bien sûr, elle ne s’épile pas. D’ailleurs, elle le montre à presque chaque plan. Il faut écrire ici que Corinne Masiero joue toute la crédibilité de son personnage sur l’incroyable touffe qu’elle exhibe en levant les bras dès que l’occasion lui est donnée. Louise Wimmer ne paye pas la bouffe, mais fond comme un vautour sur les légumes à volonté de Flunch. Elle pique le déodorant. Pique la flotte. Pique le vin. Pique tout, mais vend pour plusieurs centaines d’euros de fringues, bijoux et foulards hermès. C’est bien simple, dans la vraie vie, elle aurait fait fortune en suivant ce régime sec.

Top crédibilité et Tchétchénie

Aussi finit-on par avoir la gerbe à force de suivre cette femme récipient, garnie de morceaux de précarité surement réels mais qui, sur une seule personne virent grotesque. A dire vrai, on a l’impression que même en Tchétchénie, elle serait pas crédible, Louise Wimmer. Le sommet de l’odieux étant peut-être atteint par cette volonté de ne plus montrer les autres, ceux du capital, les patrons, les mieux lotis, les créanciers, dont les visages sont au fil du film de moins en moins montrés, dans un déni total d’humanité, pour mieux s’attarder sur les traits profondément chaleureux de nos braves piliers de bars qui animent la vie d’un PMU vivant et joyeux, populaire et sincère, comme le sont les pauvres gens. Ceux la même que Cyril Mennegun regarde de tellement loin qu’il n’en voit qu’une grossière caricature. Caricature qui fait de son film une farce misérabiliste, hautaine et déplacée.

En bref : Louise Wimmer est donc l’antithèse que ce qui est dit de lui : au lieu de la dignité que l’on voudrait y trouver, on n’y rencontre que méchanceté, laideur et caricature. Factuellement, le film finit par faire rire, avec sa Louise limite cleptomane, qui ne touche pas à son salaire pour mieux voler jusqu’à ces amis les plus proches, avec l’assentiment concerné d’un réalisateur qui ne semble pas vraiment avoir côtoyé la pauvreté. Incarné par une Corinne Masiero en roue libre, qui nous la joue Actor studio, avec moumoute sous les bras, rictus contracté et danse de mongole, tout transpire la parodie, la vision d’en haut et le pathos involontaire. Artificiel et déconnecté du réel, Louise Wimmer crève du grand écart entre la façon dont il est perçu et sa vérité : un cinéma social qui dénature une réalité difficile pour en rajouter toujours une louche de plus. Insultant pour les précaires qu‘il est censé décrire, et dont la dignité est autrement plus estimable que celle de sa détestable héroine, Louise Wimmer est une purge affreusement indigeste. A fuir tout séance tenante.

mardi 13 mars 2012

Lucarne : Lucky Louie + Louie


De et avec Louie CK

Pour les retardataires, qui ne sauraient pas encore qui est Louie CK, standupper américain qui connait aujourd’hui la gloire outre-Atlantique, le billet qui suit risque d’être un peu nébuleux. En effet, Frank Zito vous y parle non pas d’une, mais de deux séries qui ont comme personnage principal Louie, incarné par le Louie CK susnommé, mais dans des formats, et des genres totalement différents. Pourtant, le fond de sauce y est le même, à base de haine de soi, d’objectivité brutale et de récits crus qui racontent la quarantaine ratée dans une société contemporaine agressive. Dans le deux cas, on rit beaucoup. Dans les deux cas, souvent jaune.

D’abord Lucky Louie qui, comme le titre ne l’indique pas, n’est pas vraiment l’histoire d’un gars chanceux. Voyez plutôt : A trente huit ans, Louie vend à mi-temps des pots d’échappement pour un pote et réside dans un appart miteux avec son épouse, dont la libido est émoussée par un travail d’infirmière mal rémunéré. Et c’est comme si l’enthousiasme de l‘entrée dans la vie adulte, dont il ressent encore le goût sans plus en cueillir les fruits, s’était délavé dans cette existence morne qu’il n’aurait jamais imaginé mener : celle d’un homme mur, dégarni, grassouillet et lessivé, père d’une gosse difficile, affublé de voisins qui le méprisent et d’amis qui lui rappellent de par leur seule présence sa loose insondable.

D’un premier abord, on pourrait croire son écriture féroce alourdie par le format sitcom, mais ce serait grossièrement se tromper. Loin de se laisser distraire par sa dimension familiale, Louie CK en dynamite ses codes. Les rires du public accompagnent ainsi des histoires de loyers impayés, de problèmes éducatifs, d’argent destiné aux courses mal dépensé, de misère sexuelle ou de genèse embarrassante d’un 4 juillet spermicide. Et si le couple très attachant qu’il forme à l’écran avec la formidable Pamela Adlon peut laisser croire que l’on se trouve devant une série juste distrayante, on en est vite pour son argent. En 13 épisodes, Louie CK nous réconcilie avec un format que l’on croyait périmé depuis la fin de Seinfeld. Vous dire le tour de force.

