lundi 5 novembre 2012

Une forme de vie

Auteur : Amélie Nothomb

Une forme de vie.
Difficile d’entrer dans une librairie pour y acheter le dernier Nothomb quand tous les ans elle y va de son roman court, l’envie manque d’y retourner, malgré des premiers livres sympathiques qui ne nous avaient laissé que de bons souvenirs. Il y a chez elle un aspect qui retient l’achat (de Frank Zito uniquement, car en terme de ventes, il n’y a aucune retenue chez son lectorat fidèle) c’est le grand écart entre la légèreté de son œuvre, son succès populaire et la médiatisation un peu ridicule de l’auteure chapeautée. Bref, si le hasard, prenant la forme d’une douce amie, ne nous l’avait pas mis entre les mains, nul doute qu’Une forme de vie serait restée éternellement en dehors de notre champ de vision.

Cette saison donc, Nothomb s’essaye au genre épistolaire, détaillant par le menu une correspondance qui la met en relation avec Melvin Mapple, soldat américain stationné en Irak et devenu obèse par trop plein d’humanité. Ne supportant pas ses crimes, il aurait inconsciemment décidé de porter sous forme d’embonpoint le poids de ses victimes. Dès l’introduction donc, la diablesse sait y faire pour attirer le chaland : une histoire abracadabrantesque, mêlée d’autofiction et écrite dans un style qui a si peu bougé depuis ses débuts qu’il résonne aujourd’hui comme celui d’une vielle romancière britannique plus obnubilée par ses boutures printanières et sa tasse de thé Earl Grey que par la tenue de son récit.

Ce qui accroche vraiment l’œil, c’est ce plaisir qu’elle prend à détailler par le menu l’obésité de son correspondant, une jubilation dans le détail et l’image qui rappellerait presque celui que Frédéric Dard prenait à dépeindre le physique difforme de son Bérurier. La plume est cruelle, montrant un être à peine humain tant il est énorme, qui se bâfre pour enfler toujours plus, histoire d’emmerder l’administration, dans un geste de révolte contre une guerre injuste et sanglante. La bouffe y est décrite comme une drogue nocive et addictive qui poussse Melvin dans un élan amoureux proche de la folie à appeler sa panse "Shérazade", sa bedaine devenant la seule personne qui le comprenne, qui partage son intimité de façon concrète. Bref, le roman est fou, enlevé, méchant et vivifiant. Il prouve que la vieille en a encore sous la plume, et du saignant.

Mieux même, quand elle se met en scène en écrivain épistolaire gonflée d’orgueil, avec qui les lecteurs correspondent parce qu’elle a la réputation de répondre à ses courriers. Dans un mouvement, là encore délicieusement cruel, elle décrypte les us et coutumes de ses correspondants habituels, profite de l’occasion pour leur rappeler que les plus longues missives ne sont pas forcément les meilleures, et surtout qu’elle ne leur doit rien. Méchante comme une teigne, elle se montre sous le jour assez réaliste, sans fard, très proche du personnage qu’elle vend si bien aux média, celui d’une vieille fille un peu aigrie, inadaptée à la vie réelle, et claquemurée dans un monde livresque qu’elle contrôle comme une gérante de petit casino. Sa relation épistolaire semblant aussi enrichissante que l’encaissement toute une journée durant de produits alimentaires de première nécessité. Mais si la recette est bonne elle garde, comme la gérante précitée, un certain ressentiment à l’égard de ses clients qui ne lui apportent au final rien de plus que leurs chèques et les sollicitations qui vont avec.

L’auteure se pare alors d’une ultime pirouette qui prouve, s’il en était besoin, qu’elle est parfaitement consciente des travers qu’elle décrit. D’un peu creux, son ouvrage prend une tournure passionnante quand elle finit, par un jeu de miroir subtil, par se reconnaître dans cet obèse inadapté. Dès lors il suffit de retourner le livre, de remplacer la nourriture par ce courrier étouffant et bourratif qu'elle ingurgite à longueur de journée, et voir le monstre de foire qu’elle est devenue, pour comprendre que ce roman ne parle que d’elle, et qu’en fait d’échange de missive il s’agit d’une communication en vase clos qui ne peut mener qu’à la folie ou à la sécheresse de l’âme. Dans le cas d’Amélie Nothomb, il semblerait bien qu’elle soit atteinte des deux. Magnifique !

En bref : Roman étrange, tombé par hasard entre les mains de Frank Zito, il le regrette d’autant moins qu’il s’agit d’une expérience d’auto flagellation, plus ou moins consciente, parfaitement hallucinante de l’auteure star. Enfermée dans une image qu’elle a construite de toute pièce, qui se floute sur la pochette anxiogène de son roman, Amélie Nothomb semble ne plus savoir comment faire pour se sortir de l’œuvre qu’elle est elle-même devenue. Tout comme son correspondant, elle oscille en permanence entre l’orgueil d’être devenue une figure démesurée de la littérature, un phénomène de foire, et le regret de sa minceur passée. Mais que ses admirateurs n’aient pas peur, aussi addictive aux lettres que Melvin Mapple à la graisse, elle sait bien qu’à moins d’être stoppée de force, elle restera jusqu’au bout cette boursouflure littéraire, savourant à l’avance les applaudissements qu’on lui réserve, quand bien même ils seraient d’aussi mauvaise qualité que la bouffe industrielle ingurgitée gloutonnement par son alter égo. Monstrueux.

hell driver

Réalisation : Patrick Lussier

Avec : Nicolas Cage, Billy Burke, Amber Heard

Année : 2011

Hell driver.
Un résumé succinct avant de commencer, pour bien saisir la portée que laissera le film de Lussier dans l’histoire: Vavavoum ! Voum Vroum VROUM !!! ! Bip bip !! Tut tut !!! Pan, pan !! Bim, bam boum ! Tagada tsoin tsoin !!!! Coin coin !! Gloou glou !! Hic ! Raoul !!!

Ceci étant fait, passons aux choses sérieuses, si tant est qu’il y ait grand-chose de sérieux dans ce foutoir atomique qu’est Hell Driver, véritable nanar signé par un terrible tâcheron qui se voyait déjà en haut de l’affiche avec l’œuvre de sa vie. Et quelle affiche : Amber Head et ses jambes interminables en 3D, William Fichtner et sa gueule de comptable en 3D, Billy Burke et sa bande de fanatiques satanistes en 3D et bien sûr, the last but not the least, Nicolas Cage himself en 3D. Bon, j’en entends ricaner au fond de la classe, que le casting, en fait, il est pas si terrible que ça. Mais ce serait oublier que Nicolas Cage est le numéro 1 des héros chelous du cinéma fantastique Z de ces 5 dernières années. Oublier que même Steven Seagal aurait hésité à enfiler la cotte de maille dans le dernier des templiers ou le moule burnes en cuir dans Ghost rider.

Et pourtant Cage, lui, n’hésite pas ! Et quand on parle de burnes, on peut dire qu’on est servi, avec son jeu badass, ses délires capillaires, ses vannes de cul et ses punch line old school. A dire vrai, il est hilarant dans ce rôle de beau gosse aux bajoues gonflées à la cortisone. Tout comme les autres d’ailleurs, en roue libre dans une volonté de nous la faire dure à cuire, qui passent leur temps à baiser ou à y penser, à se balancer de grosses torgnoles dans la gueule après avoir siroté une Bud pas fraîche dans un rade pourri. Ah, le proprio graisseux du "Fat Louie" et les serveuses aguicheuses du "Bull by the Balls" ! Les moteurs ronronnent et les portes claquent tandis qu’on tringle au Palomar hôtel.

Bon ça, c’était la base de départ, le problème, c’est qu’à l’arrivée, elle nous fait un peu l’effet d’un pneu crevé leur virée redneck. Si les tartes dans la gueule 3D, les petits accès vénères et les bagnoles sont bien là, passés à la moulinette de Lussier, il ne reste pas grand-chose. On y parle quand même beaucoup plus de baise et de liberté sexuelle qu’on ne passe véritablement à l’acte dans Hell Driver. Les courses poursuites en Charger 1969 ou Chevelle 1971 pourraient l’être en 2chevaux 1983 et en super5 1989 que ça ne changerait pas grand-chose. Et puis, filmer badass, ce n’est pas forcément surligner chaque effet par un riff de guitare, utilisé ici comme une boîte à rire version hard FM. Bref, Hell Driver est à l’enfer et aux voitures ce que la Tourtel est à la bière, pas très bonne, elle ne ressemble pas à grand-chose, mais on peut toujours faire semblant d’être enivré par la mousse, si le cœur nous en dit.

