dimanche 31 mars 2013

Le festin nu par le pape de la nouvelle chair


Réalisation : David Cronenberg

Avec : Peter Weller, Ian Holm, Judy Davis

Année : 1991      Durée : 1h55              Pays : GB, Canada, Japon

Bill Lee, écrivain recyclé dans l’extermination de cafards, se retrouve embrigadé pour une mission secrète autant qu’étrange après avoir accidentellement abattu sa compagne lors d’un jeu d’adresse malencontreux.

Cronenberg, alors pape de la nouvelle chair, qui adapte le roman halluciné de Burroughs, voilà qui avait de quoi faire saliver. D’autant que le rôle principal incombait à Peter Weller, parfait dans la peau de cet écrivain drogué qui pose son regard mi-désabusé mi-angoissé sur cette aventure aussi décalée que mystérieuse. L’ambiance du film est glauque, empreinte de sous entendus homosexuels et fétichistes que soulignent avec force la dépravation d’un environnement aux teintent pisseuses. Les effets spéciaux, époustouflants, complètent avec bonheur une galerie de mutations spectaculaires. Chris Wallas s’en donne à cœur joie, rendant crédible des machines à écrire vaginales, des cafards qui taillent le bout de gras à l’aide d’un anus dorsal, des centipèdes géants dégoulinants de drogue spermatique. Tout est bon dans le festin nu, parfait même...

Et c’est sur ce point que le film se rate un peu, par ce parti pris littéraire au rendu très classique, voire figé, que souligne un free jazz de club enfumé, référence aux très sages films noirs des années cinquante, qui jure un peu avec le propos. Les affres de la création délirantes et subversives de Burroughs donnent l’impression d’être mises en boîte. Chaque déplacement paraît millimétré. Les déclamations ont des accents de théâtre art et essai. Jusqu’aux décors sublimes et à la reconstitution d’une médina fantasmée qui finissent par mettre une distance et désamorce l’enfer et l’urgence que l’on retrouvait dans l’ouvrage. Dommage...

En bref : Burroughs, même dilué dans un bocal de formol comme le Festin nu, se distingue assez largement du tout venant. Et le film qu’en a tiré Cronenberg, s’il n’est pas à la hauteur des espérances, reste une bobine d’une étrange beauté à qui il ne manque qu’un chouia de folie pure pour être le trip hallucinatoire total qu’on attendait. Très recommandable quand même.


jeudi 28 mars 2013

Somewhere ou l'autobiographie

Réal : Sofia Coppola

Avec : Stephen Dorff, Elle Fanning, Chris Pontius

Au cœur d’une zone désertique une Ferrari tourne en rond, creusant dans le sable un sillon aussi indéfinissable que le sens de sa virée circulaire. Si la métaphore est un peu lourde, elle introduit parfaitement le dernier Sofia Coppola qui s’attaque à un univers qu’elle connaît bien pour en être, celui de la vie intime des célébrités. Pour ce faire, elle met en scène Johnny Marco, un acteur qui séjourne entre deux tournages au Château Marmont, sorte de refuge californien pour errants fortunés, parenthèse cossue dans un monde de brute, où il va recevoir la visite de sa petite fille de 11 ans…

Quand la vie de star...
Somewhere nous dépeint donc l’envers du décors de la vie d’une star. Sous le regard amorphe d’un Stephen Dorff lassé, dont l’existence patine quand bien même sa carrière est au sommet, Sofia Coppola s’amuse à nous raconter des coulisses qu’elle connaît bien pour y être née. Univers ultra sexué, stripteaseuses à domicile, numéros dansants, crainte du paparazzi, suites royales, voyages en hélicoptère, room service 24/24 etc. elle observe cette bulle avec ironie, étirant les scènes en quasi plan fixe jusqu’à les vider de tout sens. Car dans les cuisines, tout est plus pathétique que dans les magazines people. La joie est feinte, voire forcée, les sourires cachent une grande médiocrité sentimentale, et si l’on peut coucher à longueur de journée avec des bimbos blondes interchangeables, on y prend finalement peu de plaisir. Sans repère, la célébrité broie les hommes sous son verni clinquant. Et Johnny Marco de sembler déconnecté, comme dépossédé de son existence propre par des volontés supérieures qu’il ne maîtrise pas.