Trop saignant, pas assez formaté, sûr que Lucky Louie ne pouvait pas s’enraciner aussi facilement dans le paysage télévisuel US, aussi se termine-t-il au bout d’une seule saison sur un climax terrible, preuve de l’incroyable exigence de son auteur, pas vraiment prêt à jouer la concession.

D’où le plaisir, trois ans plus tard, de le retrouver dans Louie. Même plus Lucky, c’est vous dire si l’heure est grave. Séparé de sa femme, pas la même que dans la sitcom, nous retrouvons Louie CK dans une sorte de fausse autobiographie. Articulé autour de sessions de Stand up dont on ne peut jamais savoir si elles sont mises en scène ou spontanées, Louie délivre sous forme de saynètes douces-amères, le naufrage de la sa vie de quadra new-yorkais tout juste célibataire, sans atout physique particulier et sans argent. Il drague comme il peu, tente de remplir le vide de sa vie quand une semaine sur deux ses deux filles retournent chez leur mère, et de leur survivre quand elles sont à la maison. Tout est compliqué dans Louie, grisâtre voire pénible. Pour autant, rien n’est glauque. Il contemple l’humanité comme un scientifique impartial, questionnant la vie comme un enfant. Pourquoi les choses sont-elles toujours aussi compliquées ? Semble-t-il se demander, pour creuser sans fin la question, à l’image d’un Daniel Clowes, et nous faire découvrir toutes les facettes d’une société qui sait se faire humiliante quand on a pas les bonnes cartes en main.

L’écriture, plus sophistiquée, part dans tous les sens. D’un épisode l’autre tout change, sa femme, sa mère, ses amis jusqu’à son appartement. Tout est crédible et pourtant tout est faux. Et si le caractère autobiographique est curieusement ébranlé avec ces mouvements presque imperceptibles autour du réel, le désespoir d’une existence ratée reste criant de vérité. Le regard consterné et naïf de Louie se pose avec force sur tous les compartiments les plus douloureux de l’existence. La faiblesse physique, la cruauté, la violence, le sexe et la mort se cooptent autour de son personnage balloté, incapable de contrôler des évènements parfois insolites. Il donne alors le sentiment d’être au crépuscule de sa vie alors qu’il vient d’avoir quarante ans. Magistral, lunaire, hilarant et tendre même, il sait aussi nous mettre mal à l’aise dans des scènes de tensions parfois insoutenables, ou au bout de raisonnements cruels de réalisme qui vous retournent des vérités que vous croyiez incontestables pour vous abandonner sans dessus-dessous.

En bref : Une sitcom et une série qui mettent en scène le même personnage un peu pathétique, à quelques distinctions près, dans des situations de plus en plus sombres, de moins en moins confortables et de plus en plus mordantes. Louie rit de tout avec n‘importe qui, et le plus souvent, ça fait mal. Et de nous amuser tout en nous rappelant sans concession que Dieu est mort et que nous sommes seuls. Assurément la révélation d’un talent hors norme.

dimanche 11 mars 2012

Ciné : Hugo Cabret


Réalisateur : Martin Scorsese

Avec : Ben Kingsley, Sacha Baron Cohen, Asa Butterfield


Année : 2011

Allociné a répertorié 8 bonnes raisons d'aller voir ce film. Ca tombe bien, Frank Zito y a trouvé 8 bonnes raisons de rester chez lui. Match.

1. Parce que ça fait du bien de voir Scorsese abandonner un temps la noirceur pour la magie d'un conte de Noël.

C’est l’argument massue : la magie de noël. Distillée aux forceps par un Scorcese qui perd, en changeant de registre, tout ce qui peut faire le sel d’un cinéma dont il semble égarer film après film le modjo. Ici, notre Santa Claus du 7ème art fourre notre chaussette avec une vieillerie chinée dans un vide grenier poussiéreux. Ca tire la gueule sous le sapin.

2. Parce qu'avec ce film, Scorsese rend hommage au cinéma qui lui a donné envie de devenir réalisateur.
Hélas, l’hommage n’a pas donné envie à Frank Zito de devenir spectateur.

3. Parce que Martin Scorsese qui déclare sa flamme au 7e Art, c'est forcément unique !
Mauvaise nouvelle : le 7e art a préféré épouser Mélancholia à Vegas plutôt qu’enfiler les charentaises d’Hugo Cabret.

4. Pour réaliser à quel point il faut aimer et protéger les films.
Pour la pédagogie, il y a déjà les cours des clubs vidéo dans les collèges. On y comprend aussi ce que c’est que s’emmerder en parlant cinéma avec des personnes âgées.

5. Pour voir la légende Scorsese s'amuser comme un gamin avec l'outil 3D.
On a déjà vu ce que ça donnait avec la légende Lucas et la légende Spielberg, et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’on les aimait plus quand ils faisaient mumuse en 2D.

6. Pour (re)découvrir George Méliès.
L’ennui que dégage la relecture amidonnée de papy Martin de l’œuvre de Geoge Méliès donne plutôt envie de (re)découvrir Louis La Brocante.

7. Parce que Martin Scorsese n'a peut-être jamais livré un film aussi personnel.
Si cette grosse production sans âme, qui ressemble comme deux gouttes d’eau à n’importe quel Caro et Jeunet d’opérette est le projet le plus personnel de Martin Scorsese, c’est que quelque chose ne tourne vraiment pas rond dans le bas monde du 7e art.