En bref : Lorgnant ostensiblement du côté de Tarantino et Rodriguez, avec ses bad guys, ses méchantes vannes et ses grosses cylindrées, Hell Driver rate son coup car il lui manque la virtuosité du premier et la légitimité sévèrement burnée du second. S’il démarre sur les chapeaux de roue en jouant au méchant de la classe, et se montre aussi régressif qu’un riff d’Airbourne, il ne touche jamais à l’authenticité root’s d’AC/DC. Pire, il patine grave sur le bitume pour aller s’échouer lamentablement dans le bac à sable de la beauferie la plus Z. Reste une authentique bisserie, avec tout ce que cela peut-avoir d’attachant à nos yeux, et un Nicolas Cage qui est en train de devenir « autre » sous nos yeux ébahis. De lourds atouts qui finissent par contrebalancer favorablement le manque de relief de l’ensemble.


lundi 15 octobre 2012

Une vie de chat


Réalisation : Alain Gagnol, Jean-Loup Felicioli

Voix : Dominique Blanc, Bruno Salomone, Jean Benguigui

Une vie de chat.
Alors qu’ils s’enfonçaient dans la salle obscure de leur cinéma de quartier, Frank et Madame Zito furent pris d’un vertige. Encouragés par une presse dithyrambique, ils en avaient complètement oublié qu’une vie de chat était un dessin animé destiné au jeune public. Et de découvrir effarés l’enfer de se retrouver confinés un samedi après midi entre des grands-mères à l’odeur de violette et leurs petits enfants hyperactifs, sans être capable de savoir laquelle de ces deux catégories était la pire. Et ce n’est pas l’ouverture du film d’Alain Cagnol et Jean-Loup Felicioli qui allait calmer l’anxiété d’un Frank Zito qui sentait les murs se refermer sur lui, alors que cette salle qui avait habituellement le pouvoir de le couper du monde était transformée en une infâme garderie interactive, où chaque scène était expliquée à voix haute par des mamies pédagogues, ou pires, par des sales gosses à leurs grand-mères dures de la feuille. Horreur…

Seul un miracle pouvait les sortir de cette spirale débilitante qui semblait inéluctable, et de miracle, il va justement être question ici. Car avant même que Frank n’ait à fuir la salle pour aller inspirer de grandes bouffées de cet air qui lui manquait cruellement, le silence commença à se faire. Interdit, il crut d’abord à une intervention surnaturelle, de type mystique, quand il se rendit compte qu’il s’agissait de la magie du cinéma, de sa force narrative, capable de venir à bout des publics les plus coriaces, les plus ingérables, les plus séniles même. Bref, à l’image de Moïse réussissant à ouvrir un chemin dans la mer rouge, Une vie de chat avait hypnotisé ses spectateurs à la grâce d’une histoire limpide sans être sotte, et d’un dessin propice à la rêverie.

Avec son aspect crayonné à la main, de toute beauté, et son graphisme naïf inspiré d’artistes comme Modigliani ou Fernand Léger, Une vie de Chat se démarque dès le départ de la production courante. Esthétiquement réussie, il arrive à distiller une nostalgie visuelle d’une époque révolue tout en restant d’actualité, mêlant à la perfection ses références datées à un scénario intemporel extrêmement efficace. Le chat Dino passe de la vie paisible de ses propriétaires à celle plus mouvementée de Nico, cambrioleur à la dextérité féline, qui traverse la ville de nuit par ses toits, ses cambriolages se déroulant tout en douceur, dans une grâce de mouvements enchanteurs qui nous permettent d’admirer un Paris biscornu aux formes envoûtantes.

Symbole de l’habileté des auteurs à ne pas tomber dans le syndrome mortifère de l’illusionniste, la musique jazzy, qui se réfère au cinéma noir des années cinquante, sait aussi faire place à un score de thriller proche de l’univers des super-héros. Même panachage dans les personnages, tour à tour vieillots et contemporains. Avec leurs grosses têtes et leurs souliers vernis, ils sont irrésistibles, avec une mention spéciale pour la bande de malfrats bas de plafond, menée par un boss atrabilaire, qui puise aussi bien dans le répertoire d’après guerre que dans le cinéma de Scorcese. On suit enchanté cette enquête savoureuse, à base d’enfant mutique et de Colosse mythique, méli-mélo bien écrit, très drôle, et qui passe si vite que l’on reste sur sa faim. Finalement ému, Frank aida les grands-mères à sortir de la salle quand Madame Zito offrait des cornets glacés aux affreux rejetons. Vous dire la magie du cinéma…

En bref : Un film d’animation d’une beauté singulière, pétri de références, mais pas empêtré dedans, Une vie de chat offre une heure vingt de grâce visuelle, le temps de développer un scénario malin et de se permettre toutes les audaces formelles pour envoûter un public tout acquis à sa cause, de 7 à 77 ans. Dans le genre transgénérationnel, on n'avait pas vu ça depuis Tintin (la BD), c’est dire. A voir, et à revoir.



dimanche 14 octobre 2012

Roman : Cantique de la racaille

 Auteur : Vincent Ravalec

Cantique de la racaille.
Gaston rencontre Marie Pierre en Normandie, une jeune fille à la beauté irrésistible qui lui plait à crever. Ex-taulard qui squatte son appartement dans un immeuble désaffecté au dessus du café Maurice, troquet de poivrot tenu par son partenaire d’entourloupe Saïd, il se rend bien compte que pour garder un tel canon, il va lui falloir changer de standing. S’engage une quête vers les sommets qui ne sera pas sans embûches…

Le premier roman de Vincent Ravalec s’attache au parcours d’un marginal, businessman à la petite semaine, réglo et romantique à sa manière, qui va être à deux doigts de voir son rêve devenir réalité. Autoproclamé directeur d’une société fantoche (Extramill, « parce que c’est extra et que ça tape dans le mille » ) dont Marie Pierre est l’experte comptable, il surfe sur un sens des affaires particulier, de celui qui transforme les presque clodos du bar Maurice en surveillants de rue. L’écriture est jubilatoire, la description du Paris-combine pénétrante, tout respire le vécu chez Ravalec, qui croque ses toquards avec un amour infini et un sens de l’humour décapant.

Son tour de force est d’ailleurs de nous faire épouser le point de vue de cette racaille émouvante, de pousser l’empathie à son maximum, tellement fort qu’elle nous entraîne très (trop?) loin aux coté de Gaston, dont on savoure le regard décalé sur le monde de l’entreprise et le pognon facile, sur la belle société, ses coups bas et ses carrés VIP top top. Et nous comme lui de ne rien voir venir quand l’auteur, au détour d’un chapitre, distille les grains de sables qui enrayent cette réussite qu’on a à peine eu le temps de savourer. Notre Al Capone de Paname s’embourbe soudain, perd confiance dans son mirage, semble ne plus pouvoir échapper à l’épée Damoclès qui menace chaque page de ce cantique qui sonne crescendo comme un requiem. Car Gaston et Marie Pierre, aussi sincères et purs soient-ils, ne sont-ils pas marqués au fer rouge de la galère ?

En bref : Ravalec signe un livre magnifique, une ode attendrie à destination de ces bras cassés au grand cœur, dont les actes comme l’enfer sont pavés de bonnes intentions, et nous rappelle que si la misère est à vendre, il n’y a jamais personne pour l’acheter.

mercredi 10 octobre 2012

Concert : Justine + Santa cruz + Wank for a peace.


Justine + Santa cruz + Wank for a peace (guerilla -poubelle- asso)
Paris, Les Combustibles, la nuit vient de tomber. Frank et Madame Zito mangent seuls dans le restaurant branchouille de l’étage, absolument hors des prix du public des lascars du soir. Fauchés comme les blés, quelques mômes se partagent timidement une bière. L’occasion donnée de voir arriver en ordre dispersé les musiciens du soir. Au terme d’une tournée éclair d’une dizaine de dates, on sent les trois groupes soudés comme des Gaulois au banquet final. De bonnes têtes de pas vainqueurs, mais qui résisteront envers et contre tout, contre la marche en avant de notre monde à la gomme. Des héros comme on espérait les trouver. Bonne franquette, ambiance colo, seul Alex, le chanteur de Justin(e) semble un peu à côté de ses moufles. La gueule dans le cul. Dévitalisé. Comme éteint. Direct il file aux chiottes. Revient. Y retourne. Tous les quarts d’heure. Comme aimanté. Madame Zito est formelle : il doit avoir une chiasse carabinée. Frank acquiesce, dubitatif, se dit que si l’occasion se présente, il ne lui serrera peut-être pas la main, en suivant discrètement du regard Fab, le bassiste crêté, qui profite du départ de ses comparses pour finir les verres. Les augures seraient d’accord : la soirée semble bien partie.

