mardi 10 juillet 2012

les mystères de Lisbonne


Réalisateur : Raoul Ruiz

Avec : Adriano Luz, Maria Joao Bastos, Ricardo Pereira

Année : 2010

  Les mystères de Lisbonne.
  Ainsi donc rien n’arrête Raoul Ruiz qui, du haut de son siècle passé, joue la carte du cinéma hors catégorie, avec ce format monstre, hybride entre le feuilleton télévisé et le long métrage. Une gageure d’une durée de plus de quatre heures rarement vue au cinéma, et une seule fois par Frank Zito, à l’occasion de la diffusion d’Autant en emporte le vent, alors qu’il était en classe verte à la Bourboule. Vous dire s’il pensait avoir plus de chance d’assister à nouveau à une éclipse totale de la lune que de revivre un jour l’expérience d’un entracte chocolat-glace-praliné dans les salles obscures, à une époque où ces dernières sont le plus souvent obsédées par le profit immédiat, et dont on imagine le bonheur de perdre une séance sur deux pour passer l’encombrant métrage d’un grabataire portugais. 

  Et pourtant nombreuses sont celles à avoir tenté leur chance, avec à la clé un joli succès d’estime. Et le moins que l’on puisse écrire est qu’il est justifié. Raoul Ruiz nous conte les méditations (stériles ?) sur la vie énigmatique de Joao, un jeune orphelin qui voit sa mère se manifester à son chevet, un soir qu’il a été brutalement violenté par un camarade. La photographie, sublime, se pose comme un écrin parfait à cet univers très littéraire, proche du théâtre, que la réalisation du cinéaste, d’un classicisme gracieux, fini par déconnecter totalement du cinéma contemporain. Hors du temps, la première chose qui prend le spectateur est donc cette maîtrise formelle d’une élégance raffinée, antithèse d’une mise en scène tape à l’œil ou absente. Raoul Ruiz est un auteur de cinéma, et son savoir faire crève l’écran sans besoin de 3D superfétatoire.

  Ce qui ne l’empêche pas de tenter des effets de mise en scène saisissants, comme ces tableaux qui prennent vie, ou ces flottements qui sont autant de glissements de conscience qui ondoient et nous font perdre pied. Rares, ils font à chaque fois mouche, même si la force de l’histoire se suffit à elle-même, et n’a pas besoin d’artifice. L’œuvre reste celle d’un esprit vif, malicieux, qui combine son audace narrative avec son entrelacs d’histoires éblouissant, mélange les éléments fantastiques et historiques, joue du trompe l’œil, quand il ne prête pas à ses protagonistes des intentions fausses ou erronées qui nous perdent plus encore dans ce tourbillon d’émotions pures. Démiurge de son petit théâtre de poche, il dépose les confidences une à une, avec la patience du joueur d’échec qui avance inexorablement ses pièces vers une victoire certaine.


Mais si la première partie est celle de la féerie, de la magie pure et de l’inconscience bravache de l’enfance, la seconde vire immédiatement mortifère. Dominé par le Père Diniez, qui finit par devenir l’incarnation même du film, avec ses mille visages, ses contradictions et sa personnalité changeante, la mort ne cesse de s’inviter au banquet. Sous la forme d’anamorphoses sophistiquées, où dans la bouche même de personnages qui, dans l’enfer du monde, finissent par trouver dans l’idée de mort une bénédiction. Les fils du destin sont ténus, et on est obligé d’y voir un rapport avec l’état d’un réalisateur qui, malade, ne fut jamais assuré de pouvoir survivre à son tournage. Dès lors tout est malédiction, l’amour même est piégé, la vie est si cruelle que l’on préfère en sortir, pour s’enfermer dans un couvent. Mais s’il est hanté par des fantômes qui, inexorablement, rattrapent Joao, Les mystères de Lisbonne ne sentent jamais la poussière, animés qu’ils sont par l’incroyable vitalité de leur créateur.

En bref : Malgré une seconde partie moins éblouissante que la première, à moins que ce ne soit la durée hors norme du métrage qui abime la capacité d’émerveillement, Raoul Ruiz signe, avec son trente-huitième film, une œuvre singulière et foisonnante, où les murs ont des oreilles et les secrets d’un placard une histoire à raconter. Tourment, coïncidences, émois, révélations, vanité et ambivalence se font écho au cours d’un récit aux entrées multiples, hanté par la mort, mais dans le même temps étrangement habité par un souffle de vie presque infantile. Envoûtant.



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