8. Pour la reconstitution merveilleuse du Paris des années 30.
Ou plutôt l’embaumement visuel d’un Paris fantasme aussi authentique que les boules à neige vendues à la sauvette aux touristes en lune de miel. Trente années plus tard, le mariage consommé depuis des lustres, les gadgets trônent sur les cheminées, vieux morceaux de plastique sans âme dont la magie, si tant est qu’elle ait jamais existé, est totalement absente. Au final, Hugo Cabret est leur pendant cinématographique : un truc mal dégrossi, décoratif, doucereux, et aussi gluant qu’une bise à grand -mère.


samedi 10 mars 2012

Ciné : Le territoire des loups


Réalisateur : Joe Carnahan

Avec :
Liam Neeson, Dallas Roberts, Frank Grillo

Année : 2012

Tout avait pourtant bien commencé. D’abord Rurik Sallé, le sémillant rédacteur de Mad Movies, qui promettait un Carnahan sobre et mortel, avec un Liam Neeson mortel, des voix off mortelles, bref un film mortel. Raison pour laquelle Frank et madame se sont aventurés dans cette histoire de tueur de loups qui survit à un crash d’avion et va devoir combattre une meute avec sa poignée de compagnons d’infortune. Il faut écrire que dans le genre enthousiasme communicatif, il se pose là Rurik Sallé. Seulement on oublie parfois qu’il se tape plus de mille films par an, et des bouses comme on n’imagine même pas qu’elles existent. Facile de comprendre que pris dans une brochette de navets, un film cohérent, avec de vrais acteurs, un peu de décor, voire même une poignée de cascades, ça lui fait un effet bœuf. Même si, dans le cas du Territoire des loups, on aurait mieux compris que ça lui fasse un effet bof.

Liam Neeson le fils des âges farouches

De fait, malgré un démarrage distrayant, où l’on découvre Liam Neeson et son environnement violent, suivit du crash, très spectaculaire, on sent qu’il y a anguille sous roche. D’abord à cause de ces flashbacks aseptisés qui expliquent par ellipse la décrépitude de John Ottway, et justifient sa présence en Alaska et son désir d’en finir avec la vie. Scène récurrente qui sent fort le pathos à deux euros, avec un côté télé novella qui ne va pas si bien que ça au grand Liam. Ensuite, autour de la carcasse fumante du vol 714 à destination d’Anchorage où les survivants se regroupent autour de notre vieux sage. Ce qui n’était qu’une intuition devient constat : Le territoire des loups c’est l’histoire d’un héros plein de bon sens, dont chaque parole est accueillie comme le verbe de Christ, sauf que l’on croirait entendre les déblatérations d’un élève de seconde qui se prend pour le fils des âges farouches. Philosophie de bazar, épanchements larmoyants au coin du feu, introspection pas vraiment top crédibilité, la bouillasse de dialogues vire risible à la grâce d’un doublage qui fait peine à entendre. Fort heureusement The Grey n’est pas un film à vocation pédagogique, mais bien un survival méchant qui pose ses protagonistes en terrain hostile. Aussi attendions-nous les loups avec impatience, car eux ne pouvaient pas souffrir de la version française.

"Nous savions dès le départ que si nous rations les loups, nous raterions le film", déclare d’ailleurs Jules Daly, l'un des producteurs du film dans le communiqué de presse, confirmant que pour obtenir des loups crédibles à l'écran, deux techniques avaient été utilisées  : des marionnettes animatroniques géantes ainsi que de véritables animaux en complément. Enfin, ça c’est-ce que raconte le communiqué de presse, car Frank Zito, depuis son fauteuil, peut vous affirmer qu’ils se sont souvent laisser aller à une troisième technique, plus douteuse, celle des CGI discountés, au rendu très Twilight. A l’écran donc, Le territoire des loups pixélisé n’est pas toujours du plus bel effet. Et comme chacune de leur apparition est soulignée par des bruitages vraiment déraisonnables et que leurs attaques sont proprement illisibles, on ne peut pas vraiment dire que les loups soient le point fort du film.

Slasher animalier tendance l’Agence tous risques

De fait, de point fort, il n’y en a pas dans Le territoire des loups. Mais cette succession ininterrompue de morts violentes et de conversations viriles finit curieusement par tisser un improbable film d’on ne sort pas écœuré. D’abord, du fait de quelques scènes réussies au cœur de la forêt de ratés. Aussi et surtout, parce que l’ensemble est toujours emballé de bonne humeur. Ainsi suit-on le sourire aux lèvres, le vétéran Ottway prendre ses raccourcis douteux, faire l’apprentissage de techniques d’auto-défense qui font plus penser à Mac Gyver et L’agence tous risques qu’à John Rambo, et finir par entraîner un à un les rares survivants à une mort certaine. Tout se déroule comme si le réalisateur lui-même, ne prenait pas tout ça au sérieux. A grands coups de punchlines connes à bouffer du foin, Joe Carnahan mène son slasher animalier avec un entrain très eighties, n’hésitant jamais à virer bis, voire Z, à la faveur de prises de décision invraisemblables, ce qui n’est pas le moins bon côté de ce film bancal qui fait plus rire que chier. Ce qui pourrait, au final, être la définition d’un film mortel.