Et c’est peu d’écrire la bonne surprise. D’abord avec Santa Cruz , groupe de punk énergique qui déploie un hardcore offensif de très bon goût, avec ses compos tendues et efficaces ultra référencées. Courtes, elles vont à l’essentiel, comme cet hommage à Troma, Surf nazi must die ou Pizza punk. Belle ambiance de départ, le set passe trop vitre, il commence déjà à faire chaud. La suite ne casse pas l’ambiance, loin de là. Wank for Peace, avec son hardcore plus structuré et mélodieux, mais aussi un peu moins intéressant. Pourtant la température se fait équatoriale. Le chanteur donne tout ce qu’il peut, l’ambiance déchire tout, les refrains sont scandés par un public acquis, jusqu’aux pogos, amusants au départ, qui finissent par se montrer plus agressifs. Les choses sérieuses auront donc commencé sans que l’on s’en rendent vraiment compte, et c’est dans le bordel des grands soirs qu’ils clôturent une prestation qui sera montée graduellement en puissance pour finir très fort. Deux groupes à suivre, à l’évidence.

Durant ce temps, on aura pu admirer la solidarité des amis de Justin(e) venu foutre le bordel avec le public, chauffeurs de salles goguenards et auteurs de bœufs multiples qui finissent de détendre l’atmosphère. Atmosphère qui vire cocotte minute dès les premiers accords lancés par le groupe nantais. Ouverture brute de décoffrage avec Accident n°7. Alex revenu des chiottes semble s’être ressaisi. Il crache avec conviction à la face d’un public bouillant une rafale de titres plus efficaces les uns que les autres. Fini la chiasse bonjour la classe. Autour de lui, Olive à la guitare, Fab à la basse et Fikce à la batterie se démènent, éructent les chœurs enthousiasmants des compos de Justin(e) repris comme un seul homme par des Combustibles qui transgouttent à grosses spires.

Plus rock et moins hardcore que leurs prédécesseurs, ils cloutent leurs meilleurs titres avec la facilité de ceux qui tournent comme des Stakanovistes. Tout fonctionne, s’enchaîne à la perfection, la perf’ est huilé comme un corps de bodybuilder, la pression monte encore d’un cran. Défilent Festen, Ode à la mort et Porcelaine, qui résonnent Luke boosté aux hormones de croissance, de celles qui transforment un baudet en pur-sang prêt à concourir au prix d’Amérique. Faciles, solides, avec leur répertoire de dingue que vient d’étoffer le presque parfait Treillères über alles, ils arrivent à égaler les meilleures performance des Guerilla Poubelle. Même volonté d’en découdre, d’envoyer du pâté, de réveiller l’auditoire. Rome sonne décadence, et l’on veut tous croire que le spectacle du capitalisme se terminera ce soir, bousculés par leur furia punk convaincante. Plus politique que jamais, Justin(e) crache à la gueule du système sans méchanceté. Anachroniques et totalement de leurs temps, indignés depuis plus de cinq ans, ils sont le fer de lance de ce qui se pense de mieux sur la scène actuelle, alternative comme jamais. Le temps d’un dernier hymne, Alex n’en peut plus, fait signe que c’est fini et s’enfonce dans la salle en se tenant le ventre. Les Combustibles peuvent relâcher un public à l’état liquide dans des rues de Paris. Terrible.

lundi 8 octobre 2012

the door


Réalisation : Anno Saul

Avec : Mads Mikkelsen, Jessica Schwarz, Valeria Eisenbart

Année : 2010

The door.
On peut écrire sans se tromper que Die tür est passé totalement inaperçu en France. L’occasion de mesurer l’impact du festival Fantastic’Arts de Gérardmer sur le public hexagonal, The door y ayant récolté le Grand prix 2010. Successeur du Festival d’Avoriaz, dont les Prix jalonnent les grandes heures de l’histoire du cinéma fantastique des années 70-80, de Duel à Brain dead, en passant par Carrie et Blue Velvet, on ne peut que constater que Gérardmer n’aura jamais vraiment réussi à ranimer la flamme. A sa décharge, un cinéma de genre moribond, qui l’oblige à décerner des prix à des pellicules aussi dispensables que Cube, Le loup garou de Paris ou Isolation. A sa décharge aussi, des sélections parfois frileuses, souvent à côté de la plaque. Mais bon, « nouvelle décennie nouvelles règles » (Scream4©)…

Hélas, ce n’est pas The door qui va venir pimenter son palmarès affreusement mou du genou, et ce même s’il est loin d’être indigne, avec son histoire de passage secret qui permet à David, un peintre célèbre, de revenir dans le passé afin de réparer ses erreurs. Seconde chance inespérée pour un homme qui avait, cinq ans auparavant, laissé sa fille sans surveillance près de la piscine, les lacets défaits, occupée à chasser les papillons en sautillant, pour aller fricoter avec la voisine nymphomane. Evidemment la fillette à cloche pied se ramasse la bobine contre le carrelage, bascule dans l’eau et ses lacets s’emmêlent dans la bouche d’aération. Coincée au fond de la piscine, sans son pull bleu marine, elle n’est pas sauvée par un père trop occupé par son coït... Immédiatement on pense très fort à House pour le volet deuil de l’histoire, puis à L’effet papillon pour celui retour vers le passé et ses conséquences imprévisibles.

Toutefois le film d’Anno Saul se distingue de ces références par une austérité appuyée. L’ambiance est mortifère, pesante, étouffante même, parfaitement incarnée par un Mads Mikkelsen taciturne et grave, qui impose physiquement une atmosphère pathétique et désespérée, comme si la loose de son retour lui collait viscéralement à la peau. Cette tonalité spartiate compresse toute particule de vitalité et nous enfonce inéluctablement dans les sables mouvant d’un David dont on est vite certain qu’il n’en sortira pas gagnant.

Bon, Frank Zito, les mélodrames, c’est pas vraiment sa came, aussi suivait-il l’histoire d’un œil distrait quand un renversement narratif vint soudain exciter ses pupilles. Une bascule qui nous renvoie directement du côté des Body snatcher. Immédiatement le rythme s’emballe un peu, le film sortant du sillon dans lequel il semblait s’enliser pour retrouver un peu d’air frais et agréablement paranoïaque. Tournant le dos au réalisme appuyé du début, le scénario part dans tous les sens, en empruntant certains virages aussi audacieux qu‘étonnants. Mais si l’écriture virevolte, la caméra et le score restent, eux, sérieux comme des papes. Ce faisant, ils ne permettent pas à l’histoire de se libérer de l’étreinte trop corsetée d’une mise en forme et d’un choix artistique particulièrement prudents, qui, s’ils font tout le sel de la surprise centrale, finissent aussi par l’étouffer à force de platitude.

En bref : Film d’une facture posée, presque trop sage, plus familière au mélodrame qu’au fantastique, The door se démarque du commun par un parti pris qui finit par le perdre. Axé autour d’une histoire solide, bien que déjà vue, il rate l’occasion de décoller à mi-parcours, moment que choisi le scénario pour s’emballer devant une caméra qui reste impassible, une photographie qui reste terne et des acteurs incapables de changer de registre aussi radicalement. Reste un film agréable, très bien foutu et dominé par un Mads Mikkelsen en cours de starification, mais à qui il manque la fantaisie que le scénario appelait de ses vœux. Du fantastique mesuré, interdit aux moins de 16 ans uniquement parce qu’ils s’y ennuieraient, et qui finalement va comme un gant à un palmarès de Gérardmer traditionnellement prudent et incapable de s’imposer comme une évidence.


dimanche 7 octobre 2012

Dernière séance



Réalisation : Laurent Achard 

Avec : Pascal Cervo, Charlotte Van Kemmel, Karole Rocher

Année : 2011

Dernère séance.
Structuré comme un Giallo de la belle époque, mais shooté à la sauce naturaliste, Dernière séance déroule son scénario terriblement Argentesque avec une douce sérénité. Au rythme de Sylvain, le placide ouvreur du Cinéma Empire -incarné par l’hypnotique Pascal Cervo-. Laurent Achard livre ici un Slasher movie bizarre autant qu’étrange. Film valise, il brasse tout autant les genres cinématographiques que les thématiques les plus profondes, dont la plus évidente se trouve être cette éclatante parabole sur la mort d’une certaine forme de cinéma. Indubitablement, Dernière séance attire l’œil, excite l’intellect, sort des sentiers battus, bref, s’affirme comme la promesse d’une expérience inédite.

D’autant que le réalisateur apporte à ce sous-genre sa patte auteurisante. Ces plans fixes sur une majorette mal dégrossie ou un karaoké pathétique étiré jusqu’à en devenir touchant font mouche. Les meurtres à l’arme blanche, ainsi que le fétichisme appuyé un peu moins. Car malgré toutes ses incroyables qualités et son ambition folle, Dernière séance s’englue aussi parfois dans son cadre provincial, perd de sa puissance lors de scènes anesthésiantes. Depuis sa position de voyeur, Sylvain nous attire mollement dans sa succession d’agonies, son kaléidoscope référentiel s’attardant parfois un peu trop du côté de Jean Rollin. Comme si Laurent Achard en avait gardé sous la semelle. Comme s’il avait eu peur de sa folle audace. Dernière séance, après avoir fasciné, finit donc par sembler un peu trop commun, un comble pour une telle entreprise. Au final, on aurait vraiment souhaité l’aimer plus, cet OVNI cinéphile et passionné. On se contentera de l’aimer beaucoup. 

lundi 1 octobre 2012

the fighter


Réalisation : David O. Russell

Avec : Mark Wahlberg, Christian Bale, Amy Adams

Année :  2010

The fighter
Biopic désiré par l’inexpressif Mark Wahlberg, qui a mis des années à monter son projet, The Fighter sentait fort le film de vestiaire hollywoodien, avec ses codes hérités de Rocky, c’est-à-dire de longs entrainements intensifs moulés dans des joggings improbables, des combats millimétrés avec leur lot de défaites injustes et de victoires à l’arrachée, sans oublier l’incontournable fond social un brin revanchard, bref un film de boxe gavé d’hormones, d’adrénaline et de souffrance. Et si c’est exactement ce qu’il est, cela ne gâte en rien le plaisir, car cette chronique d’un champion un peu looser, étouffé par une mère intrusive et le culte d’un frère qui eut jadis son heure de gloire en mettant à terre Sugar Ray Léonard, frappe aussi surement que les crochets aux côtes de Micky Ward.

D’abord en mettant en scène sa fratrie irlandaise envahissante, menée d’une main de fer par une mère-manager castratrice, assistée par sa ribambelle de filles désœuvrées qui n’hésitent pas à y aller du coup de poing si le besoin s’en fait sentir. Mais c’est aussi ce frère défoncé et fort en gueule qui occupe le terrain et écrase Micky de par sa personnalité extravertie. Le scénario, extrêmement bien travaillé tisse la toile de relations pleines de contradictions, dans laquelle Micky ne peut s’accomplir en tant que personne, piégé par des liens familiaux sincères, et écrasé par une logique qui le dépasse en tant qu’individu.

The Fighter s’impose avant tout comme un film d’acteur avant d’être celui d’un réalisateur, même si ce dernier en privilégiant l'aspect documentaire lui donne une plus value certaine. Mais c’est en s'appuyant sur l'opposition de style entre le musculeux et effacé Mark Whalberg, dont l’unique expression, indéchiffrable, colle à la perfection à son personnage et Christian Bale, impressionnant dans le rôle de cet ex-champion addict au crack qui capitalise dans son bled la sympathie acquise lors d’un combat mémorable, que The Fighter remporte la mise. L’un a le pied léger, l’autre une frappe lourde, Dicky est volubile et pipeauteur quand Micky est impassible et correct en affaire. Le contraste fonctionne à plein pot et donne tout son relief au film.

Comme à son habitude, Bale est transformé physiquement, mais pas pour l’esbroufe, non, seulement pour « être » son personnage. Dire que sa statuette est mérité est un euphémisme tant il porte le film sur ses épaules, catalyseur de toutes les émotions qui passent à l‘écran, faisant passer le film du rire aux larmes avec une authenticité déconcertante.

Tous les acteurs d’ailleurs sont parfaits, Mélissa Léo, en mère extravagante ayant aussi reçu les honneurs des oscars pour son rôle. Terriblement humains, ils font la jonction avec Rocky, qui avant de parler de boxe, exprimait aussi la misère, les banlieues pourries et les beguins touchants. Mélodrame avant d’être film d’action, la recette, trente ans plus tard, est resservie avec ce même amour du travail bien fait. C'est pourquoi The fighter sent aussi la sueur, l’entrainement, la musculation, nous montre ses enchaînement crochet, direct, uppercut, haut, bas, sac de frappe, visage, foie. Les vestiaires miteux, les gants usés, les rings aux cordes fatiguées, les rounds qui n’en finissent pas de voir le sang gicler. Et comme pour Balboa, on espère que tout cela mènera à la victoire, nous fera exploser de joie pour ces protagonnistes décalés qui méritent tellement de s’en sortir.

En bref : Film de mâles dominés par les femmes, The Fighter vaut avant tout par des acteurs parfaitement utilisés, avec en tête de gondole un Christian Bale en tout point impressionnant, qui fait de son second rôle le pivot de ce biopic Balboesque, finement écrit, qui nous arrache des émotions contradictoires, à l'image de cette drôle de famille, tout à tour vulgaire et possessive, attachante et protectrice. Mélo, il n'oublie pas d'être aussi un putain de film de ring. Bref, du tout bon qui fait se lever de son siège à chaque coup de gong.


samedi 29 septembre 2012

Green hornet

Réalisation : Michel Gondry

Avec : Seth Rogen, Cameron Diaz, Jay Chou

Année : 2011

Green hornet
Un fils à papa miteux hérite à la mort de son père du Daily Sentinel, journal familial à gros tirage, en même temps que de son personnel, dont fait parti l’étonnant Kato, maître en capuccino et en arts martiaux. Désœuvrés et blasés, les deux acolytes vont chercher le grand frisson en devenant à la nuit tombée les premiers super-héros craints par les méchants mais détestés par la population qu’ils protègent…

Les premières minutes de Green Hornet laissent immédiatement présager du pire en terme d’adaptation de Comics, avec sa mise en avant écœurante de l’idéal de société vulgaire que véhicule 7 jours sur 7, 24 heures sur 24 MTV et consœurs, et que l’on pourrait résumer à un trio de valeurs cardinales qui en font la clé de voûte : ignorance, gros culs et billets verts. Ces valeurs semblent trouver une niche particulièrement accueillante chez nos amis super héros milliardaires, avec comme point d’orgue l’insoutenable Iron Man. La nausée est sérieusement aggravée par le doublage qu’assure une sorte de Michel Leeb en roue libre, ce copycat de l’imitateur de sinistre mémoire nous pondant un accent chinois assez incroyable.

Mais c’est par son casting et sa persévérance que le Frelon Vert va réussir à enlever la partie. Et d’abord le casting, qui, chose rare dans ce type de méga production, est presque parfait. Depuis Cameron Diaz dont on se dit à la première apparition qu’elle n’a plus l’âge de ces conneries mais qui, en assumant à la grâce d’un retournement narratif malicieux son âge, se charge de nous renvoyer dans nos cordes. En passant par Christoph Waltz, qui après avoir incarné le pourri absolu dans Inglorious Bastard retrouve un rôle de méchant au tailleur nettement moins classe et au charisme défaillant. Hilarant. Et bien sûr, il y a les deux héros, avec d’abord le Frelon Vert, campé par le détestable mais au final attachant Seth Rogen, version ripoux de l’égocentrique show man Eddy Murphy du flic de Beverly Hills. Il prend beaucoup de place, mais avec un certain style. Last, but not the least dans le rôle du sidekick, la star asiatique Jay Chou reprend le rôle de Kato. S’il n’a peut-être pas une palette illimitée d’expressions, il colle à la perfection à l’énigme de son personnage à-tout-faire sorti de nulle part. Et pour ce qui est de donner du coup de poing, ce n’est évidement pas le dernier pour la déconne.