En bref : Camera collée à l’épaisse carcasse de Liam Neeson, qui livre une performance physique, massacrée non pas par les loups, mais par un doublage français proprement immonde, Le Territoire des loups, fait plaisir à voir, avec ses prédateurs dégénérés et particulièrement pervers, ses dialogues pré-pubères qui rappellent les plus belles heures du cinéma des années quatre-vingts et ses gros bras pas futés. Jusqu’à ses bricolages à la castor junior bien désuets face à une meute de loups disproportionnés, et parfois digitalisés. Ca casse pas trois pattes à un canard, ça déclenche parfois des rires involontaires, on n’y croit pas une seconde, mais curieusement, à l’image du grand Liam et de sa bande de pieds nickelés, ça reste sympathique d’un bout à l’autre. Mortel disait Rurik ? Et pourquoi pas…


jeudi 8 mars 2012

Sortie DVD : Apollo 18


Réalisateur : Gonzalo Lopez-Gallego

Avec : Warren Christie, Ryan Robbins, Ali Liebert

Année : 2011

Apollo 18, voilà un film qui avait tout pour plaire à Frank Zito. Expédition spatiale qui tourne vinaigre, vaisseau abandonné tendance épave lunaire, délire crypto communiste post guerre froide, found footage type Blair Witch, affiche mortelle et twist final. La totale.

Sauf qu’en guise de Totale, c’est plutôt à la version marée noire qu’au côté entreprise qui gagne que se réfère l’abominable bobine de Gonzalo Lopez-Gallego. A la tête de son film pitch, le réalisateur s’avère dès le début infoutu de donner la moindre impression d’espace à son survival spatial. Les intérieurs de vaisseaux sentent le studio, les extérieurs le pâté. Shooté caméra sur l’épaule d’une grand-mère ravagée au dernier degré par la maladie de Parkinson, Apollo 18 remporte peut-être la palme du plus laid tournage caméra portée de ses dernières années. Et celle du plus con ? Même pas, car le titre attire la sympathie, là où le film de Gonzallo Lopez-Gallego n’attire que le néant. Un néant où ce que l’on ne distingue pas ennuie et ce que l’on voit fait rire.

Joué tristement par des acteurs monolithiques, le scénario se révèle finalement être ce qu’il est : un attrape nigauds bon à remplir une bande annonce. La direction artistique part dans tous les sens, avec comme seul ciment une volonté vintage assez vilaine, et surtout extrêmement travaillée après tournage à la grâce d’une application qu’on imagine offerte pour tout achat d’un I-phone. L’image ne donne jamais l’impression d’être shootée en direct, un comble pour un film dont on est sensé voir les rushes sans montage. Surement la patte du producteur, l’époustouflant et usant Tibur Bekmandetov, l’homme aux mille idées, dont aucune n’effleure le minimalisme requis par le found footage. Aussi, depuis le barbecue très années soixante-dix aux images d’archives de la Nasa, Apollo 18 fait monstrueusement fauché, et à l’exception d’une scène forte dans un cratère ténébreux, va se classer immédiatement dans la catégorie des très mauvaises surprises du genre, non loin de l’abominable, et inégalable, Paranormal Activity.


mercredi 7 mars 2012

Livre : De sang froid


 Auteur : Truman Capote

1959, à Holcomb, Kansas, une famille sans histoire, parfaitement intégrée dans le tissu social de sa ville, appréciée de tous, est retrouvée sauvagement assassinée à son domicile sans aucun mobile apparent. Truman Capote, fasciné par un article de journal, décida de se lancer dans l’écriture d’un roman documentaire sur une affaire qui avait défrayé la chronique aux Etats-Unis. Son objectif avoué, décortiquer ce meurtre avec le même sang froid que celui qu’il aura fallu aux deux meurtriers pour perpétrer leur terrible ouvrage.

Avec un talent et une précision saisissante, il nous fait découvrir la dernière journée de la famille des victimes, multipliant les points de vue et les témoignages, puis le meurtre d’autant plus
insoutenable que ces personnes ne nous sont plus inconnues, et enfin l’enquête policière et le profil des tueurs, deux marginaux qu’il raconte sans émettre le moindre jugement moral. Véritable anthropologue, il met en scène une succession ininterrompue de détails méticuleux, d’articles de presses, de témoignages de première main et de colportages variés pour pénétrer l’intimité de l’affaire avec une étonnante lucidité. Il en ressort un puzzle complexe qui donne à voir l’histoire d’un meurtre dans toutes ses nuances, s’immisçant dans chaque zone d’ombre avec un recul quasi scientifique.