Vient ensuite la réalisation de Michel Gondry, qui s’efface totalement (ou presque) derrière son sujet. Pas particulièrement fan du bric-à-brac qui fonde son univers, on reste pantois devant la facilité avec laquelle il laisse sa quincaillerie au vestiaire pour offrir une réalisation mainstream plutôt en phase avec son sujet. Les rares effets de styles qu’il se permet donnent d’ailleurs raison à son effacement - que ce soit les accélérations à la Charlot assez hors-sujet, ou la formidable utilisation d’un split screen dément qui multiplie les angles de vue et découpe l’écran en autant de pastilles 3 D !- Bref, mis à part quelques plans personnels plus ou moins heureux, il s’acquitte de sa tâche avec sérieux, accompagnant un scénario plutôt réussi et moins niais qu’à l’habitude avec une humilité rare.

En bref : Plus réalistes et humanisés que dans la moyenne des Comics, nos deux blaireaux magnifiques élèvent le Frelon Vert au rang de grand spectacle de qualité. Pas plus, mais pas moins non plus. La moyenne de ces productions frôlant la débilité la plus totale, la pellicule de Gondry est à considérer comme une sacré performance. Recommandable.


vendredi 28 septembre 2012

My name is Bruce.

Réal : Bruce Campbell

Avec : Bruce Campbell, Ted Raimi, Grace Thorsen

My name is bruce.
Un fan de Bruce Campbell, un peu looser sur les bords et bien relou dans l’axe, habite un trou à rat figé dans les années quatre vingt : GoodLick, qui n’est pas s’en rappeler le comté de Hazzard du Shérif fais moi peur. A la suite d’un rancard merdique au cimetière local, il libère l’esprit maléfique de Gan-di, démon protecteur des chinois enterrés là (et accessoirement du tofu). Soucieux de réparer son erreur, Tiny va enlever Bruce Campbell afin qu’il exécute les miracles réalisés par Ash dans la saga Evil Dead. Pas sûr qu’il s’agisse d’une bonne idée…

Très rapidement, on se demande où on est tombé. Réalisation de téléfilm et ambiance Scoobidoo, couleurs criardes plutôt moche et acteurs de série Z au charisme aléatoire, My name is Bruce dégage une odeur de pâté dont il ne se défera jamais vraiment. Mais ce qui pourrait sembler un handicap vire génie dès lors que Bruce Campbell apparaît à l’écran. Car l’acteur est exactement ce qu’il va nous vendre durant ce métrage. Un homme à la côte de sympathie absolument disproportionnée chez les amateurs du genre, dont la seule présence renvoie à l’âge d’or du cinéma d’horreur, celui de la perte des complexes et du hard FM, des premières pelles, des cheveux longs et des gants à clous, celui d’Evil Dead et de Maniac Cop

Chemise hawaïenne, bide assumé et sourire dentifrice de vieux beau, Campbell ne se fait aucun cadeau, nous réinterprétant son propre rôle à la sauce décadence. Acteur de série Z minable pour qui les choses auraient bien mal tourné, il se montre aigri, sorte d’enfant gâté qui aurait tourné vinaigre. Propriétaire d’une caravane toute moisie, accompagné d’un chien à qui il dispute les gamelles, on le voit avec jubilation démonter son propre mythe en poussant le curseur du chelou à son maximum. Tour à tour il lâche des blagues graveleuses, ronfle comme un porc, boit de la pisse, se fait un shampoing au canard WC, quand il ne danse pas une bourrée grotesque ou se fait offrir des prostiputes pour son anniversaire. Si Mickey Rourke a eu son Wrestler, Bruce Campbell s’offre avec My name is Bruce une sorte de requiem en forme de retour, si ce n’est qu’en lieu et place du pathos, il préfère largement l’humour débilitant des 3 Stooges, celui là même qui le rapprochait de Sam Raimi à l’époque…

Nostalgie...
Car My name is bruce n’est rien d’autre qu’un film tourné à destination de ses fans, qui se régalent sans modération de se délire auto parodique qui bouffe à tous les râteliers. De la comédie sentimentale au film d’horreur old school, Campbell lie tout à la sauce loufoque dont il asperge chaque plan de son film. Et de nous régaler des caméos de Ted Raimi et d’Ellen Sandweiss qui semblent n’avoir pas vieilli, cabotinant leur second rôle avec la même fraicheur qu’il y a trente ans, quand ils étaient étudiants en cinéma et qu’ils tournaient le week-end un Evil Dead dont personne n’aurait pu imaginer le succès.

En bref : Tourné sur le mode du rire communicatif, Bruce Campbell délivre une farce grotesque dont il est la principale victime, et tourne le rôle de sa vie avec un sens de l’humour potache qui transpire la bonne humeur plus que la nostalgie. Au final, il y a ceux à qui My name is Bruce s’adresse et les autres. La mauvaise nouvelle pour les autres, c’est qu’ils sont voués à mourir lentement d’un cancer de l’anus. La bonne pour nous, c’est que les fans de Bruce sont comme leur idole, dotés d’un cœur pur pour l’éternité. Clanique.

jeudi 27 septembre 2012

Les yeux de julia

Réalisation : Guillem Morales

Avec : Belén Rueda, Lluis Homar, Julia Gutiérrez Caba

Année : 2010

Les yeux de Julia
Julia refuse de croire au suicide de sa sœur jumelle, victime comme elle d’une maladie oculaire dégénérative. Elle va donc mener l’enquête alors que la vue commence à lui échapper. Film d’épouvante espagnol, qui s’inscrit dans la droite lignée de la nouvelle vague ibérique, Les yeux de Julia possède les atouts et les imperfections de sa génération. Commençons , une fois n’est pas coutume, par les imperfections.

Avec en premier lieu l’épouvantable Belén Rueda, filmée avec un désir évident par Guillem Morales visiblement sous le charme. Elle incarne Julia, desperate housewife atomique, femme au crépuscule de sa jeunesse, avec une intensité qui fait plaisir à voir. Surjouant à l’excès, elle est hilarante lors de scènes de tâtonnements à l’aveugle inoubliables où pas un bibelot n’échappe à sa furia -et des bibelots il y a !-. Comme son personnage, elle renverse tout sur son passage... Le reste du casting est plutôt au diapason, apportant beaucoup à l’atmosphère grand guignol du film. De même que les dialogues, boursouflés et parfois involontairement ridicules, ramènent (trop) souvent l’ambiance au niveau d’une télénovelas huppée.

Pourtant, si l’on ne sort pas de la salle en se prenant la tête à deux mains, c’est parce que le réalisateur est aussi capable de fulgurances particulièrement réussies. Disciple évident de Dario Argento, il pousse le vice jusqu’à rejouer plusieurs pan de l’histoire du cinéaste transalpin avec un certain talent. L’utilisation du postulat de base -certains voient, d’autres pas- est exploité avec bonheur dans des scènes mêlant voyant et non-voyant particulièrement saisissantes. A la grâce de ces différents statuts de perception, et même s’il s’emmêle parfois les pinceaux dans la conduite de son giallo, Guillem Morales réussit des scènes ludiques, nerveuses même, qui sauvent le film de l’échec total.

En bref : Un film en forme de grand huit, avec des points de réalisation flamboyants, entrecoupés de plongées assez longues dans des abîmes de médiocrité. Amputé d’une grosse trentaine de minutes, les yeux de Julia aurait put être un grand film. Il reste très fréquentable quand même.



mercredi 26 septembre 2012

Tron legacy


Réalisation : Joseph Kosinski

Avec : Jeff Bridges, Garrett Hedlund, Olivia Wilde

Année : 2010

Musique : Daft punk

Tron Legacy.
Entamons cette chronique par un coup de gueule. Il devient difficilement supportable de subir les leçons de morales narratives de projets, qui émanent de structures elles-même symboliques de ce qu’elles semblent dénoncer. Explications : Tron s’ouvre sur la réunion annuelle du comité directeur d’Epcom, société éditrice de logiciels informatiques, dont le cynisme est vivement désapprouvé. En effet, le PDG est une personne cupide, qui n’hésite pas à vendre une franchise qui n’a de novateur que le nom quand de son côté le jeune héritier de Flynn, riche à millions, s’est détourné de l’entreprise pour devenir un adolescent attardé trop cool qui vit ses rêves de beauf dans un entrepôt faussement minable. Actionnaire majoritaire d’Epcom, il préfère s’introduire en douce dans son entreprise pour faire dérailler le discours du méchant PDG et offrir au monde la gratuité d’un logiciel, dans une ambiance libertaire assumée. Sauf que venant d’une entreprise comme Disney, en pointe dans la lutte contre le piratage, peu soucieuse du bien être de ses salariés de base et à la direction largement aussi cynique que celle du comité directeur d’Epcom, la dénonciation morale coince un peu.

D’autant que passé cette première couleuvre, avalée avec difficulté, il faut tenir la trentaine de minutes qui suit, plutôt médiocre. Notre jeune héros au charisme aléatoire nous embarque à sa suite dans une aventure qui ressemble furieusement à Fast and furious. Grosses cylindrées, enfilades de cascades abracadabrantesques, humour estampillé Vin Diesel, Tron ressemble alors à un film d’action technoïde bourrin, réussi dans son genre, mais dont le genre n’est pas une réussite. Bref, ajouté au prix d’or acquitté à l’entrée, justifié par une salle Imax 3D comme toujours superflue, l’affaire était mal engagée.


C’est alors qu’apparaît Jeff Bridges. Gourou de la Grille, concepteur retenu dans Tron depuis 25 ans. Il réussit véritablement à nous faire passer une émotion absente depuis le début, parce qu’aussi superficielle que ces personnages synthétiques et son jeune héros insipide. Vieilli, magnifié dans une toge blanche, les traits tirés, il incarne à lui seul l’abandon de cette plateforme de jeu crépusculaire au ciel obscur, seulement illuminé par d’incessants éclairs de tonnerre. Humain jusqu’au bout des ongles, la vielle bête donne le contrepoids qui manquait jusqu’alors à Tron. Une épaisseur qui enfin équilibre le film, qui sort de l’ornière du simple action movie pour devenir une fable à la dimension de ce que l’on était en droit d’attendre.

Dès lors, tout fonctionne parfaitement. Les jeux de plateforme prennent sens, on suit avec intérêt ce monde des programmes qui a vaincu la tyrannie des concepteurs. L’univers plastiquement splendide prend le temps d’être admiré, jusqu’au double digital, Clu, qui impressionne de par l’incroyable prouesse qu’il incarne ainsi que ses limites. Car si nous voyons effectivement Jeff Briges jeune jouer le rôle de Clu, et ce dans la longueur, ça ne colle pas vraiment. La motion capture restant assez synthétique pour créer un effet d’étrangeté particulièrement saisissant. Et puis bien sûr il y a l’electro de Daft Punk, dont on finit par ne plus savoir lequel des deux apporte le plus à l’autre, le groupe ou le film. Véritable coup de génie, ils incarnent Tron Legacy au point d’en être indissociables, leur univers se fondant complètement au concept du métrage.

En bref : Même si Tron Legacy comporte des éléments qui suscitent l’agacement parfois, et des réserves morales souvent, elles le sont pour des raisons qui échappent au film lui-même. Car la séquelle de Tron, film dont on oublie aujourd’hui qu’il n’a de culte que le nom, et dont le succès n’était assis que sur son aspect technique, dépasse finalement de beaucoup l’original avec un scénario très bien mené, un Jeff Bridges dont la maturité enrichit à elle seule tout le film et des décors rétro-futuristes magnifiques. Tron se payant même le luxe d’être aérien à la grâce d’une partition électro de toute beauté. Une bonne surprise.


La longue de nuit l'exorcisme


Réalisation : Lucio Fulci

Avec : Florinda Bolkan, Marc Porel, Tomás Milian

Année : 1972

La longue nuit de l'exorciste
Sous un soleil de plomb, une femme déterre un squelette humain à mains nues, inconsciente d’être suivie du regard par un enfant. Lui même trompe son ennui en tuant des lézards au lance pierre, trainassant non loin d’une ruine occupée par des putes qui soulagent des paysans vulgaires. Vous voici arrivés à Accendura, petite bourgade enclavée d’Italie du sud qu’en un plan, ou presque, Lucio Fulci vous fait appréhender mieux que le guide du routard régional. Si tant est qu’un guide de tourisme ait jamais été édité sur Accendura…

En délocalisant son Giallo, genre cinématographique traditionnellement joué dans le théâtre urbain, le Maestro renforce l’inhumanité des ses protagonistes, quasi bestiaux, dénudés de la stylisation raffinée des habituels tueurs à l’arme blanche. Loin de la flamboyance des métrages de Martino ou d’Argento, il se permet, grâce à cette délocalisation, d'appuyer lourdement là où ça fait mal. L'ambiance particulièrement malsaine, sert un scénario où se déversent toutes les tares possibles et imaginables. Femme, enfant, veau, vache et cochon sont pourris, cruels, souillés, perturbés, vicieux, abrutis, vils et superstitieux...

Galerie parfaite pour mettre en scène le drame glauque d'une série de meurtres d'enfants pour le moins impitoyables. Le casting est lui aussi parfait, avec à sa tête l’inévitable Thomas Milian dans le rôle d’un journaliste séducteur, et Florinda Bolkan, la sorcière du village dont le lynchage reste l’une des scène les plus fortes jamais tournée dans le genre. Le scénario est tourmenté à souhait, la photographie soignée comme jamais. Mais ce qui rend La longue nuit de l'exorcisme incontournable, c’est la réalisation même d’un Fulci dans une forme étincelante. Mise en scène d'une précision diabolique, travail des plans sophistiqués, mobilité absolue de la camera, il maîtrise totalement son sujet. Techniquement, on le sent au sommet. Il nous étouffe, nous indispose, imprègne la pellicule d’un épais malaise, putréfie l'atmosphère dans une ébauche évidente à la poésie macabre qui fera de lui un réalisateur à part dans le panthéon de l’horreur...

Mais n’allez pourtant pas croire qu’au-delà de l’atmosphère irrespirable de cet arrière pays perclus de superstition et de veulerie, quiconque trouve grâce aux yeux de Lucio qui, misanthrope devant l’éternel, n'oublie pas d'opposer en quelques plans les tares génétiques de la campagne à l'indifférence, au mépris et au vice d'une ville organiquement liée à Accendura par cet autoroute ultramoderne qui draine ses citadins insensibles et égoïstes vers Milan.

En bref : Avec pour théâtre un village reculé où se succèdent des crimes d’enfants sordides, Fulci tourne l’un des sommets d’un genre plus habitué à la sophistication urbaine qu’à l’ignorance rurale. Malsaine, désillusionnée et particulièrement graphique, La longue nuit de l'exorcisme fait pour ces raisons partie de ce que le réalisateur a fait de mieux, d’autant qu’il touche aux fondamentaux de son cinéma nihiliste. Désespéré par l’humanité, sa bêtise et sa barbarie, il signe un grand giallo qui résonne comme le prologue de la fin d’une espèce. Magnifique.


mardi 17 juillet 2012

Bulle : Torpédo


Scénario : Enrique Sanchez Abuli

Dessins : Jordi Bernet (tomes 2 à 15), Alex Toth (tome 1)

Torpedo, le tueur à gage imaginé par Abuli au début des années quatre-vingts exécutait sa basse besogne dans le New York malfamé des années trente. Une intégrale en forme de pavé nous permet aujourd’hui de s’enfiler les quinze volumes dans la glotte sans prendre le temps de faire une pause pipi. Vingt cinq ans passés à dessouder n’importe qui pour quelques dollars vite perdus dans les bras d’entraineuses de passage qui finissent toujours par lui chier dans les brailles. Chienne de vie…

Car Torpedo ne rigole pas. Du moins dans les premières années, sèches, qui claquent comme des balles de kalachnikov. Dialogues virils coupés au cordeau, action énergique, ironie de tous les instants, le monde de notre tueur à gage n’est qu’adrénaline. Tête brûlée à son compte, travaillant tantôt pour le milieu, tantôt pour des particuliers, Torpedo se distingue par une rancune tenace héritée de sa Sicile natale, alliée à une absence totale de remords. Tuer est son métier, et il le fait avec autant de détachement qu’un boulanger pétrit sa pate à pain. Articulé autour de courtes nouvelles n’excédant que rarement les dix pages, on dévore ses chroniques sèches à la morale douteuse avec le même plaisir coupable qu’un bon San Antonio.