Avec « De sang froid », Truman Capote signe une véritable bombe, tellement en avance sur son temps qu’elle paraît aujourd’hui d’une incroyable contemporanéité. D’autant qu’au-delà de l’impression purement descriptive de l’enquête, Capote fait bouillonner son roman d’une grande humanité, faite de chair et de sang rouge vif. Au final il arrive à donner à voir une tranche de vie coupée chirurgicalement à un ensemble plus vaste encore que son point de départ : celui d’une comédie humaine dont tous les sentiers mènent à la tombe. Monstrueux !

mardi 6 mars 2012

Sortie DVD : Real Steel


Réalisateur : Shawn Levy

Avec : Hugh Jackman, Dakota Goyo, Evangeline Lilly

Année :  2011

Pas sûr qu’il y ait grand-chose à écrire sur Reel Steel, si ce n’est que contre toute attente, celui-ci fait un carton au box office français, après avoir tout déchiré aux États-Unis. Alors pourquoi ne pas essayer d’expliquer comment une équipe de milieu de tableau, handicapée par une réalisation anonyme, un casting de second choix et un scénario aussi rouillé qu’un robot discount a réussi à se positionner dans le haut du tableau.

Mouflet gonflant et héros couillon

Alors dans un premier temps, regardons ce qui ne fonctionne pas , comme cette histoire de robots jamais crédible, qui tord jusqu’à la vider de toute substance une nouvelle de Richard Matheson. Filmée mollement par le réalisateur de l’extra plat La nuit au musée, Reel Steel est long, trop long, parfois interminable. La faute à toutes les scènes intimes sensées humaniser ses personnages de chair et de sang. A ce propos, Angeline Lilly et Dakota Goyo réussissent une performance d’acteur remarquable en affichant une palette d’expressions moins nuancée qu’Atom, le petit robot de Max, et quand vous aurez vu la gueule du robot, vous comprendrez l’exploit. Bref, tout cela ne semble pas terrible, et nous nous éloignons de l’explication tant attendue.

De fait Reel Steel va puiser sa force dans des films qui font aujourd’hui le bonheur de Nanarland. Très classique dans sa trame ratée, il prend chez Stallone presque toute la puissance narrative. Et c’est vrai qu’Hugh Jackman, bodybuildé comme jamais, réincarne à la perfection le Sly des années 80, avec une tête de fouine à la place de la gueule cassé de l’étalon italien. Le capital sympathie de l’acteur semble être le même que celui de son aîné. Pourtant n’allez pas chercher de rapport entre Reel Steel et ce que Stallone a fait de mieux. Non, il faut plutôt aller lorgner vers le fond du catalogue, là où trône l’indépassable Over The Top. Echangez les bras de fer contre des combats de robots et vous retrouverez le même film, avec sa musique rock ronflante, son mouflet gonflant, ses méchants bouffons et son héros moins couillu que couillon. Tout ce qui est raté dans Reel Steel se trouvait déjà dans son modèle rangé aux oubliettes.

Du Vandame, du Stallone, et des Scoubidous-bidous

Mais la bonne nouvelle, c’est qu’on y retrouve aussi tout ce qui fonctionne. Une histoire ultra prévisible qui avance posément ses rares pions pour exploser dans un climax attendu où (Attention spoiler) tous les méchants voient leur petit cul botté, et tous les gentils récompensés. Efficace, les combats de robots jalonnent la rédemption du père absent avec assez de mouvement pour nous faire oublier que rien ne fonctionne. Comme dans les plus belles heures de Vandamme dans Full contact, Shawn Levy nous entraîne dans des bas fond de carton pâte qui ne ferait pas peur à votre grand-mère. Les gangstas sont plutôt sympa, les nihilistes font sourire, les rednecks scoubidesques, jusqu’aux asiatiques dont Reel Steel prouve que la technologie est très surfaite. Bref, vous pouvez compter sur Jackman/Stallone/Norris/Vandamme pour enfoncer la banière étoilée bien profond où vous pensez de tous les salauds de la terre. Calibré pour toute la famille, arrivé à un moment où le monde semble en totale déroute, voir un héros aussi basique remettre de l’ordre dans tout ça, cela faisait bien longtemps que ce n’était pas arrivé sur nos écrans. Et ceci explique au final peut-être cela.

En bref : Confortable comme une vieille VHS bourrine sortie un dimanche pluvieux, Reel Steel réussit le tour de force de nous faire croire que rien n‘a changé depuis plus de vingt ans. Un film de science fiction qui fait comme si le terrorisme, la finance, la couche d’ozone, et dieu sait quoi encore, n’étaient qu’un cauchemar que l’on pouvait balayer d’un solide coup de pied au cul. Imperturbable, Hugh Jackman finira par faire mordre la poussière à tous les méchants d’opérette et finir rigolard sur un ring avec son fils retrouvé. Comme dans Over The Top en 1987. Si ça, c’est pas de la science fiction.

lundi 5 mars 2012

Double séance : Borgen + L'execice de l'etat




Le hasard, si tant est qu’il existe, a fait se croiser sous le regard étourdi de Frank une série, Borgen, diffusée actuellement sur Arte, et un film, L’exercice de l’état, jadis megauploadé, aujourd’hui putlocké, mais qui aurait vraiment mérité un grand écran. Deux faces d’une même pièce : une virée dans les coulisses du pouvoir à une époque charnière dans l’ère politique, celle de la puissance médiatique toujours plus forte, et de l’impuissance des États au regard d’une mondialisation qui en a rogné les prérogatives.