Car comme Frédéric Dard, l’Espagnol Abuli joue avec des images d’Épinal, ici la pègre new yorkaise ou la mafia sicilienne, pour finir par nous dépeindre des personnages plus vrais que nature. Dans cet univers noir, on tangue de traitrises en contrats sans temps mort, si ce n’est l’occasion d’une punschline de mauvais goût dont Torpedo a le secret. Pourri par une jeunesse particulièrement dure, que l’on retrace à coup de flash back dantesques, Torpedo est le genre d’homme pour qui les règles sont écrites pour être violées. Et pas que les règles d’ailleurs. Car les femmes, succession ininterrompue de pin-up et de babydoll, caractérisées par une libido n’attendant qu’à être honorée, se trouvent le plus souvent sur la route de notre anti-héros, toujours prêtes à être troussées.

Après une entame ultra violente, austère et cruelle, Torpedo, au fil des années, perd un peu de cette dureté premier degré pour suivre justement le chemin emprunté par San Antonio, celui des enquêtes custom qui virent le plus souvent partouze. Et même s’il ne sourit que quand on lui arrache les dents, Torpedo s’humanise au contact d’un Rascal prenant la place d’un Bérurier ricain, le gravosse looser servant de contre champs humoristique de plus en plus apparent, quand l’ancien cireur de godasse sicilien aura fini par épuiser son histoire et n’existera plus que pour radoter ses mésaventures caricaturales, déroulant son Amérique viciée dans une variété de situations que l’on imaginait inépuisable mais qui, comme Rascal, finissent par lasser. Il n’empêche qu’on prend plaisir jusqu’à la dernière case à traverser ces clubs de boxe de quartier, ces stades de base ball et ces courses hippiques infestés de fraudeurs, de pénétrer cet univers crapoteux qui ne brille que la nuit, sous les sunlight d’une piste de danse ou les projecteurs d’un combat truqué organisé par la mafia.

En bref : Culs bénis s’abstenir. Une intégrale potelée qui permet de goûter aux aventures du tueur à gage le plus corrompu, dépravé et amoral de sa génération. Justifié à grand coups de flash back pathétiques sur une vie de misère, avec la violence comme seul horizon, on en aime d’autant plus Torpedo car si la vie ne lui a pas fait de cadeaux, il le lui rend bien. Alors même si l’intégrale s’essouffle en cours de route, elle reste à chaque page parcourue un pur moment de rock’n’roll, mal pensante et obscène. A boire cul sec, on the rocks, et surtout sans modération…

dimanche 15 juillet 2012

We are 4 lions

Réalisateur : Chris Morris

Avec : Riz Ahmed, Arsher Ali, Nigel Lindsay

Année :  2010

We are 4 lions.
Omar, Hassan, Barry et Fessal sont les seuls membres d’une section djihadiste domiciliée dans la banlieue populaire de Londres. A cours d’idées pour se faire reconnaître, ils décident de préparer un attentat suicide spectaculaire qui installera leur organisation au premier plan. Mais ont-ils les épaules assez larges pour mettre en œuvre une opération aussi ambitieuse ?

Basé sur un scénario écrit par Sam Bain et Jesse Armstrong, deux auteurs qui ont travaillé pour Sacha Baron Cohen, We Are Four Lions est certainement le projet le plus gonflé qu’il nous ait été donné de voir ces dernières années. Voyez plutôt le numéro d’équilibriste : faire rire en traitant du terrorisme musulman sans pour autant stigmatiser une communauté bien souvent réduite à sa branche radicale. Grand écart qu’effectue avec la souplesse d’un Jean-Claude Van Damme version Full Contact le réalisateur Chris Morris. Mais avait-il seulement le choix ?

Car loin d’y aller avec la crotte au cul, le film pousse son sujet dans ses derniers retranchements, pour nous offrir un grosse tranche de rire assortie d’une réflexion sur les dérives du fondamentalisme djihadiste. Et pour se faire, il devait être incarné par un casting quatre étoiles, de celui qui ne fait pas douter un instant de la véracité de protagonistes aussi loufoques que pathétiques. Une réussite tant on se prend immédiatement d’affection pour ces pieds nickelés du terrorisme, qui s’humilient dans des camps d’entrainement au Pakistan, mangent leurs cartes SIM pour ne pas être géolocalisés, tournent des vidéos de revendications type bêtisier d’Al Qaïda, forment des corbeaux kamikazes ou communiquent avec des pingouins sur une plateforme de jeu pour enfants.


Extrêmement subtil, le film démonte avec brio toute la dialectique islamiste radicale. On y voit les ambitions personnelles prendre le pas sur le bien général tout en comprenant que les barbus les plus visibles ne sont pas forcément ceux qui passent à l’acte. Ridiculisé, le djihadisme apparaît comme vide de sens, les plans machiavéliques de nos Four Lions ne servant plus qu’une cause, la leur, quand ils ne passent pas des heures à débattre autour d’interprétations toute personnelle des textes, exégèses grotesques des desseins d’un Dieu que l’on imagine consterné par ces détournements sémantiques. L’ultime coup de génie du film se nichant dans la mise en scène de la famille d’Omar, dont tout laisse à penser qu’elle est aussi intégrée qu’équilibrée, mais qui est minée de l’intérieur par un fanatisme illuminé d’autant plus effrayant qu’il est totalement invisible.

En bref : We Are Four Lions, s’il aurait pu n’être qu’une pochade, une grosse farce au goût douteux utilisant l’argument islamiste pour faire le buzz, s’avère une des comédies les plus fine de ces dernières années. Traitant d’un sujet inabordable, elle se tire haut la main de tous les pièges tendus pour dérouler une histoire drôle et touchante qui arrive à faire rire (jaune) tant les fanatiques qu’elle met en scène sont sincères et humains. A force de Campings et de Ch’tis, on en avait oublié que le rire pouvait aussi éclairer des phénomènes de société complexes, plus intelligemment même que bien des journaux télé. Précieux.


mardi 10 juillet 2012

les mystères de Lisbonne


Réalisateur : Raoul Ruiz

Avec : Adriano Luz, Maria Joao Bastos, Ricardo Pereira

Année : 2010

  Les mystères de Lisbonne.
  Ainsi donc rien n’arrête Raoul Ruiz qui, du haut de son siècle passé, joue la carte du cinéma hors catégorie, avec ce format monstre, hybride entre le feuilleton télévisé et le long métrage. Une gageure d’une durée de plus de quatre heures rarement vue au cinéma, et une seule fois par Frank Zito, à l’occasion de la diffusion d’Autant en emporte le vent, alors qu’il était en classe verte à la Bourboule. Vous dire s’il pensait avoir plus de chance d’assister à nouveau à une éclipse totale de la lune que de revivre un jour l’expérience d’un entracte chocolat-glace-praliné dans les salles obscures, à une époque où ces dernières sont le plus souvent obsédées par le profit immédiat, et dont on imagine le bonheur de perdre une séance sur deux pour passer l’encombrant métrage d’un grabataire portugais. 

  Et pourtant nombreuses sont celles à avoir tenté leur chance, avec à la clé un joli succès d’estime. Et le moins que l’on puisse écrire est qu’il est justifié. Raoul Ruiz nous conte les méditations (stériles ?) sur la vie énigmatique de Joao, un jeune orphelin qui voit sa mère se manifester à son chevet, un soir qu’il a été brutalement violenté par un camarade. La photographie, sublime, se pose comme un écrin parfait à cet univers très littéraire, proche du théâtre, que la réalisation du cinéaste, d’un classicisme gracieux, fini par déconnecter totalement du cinéma contemporain. Hors du temps, la première chose qui prend le spectateur est donc cette maîtrise formelle d’une élégance raffinée, antithèse d’une mise en scène tape à l’œil ou absente. Raoul Ruiz est un auteur de cinéma, et son savoir faire crève l’écran sans besoin de 3D superfétatoire.

  Ce qui ne l’empêche pas de tenter des effets de mise en scène saisissants, comme ces tableaux qui prennent vie, ou ces flottements qui sont autant de glissements de conscience qui ondoient et nous font perdre pied. Rares, ils font à chaque fois mouche, même si la force de l’histoire se suffit à elle-même, et n’a pas besoin d’artifice. L’œuvre reste celle d’un esprit vif, malicieux, qui combine son audace narrative avec son entrelacs d’histoires éblouissant, mélange les éléments fantastiques et historiques, joue du trompe l’œil, quand il ne prête pas à ses protagonistes des intentions fausses ou erronées qui nous perdent plus encore dans ce tourbillon d’émotions pures. Démiurge de son petit théâtre de poche, il dépose les confidences une à une, avec la patience du joueur d’échec qui avance inexorablement ses pièces vers une victoire certaine.