Pas de suspens, les deux valent vraiment le détour. La série danoise, qui compte l’arrivée au pouvoir de Brigitte, une femme politique droite dans ses bottes confrontée à la réal-politik du « château », le parlement danois où se noue les alliances les plus improbables au fil des besoins. Spin-doctor, médias, promotions, indulgences et influences viennent frapper de plein fouet la rigueur morale de cette épouse modèle dont on devine que les dégâts sur sa vie de famille seront élevés. Et que dire de Bertrand Saint Jean, ministre des transports dans l’Exercice de l’État, qui se trouve lui aussi aux prises avec celui qu’il est censé avoir été et ce pouvoir qui broie les hommes pour les amener à fonctionner comme l’on imagine qu’ils doivent le faire : sans morale ni complexe, prêts à travestir la réalité pour la bonne cause si le besoin s’en fait sentir, obligés d’opiner du chef même si pour cela on doit trahir ses idéaux les plus élémentaires.

Dans les coulisses : un panier de crabes

Bref, les deux sont la démonstration attendue d’un pouvoir machiavélique -chaque épisode de Borgen s’ouvre sur une citation du philosophe-, même si le film de Pierre Sholler remporte haut la main la palme du réalisme, avec son Olivier Gourmet en mode ministre outsider type Eric Worth pré-Bettencourt. Il impressionne de naturel, délivrant une performance sur la lutte intérieure entre son égo démesuré, ses coups bas que l’on se donne sans même s’en rendre compte, ses fausses fidélités et ses vraies vanités. L’exercice du pouvoir le mâche, le malaxe et l’avale comme cet alligator qu’il voit en songe. La peau se durcit, l’orgueil s’éteint devant les promesses d’avancements. Avec une question à la clef : devient-on surhomme ou sous-homme à ce régime là ?

De ce point de vue, Borgen laisse la porte entrouverte, avec son héroïne qui se débat dans son panier de crabes, n’a pas encore abdiqué, quand le personnage d’Olivier Gourmet se transforme sous nos yeux en un passe plat manipulé par son directeur de cabinet, l’impénétrable et inoxydable Michel Blanc, glaçant dans un rôle ambigu de serviteur de l’ombre dont on ne saura jamais vraiment où s’arrête son influence. Dans les deux cas, il faut composer avec les évènements, savoir les retourner en sa faveur, trahir si nécessaire. Et au fil du temps, les premières couleuvres avalées, ne plus servir ni l’Etat, ni même être servi par lui, mais se contenter de jouer le rôle qui nous a été assigné, dans un jeu d’échec qui dépasse de beaucoup les individus et dont on finit par croire qu’ils sont interchangeables.

En bref : Témoignage d’un temps où tout le monde semble avoir abdiqué devant les puissances conjuguées de l’image et de la finance, Borgen et L’Exercice de l’Etat démontent avec intelligence, les mécanismes qui emmènent la classe politique à devenir ce qu’elle est : une affreuse baudruche impuissante dont chaque mot semble être lu sur un prompteur absurde dont on ne sait plus très bien qui l‘alimente. Dès lors, seule la carrière personnelle prend tout son sens. Et la démocratie dans tout cela vous direz vous ? Il parait encore, à l’heure où j’écris ces lignes, qu’il s’agit du moins mauvais système politique que nous ayons à notre disposition… Une double séance glaçante.


 

samedi 3 mars 2012

Comptoir : The Strokes, le crépuscule des Dieux


Frank et madame Zito se sont mis sur le tard au phénomène. Sûr qu’ils avaient entendu ici et là quelques titres, mais le plus souvent au travers de pub que musicalement écoutées. Il leur a fallu attendre 2006, et la sortie de First impressions of Earth, et son premier single, Juicebox, pour que le couple s’emballe. Tonique, irrévérencieux et terriblement rock, ce fut la claque dans la gueule, immédiatement suivie de la découverte a posteriori des classiques Is this it et Room on fire. Aussi les Zito’s sont-ils passés à côté du phénomène de mode pure, du délire qui a entouré le groupe qui avait remis le rock au goût du jour au début du millénaire. L’histoire de ces cinq jeunes de bonnes familles relookés qui avaient à eux seuls relancés les Converses. Et pour être honnête, sans a priori, les Strokes, c’était tout simplement génial. La conclusion de cette révélation se fera dans l’été même, avec la présence du groupe à Turin, puis à Nice, au Théâtre de Verdure. Prestations impressionnantes, à la set-list mortelle, tellement abouties qu’elles se posaient d’elles-mêmes au firmament des lives auxquels avaient assisté Frank et sa fidèle compagne.

Après le coup de foudre, commença donc l’attente, suivie des premières escapades. D’abord celle d’Hammond, avec un album root’s excellent, puis de tous les autres, avec à chaque fois un zest de Strokes dedans, juste de quoi relancer la flamme avant qu’elle ne s’éteigne. Hammond se produisit à Nîmes en juillet 2007. Simple, sans chichi, il s’avèra particulièrement généreux. Puis vint l’heure de Julian Casablancas. Les années déjà avaient passées, les rumeurs allaient bon train, le doute avait fini par s’installer. Son Phraze for the Young, electro, et très Strokes, les claviers ayant simplement remplacés les guitares, nous remis du baume au cœur. Le gars savaient encore écrire de sacrés titres. Pourtant quelque chose semblait bien s’être passé. Une fêlure que la musique elle-même n‘apaisait pas.

Les phrases amères transpiraient lors d’interviews à clés, le monument semblait fragilisé. Tout portait à croire que si l’essai de Julian s’avérait concluant, nul doute que les Strokes n’y survivraient pas. Par chance, le leader des Strokes tournait durant l’été 2009 à Vigevano. L’occasion pour Frank d’aller y jeter un œil. Et tout de suite, il comprit que l’essai ne le serait pas, concluant. Groupe en retrait, style vestimentaire improbable, mal-être évident d’un Casabancas épaissi et bien peu glamour dans son blouson de cuir que de mauvaises langues affirment qu’il aurait été emprunté à Jacques Higelin, performance tristounette. Bref, ce soir là, bouffés par les moustiques, Frank et madame Zito surent avec certitude que les Strokes reviendraient, que cela ne pouvait pas continuer comme ça.

Vient alors l’attente du retour tant attendu. Et avec lui le questionnement. Les Strokes sont-ils encore un groupe, les égos peuvent-ils cohabiter, Julian Casblancas partagera-t-il le pouvoir ? Questions sans réponses. Les rumeurs enflaient. Ils n’enregistreraient pas ensemble. N’écriraient pas ensemble. Les articles font état d’interviews d’autistes, de gars malheureux qui espèrent un retour à la normale sans trop y croire. Chacun tweete de son côté. On apprend qu’Hammond était tombé dans la drogue assez méchamment. Bref, on entend à peu près tout et n’importe quoi sur ce groupe qui n’avait jamais eu besoin de frasque pour faire parler de lui. Un groupe qui transpirait la classe, et que ce déballage mettait un peu à mal. Mais bon, le peu de midinette qui restait en nous voulait y croire, et Angles arriva.

Drôle d’album, pleins de titres sympa, certains qualifiés de Classic strokes, d’autres plus aventureux, mais toujours intéressants. Sauf qu’après des dizaines d’écoutes, une révélation : aussi bon soit-il, il n’accroche pas les oreilles de la même manière que ses trois prédécesseurs. Plus décousu, parfois trop arrangé, sans flamboyance, aux excès millimétrés, il sonne trop calibré. C‘est un bon album, parce qu’un album des Strokes pas terrible reste bon, mais sans plus. Il lui manque la passion. La vie. Mais au-delà de cette performance moyenne accouchée dans la douleur, il y avait parallèlement le retour soudain de nos cinq héros sur la scène médiatique, et là, quelque chose de l’ordre de la chute aurait dû se faire sentir.

Mais les Zitos ne voulaient rien voir, aussi six ans après leur coup de foudre l’occasion leur était donnée de revoir les enfants prodiges en Italie. Accrochés à la barrière au premier rang, avec un public italien tout acquis à leur cause, tout ce que à quoi l’on s’était accroché durant des années s’efffondra sous nos yeux embués. Après avoir été aussi parfait que soudé, le groupe apparu brouillon et relativement froid. Julian Casblancas multiplie les salamaleck, remercie à tout va. Rit bêtement. Ne semble pas pouvoir tenir la distance. Jusqu’à son perfecto qui tombe mal. Là où tout ce que les Strokes touchaient suait la classe, tout semble aller de travers. Nick Valensi a l’air éteint. Ses solos sont mous, sans conviction, on croirait un guitar-hero sous xanax. Comme d’habitude, Nicolas Fraiture donne l’impression de se faire chier. Mais aujourd‘hui, on y croit. Moretti a définitivement perdu le modjo et Hammond les cheveux. Les cinq ont l’air déguisé pour l’occasion. Un peu comme s’il s’agissait de sosies mal dégrossis du groupe qu’on avait fini par fantasmer. Retour sur terre d’autant plus brutal qu’il y aura pas moins de quatre coupures d’électricité ce soir là, et le départ de Casablancas, excédé, alors que les autres attendent sans trop savoir ce qu’ils devaient faire. Du groupe, il ne resterait que des ruines. Le malaise…

Alors bien sûr, on les aime toujours. Mais la douleur a remplacé le plaisir. La faute à cette certitude que les choses ne seront plus jamais comme avant. Sûr, ils nous expliquent qu’ils ont changé, qu’ils ne peuvent plus être les jeunes insouciants qu’ils ont été, que ce serait malhonnête de leur part de le laisser croire. C’est vrai, mais de là à tomber si jeunes dans une Rollingstonisation radicale, et des concerts karaokés sur fond de standards indémodables, ça, on ne pensait pas y assister si tôt. De retour en France, et sans avoir échangé un mot sur la route, madame Zito a décollé le sticker des Strokes qui ornait sa guitare, remisé ses photos dédicacées au grenier, brûlé ses vieilles converses. Parfois Frank se rend bien compte qu’elle aussi n’est plus la même. Il la serre dans ses bras pour lui permettre de pleurer doucement, même si elle lui répète que ça n’a rien à voir, que ce ne sont que les oignons qu’elle a émincé. Mais il le sait bien, lui, qu’elle est minée par le chagrin, que le phare qu’était les Strokes dans son univers musical s’est éteint un peu trop tôt, un peu trop misérablement pour en sortir indemne. A vrai dire, le regard perdu dans le paysage, le silence seulement haché par les pleurs de madame, Frank se rend compte qu’il sanglote, lui aussi. Pourtant c’est sûr, ce soir il n’a pas coupé d’oignons.