Mais si la première partie est celle de la féerie, de la magie pure et de l’inconscience bravache de l’enfance, la seconde vire immédiatement mortifère. Dominé par le Père Diniez, qui finit par devenir l’incarnation même du film, avec ses mille visages, ses contradictions et sa personnalité changeante, la mort ne cesse de s’inviter au banquet. Sous la forme d’anamorphoses sophistiquées, où dans la bouche même de personnages qui, dans l’enfer du monde, finissent par trouver dans l’idée de mort une bénédiction. Les fils du destin sont ténus, et on est obligé d’y voir un rapport avec l’état d’un réalisateur qui, malade, ne fut jamais assuré de pouvoir survivre à son tournage. Dès lors tout est malédiction, l’amour même est piégé, la vie est si cruelle que l’on préfère en sortir, pour s’enfermer dans un couvent. Mais s’il est hanté par des fantômes qui, inexorablement, rattrapent Joao, Les mystères de Lisbonne ne sentent jamais la poussière, animés qu’ils sont par l’incroyable vitalité de leur créateur.

En bref : Malgré une seconde partie moins éblouissante que la première, à moins que ce ne soit la durée hors norme du métrage qui abime la capacité d’émerveillement, Raoul Ruiz signe, avec son trente-huitième film, une œuvre singulière et foisonnante, où les murs ont des oreilles et les secrets d’un placard une histoire à raconter. Tourment, coïncidences, émois, révélations, vanité et ambivalence se font écho au cours d’un récit aux entrées multiples, hanté par la mort, mais dans le même temps étrangement habité par un souffle de vie presque infantile. Envoûtant.



samedi 19 mai 2012

Douche froide : Triangle


Réalisateur : Christopher Smith

Avec : Melissa George, Joshua McIvor, Jack Taylor


Année : 2009

Auteur du faiblard Creep et du dispensable Severance, Christopher Smith continue de creuser son sillon dans le cinéma de genre sans vraiment y apporter ni identité ni point de vue particulier. Les choses allaient-elles changer avec Triangle, relecture du mystère du triangle des Bermudes à la sauce thriller paranoïaque horrifique, et ce alors que son Black Death est depuis sorti sous les vivats de la presse spécialisée ? Où se situerait-il une fois de plus dans la triste norme des Direct-To-Vidéo sans saveur ni relief, qui inondent le marché des galettes à prix discount ?

Mouettes digitales et merdes pixélisées

A en croire la critique précitée, Triangle s’annonçait donc comme une pure pelloche prompte à donner le grand frisson, ce qu’infirme immédiatement une exposition poussive, avec la mise en place ultra-conventionnelle de protagonistes aussi stéréotypés qu'insignifiants. Six personnages en quête d’épaisseur, lancés dans une aventure maritime qui sent fort le poisson... D’autant que la mise en scène de Smith n’apporte pas grand-chose à l’affaire, se faisant aussi impersonnelle que son nom, quand la photographie se la joue aléatoire, avec changement d’ambiance à chaque plan, d’où il ressort une sorte de bouillabaisse visuelle assez indigeste. Par politesse pour un produit aussi bas de gamme, nous passerons un voile pudique sur des CGI extrêmement douteux, symbolisés par des mouettes digitales approximatives, occupées à chier des merdes pixélisées sur un paquebot numérique du plus bel effet…

De fait, Triangle impose de suite une règle d’airain : soit la qualité de son histoire captive l'auditoire au point de faire oublier l'importance de ses défauts, soit elle fait pschitt et la soirée promet d‘être longue. Bonne nouvelle : très écrit, le scénario la joue malin sans se montrer aussi ridicule qu’on pouvait le craindre. A grand coup de mises en abîme façon poupées russes et de boucles temporelles improbables, l’histoire arrive même à nous tenir gentiment éveillés. Peut-être conscient de son absence de potentiel technique, le réalisateur fait brûler son film comme s’il craignait de laisser le spectateur se rendre compte de la vacuité de l’ensemble.

Scénario qui se prend les pieds dans son sac de noeuds

Aussi les trouvailles les plus hasardeuses côtoient les plus beaux coups de théâtre au pas de charge, sans aucune intensité narrative, simplement habités par la volonté de ne pas ennuyer, ce dont on ne peut que lui être gré. Si ce n’est qu’à force de retournements de situation et d’intrigues à tiroir sans enjeu, le tout troussé sans talent ni conviction, l’ennui fini par reprendre le dessus, et l’on peine à lever une paupière sur un final aussi abracadabrantesque qu’interminable tant l’encéphalogramme de Triangle aura finalement été plat...

En bref : Triangle n’aurait pu être qu’un direct-to-vidéo comme les autres sans son scénario à l’ambition démesurée qui finit par se prendre les pieds dans son propre sac de nœuds. Lacé frénétiquement par Christopher Smith, qui s’avère infoutu de faire quelque chose de son histoire transgenre, même farcie de bonnes idées, comme ses accumulations de cadavres, le film cache mal la vacuité d’un ensemble porté par un casting de passe-plat et une réalisation terriblement médiocre. A éviter.

mercredi 16 mai 2012

Film : Le silence qui tue


Réalisateur : Denny Harris

Acteurs : Rebecca Balding, Cameron Mitchell, Avery Schreiber


Année : 1980 

Shootés dans un ralenti hideux, deux flics visiblement sous pression pénètrent sur le théâtre d’un crime que l’on imagine atroce… Dès l’ouverture, toutes les qualités du Silence qui tue sont en place : musique de téléfilm daté, image dégueulasse et éclairage maussade. Les acteurs, pourtant chevronnés, se demandent plan par plan ce qu’ils foutent là. Quand à Denny Harris, dont c’était la première, mais aussi la dernière réalisation, il donne dans cette séquence d’introduction tout ce qu’il a dans le ventre, c’est à dire rien du tout.

Suite à ce départ en fanfare, on se coltine l’arrivée de Scotty, l’étudiante ingénue qui prend une chambre dans un Bed and Breakfeast de style victorien tenu par l’inquiétante Mrs Engells. Manque de pot, la propriétaire se paye le luxe de n’avoir non pas un seul, mais deux enfants dégénérés, obsédés par l’idée d’éliminer les clients d’une maison familiale seulement occupée par quatre locataires, dont (attention spoiler) deux finiront par s’en sortir.

Distrayons nous un instant avec un calcul mental : 1h30 de film laid, moche, ennuyeux et pas drôle, divisé par deux meurtres exécutés hors champ (l’un en ombre chinoise et l’autre qui nous permet d’apercevoir vaguement un couteau de cuisine maculé par ce qui semble bien être de la confiture de groseille) et nous obtenons deux tranches d’un ennui égal. A noter que le Silence qui tue fut interdit aux moins de seize ans à sa sortie, certainement la faute à une pendaison qui rappelle furieusement les meilleures heures du Monty Python’s Flying Circus.

Taquin, Denny Harris a par ailleurs placé au cœur de son film son Da Vinci Code. La clef qui permet de mieux comprendre le sens caché de l'œuvre. La voici : Jack pris d’une soudaine angoisse nocturne à l’idée que Scotty ait des problèmes, s’enfonce toute séance tenante dans les ténèbres de la maison Manson à la recherche de sa dulcinée, promenade d’une bonne dizaine de minutes dans les couloirs déserts de la pension, délire déambulatoire interminable et hypnotique à force de vacuité, jusqu’à ce qu’il finisse par pousser la porte d’un cellier pour clamer dans la nuit de l’escalier, et alors même qu’il n’y a personne : «J’ai compris, c’est une blague !»

En bref : Bas de tension et bas de plafond, doté d’un scénario sénile, aux boogeymen grotesques et à la photographie presbyte, Le Silence qui tue se pose d’emblée comme le maître étalon du slasher ménauposé dont on n’arrive même pas à s’amuser tellement on s’emmerde. Une purge ignoble qui bénéficie pour le trentième anniversaire de sa sortie d’une copie restaurée farcie de suppléments, dont deux commentaires audio. On en baille d’avance…