vendredi 2 mars 2012

Video-club : Cadavres à la pelle



Réalisateur : John Landis

Avec : Simon Pegg et Andy Serkis

Année : 2011

Reconstitution scrupuleuse et pesante d’une histoire vraie de pilleurs de tombes maintes fois adaptée pour le cinéma, John Landis fait véritablement peine à voir avec son Cadavres à la pelle. En effet, après plus de dix ans passés à cachetonner plus ou moins brillamment pour la télévision, le réalisateur de l’incontournable Loup Garou de Londres signe son retour avec un film très décevant, dont le comique troupier rappelle les pires heures de Jean-Marie Poiré version Les anges gardiens ou Ma femme s’appelle Maurice. Quand on sait qu’il souhaitait ranimer la flamme du cinéma de quartier des années 50 en l’agrémentant d’une pointe de grand guignol, ça vous raconte tout du ratage intégral. 

Caractère vieillot et humour daté

L’occasion donnée de savourer les critiques de journaux qui servent aveuglement les slogans des communiqués de presse sans se déplacer aux projections. Car il faudrait creuser longtemps dans cette terrible bobine pour y retrouver ce que l’on pouvait lire dans Télé 7 jours à sa sortie: « John Landis revient en pleine forme, après douze ans d'absence, avec cette farce macabre, amorale, hilarante et décapante ». 20 minutes se contentant de céder au jeu de mot poussif style L’équipe magasine pour s’enthousiasmer devant ce «délire macabre qu'il serait bien dommage d'enterrer ». Car si Cadavre à la pelle est plutôt bien fichu formellement, ce qui saute au visage des spectateurs, c’est son caractère vieillot et son humour daté. Et pourtant Dieu seul sait qu’à la différence des journalistes de Télé 7 jours et 20 minutes, Frank zito aime profondément Landis. Sa filmographie a bercé sa jeunesse, et aujourd’hui, il se régale devant les interventions érudites et toujours décalées de ce grand maître simple d’accès.

C’est pourquoi il enrage devant cette pochade sans charme ni ticket, cette histoire mal introduite par un bourreau pas drôle, cet hybride qui au lieu de permettre aux différents genres de fusionner, ressort patchwork vilain, le cul entre les 3 stooges, les Hammer movies et Oliver Twist version naphtaline de Polanski. Jamais amusant, jamais sinistre, jamais subversif mais toujours vulgaire, le dosage si cher à Landis entre humour et horreur fait flop. Et ce n’est pas la magnifique photographie -qui paraît déplacée pour un film à l’ambition si faible- ni la bande son, un horrible écoulement de cornemuse et de violon dans la plus terrible tradition écossaise, qui sauvent Cadavres à la Pelle du naufrage.

Une croisière Costa Concordia

En guise de canot de sauvetage, ne restait que le casting. Tenez, ouvrez grand Le monde pour découvrir que « le film est servi par une brochette de talents anglais toutes générations confondues ». C’est le point sur lequel la presse est la plus unanime. Quel casting ! Du haut vol ! Le gratin british ! Sauf que sur la pellicule, le gratin sent sérieusement le renfermé. Le caméo de Christopher Lee monté en épingle est insignifiant. Ronnie Corbett incarne le Capitaine Mc Lintock en mode Sergent Garcia. Isla Ficher passe complètement au travers. Le bateau coule et tous jouent leur partition comme s’il n‘y avait pas d‘autres passagers. Mais le pire reste le duo vedette. Alors là, la chute est lourde. Simon Pegg et Andy Serkis semblent bloqués en mode surjeu. Antipathiques, sans charisme aucun, ils essaient de compenser leurs handicaps par une divagation gesticulatoire grotesque. Leurs trognes bizarres, au lieu de coller au film, incommode physiquement. Jamais amusant, jamais touchant, et surtout jamais attachant, ils symbolisent parfaitement le ratage de Landis, incapable de choisir entre le ricanement cynique, le sourire tendre et l‘horreur de situation. Pire, il force le trait pour sombrer dans la vulgarité mainstream la plus contemporaine, loin, bien loin des références qu’il souhaitait raviver.

En bref :
On imaginait John Landis en capitaine Stebing, sur le pont du Love Boat, prêt à accueillir ses spectateurs pour une aventure virevoltante et référentielle après plus de dix ans de silence cinématographique. On le retrouve décati aux commandes d’un Costa Concordia sur pellicule. Comme son homologue italien, le capitaine Francesco Schettino, ses manœuvres grossières mènent Cadavres à la pelle à échouer lamentablement sur les côtes du septième art. La faute à un équipage incompétent en mode roue libre, laissé à l’abandon par un capitaine tout à la fierté de pouvoir encore manœuvrer un film de cette envergure. Une grosse deception dans laquelle Simon Pegg et Andi Serkis font pire qu’Isaak et Gopher, en étant incapable de sombrer avec le sourire. Moche et sans âme : une grosse déception.