...nous fait craquer une petite larme.
Et c’est là que Sofia Coppola fait un énorme couac narratif. Sans autres explications que ce que l’on a sous les yeux, c’est-à-dire une vie de vacances, vide de sens mais pas de jouissance, qui infantilise et ne permet pas de grandir intérieurement, elle en déduit que la star n’a pas la vie aussi belle qu’elle en a l’air. D’où les larmes de crocodiles que lâche avec difficulté en fin de bobine un Stephen Dorff que l’on n’a jamais imaginé en quête de spiritualité. Avec son physique d’action star, son regard tristounet qui sent plus les lendemains de beuverie que l’aventure intérieure, Stephen Dorff ne nous laisse pas supposer qu’il serait un autre homme sous d’autres hémisphères. Aussi sa douleur et ses difficultés nous laissent-elles totalement indifférent, pire même, finissent par nous écoeurer. Ses atermoiements passant pour un caprice de plus quand Sofia Coppola voudrait nous peindre les failles profondes de sa propre vie d’enfant gâtée, par le biais d'une Cléo dont tout laisse à penser qu'elle est épanouie. Hélas, Somewhere finit en ode aux pauvres petits people riches, et cet angle, par les temps qui courent, fait terriblement mal aux yeux.

En bref : Film qui transpire l’autobiographie, Somewhere nous conte l’histoire d’un acteur star qui depuis les balcons de Château Marmont, observe la ville réelle comme un seigneur ses dépendances, avec l’extrême indécence d’en jalouser la profondeur supposée des sentiments. Dommage, car l’aspect documentaire du film, extrêmement éclairant sur les coulisses de l’existence d’un acteur, sa solitude et sa perte de repère, est une réussite totale, là où le message "la célébrité ne fait pas le bonheur" clouté à grand renforts de non-dits lourdement signifiants finissent par en faire un film particulièrement antipathique. Raté à cause de son honnêteté même, il est finalement la preuve que chez les célébrités la vie est sacrément plus belle que celle du commun si tant est qu’on ait envie de la vivre.



dimanche 24 mars 2013

Ciné : Le dernier exorcisme part I


Réalisation : Daniel Stamm

Avec : Patrick Fabian, Ashley Bell, Iris Bahr

Année : 2010     Durée : 1h27    Pays : Américain, Français

Le dernier exorcisme.
Cotton Marcus, prédicateur qui a perdu la foi, souhaite mettre en scène son dernier exorcisme dans un documentaire qui enregistrera la supercherie. Pour ce faire une équipe de tournage va le suivre dans une ferme de la Louisiane profonde afin d’y rencontrer la famille Swetzer, dont la fille semble possédée par l’esprit démoniaque d’Abalam…


Caméra sur l’épaule et narration à la première personne, la première production d’Eli Roth vient lorgner du côté du Projet Blair Witch pour gagner en rentabilité. Bien lui en a pris, car le dernier exorcisme s’est avéré une opération plutôt juteuse. Mais son comparse Daniel Stamm a-t-il réussi à faire un film, de cet opportuniste coup marketing ? Et bien contre toute attente la réponse est oui. D’abord grâce à un scénario plus abouti qu’à l’accoutumée, écrit avec intelligence et finesse, qui multiplie les quiproquos, les malentendus et les chausse-trappes sans fausse note. Ici, pas d’intrigue casse-croûte à la Rec ou de synopsis alibi à la Paranormal Activity. Le dernier exorcisme tient la route, du début à la fin, approche avec nuance des thèmes aussi sensibles que l’inceste, le fondamentalisme, le mensonge ou l’isolement sans perdre de vue son argument initial, produire un pur film d’horreur.

Un révérend Cotton roublard et ensorceleur.
Le casting est pour beaucoup dans cette réussite. Ashley Bell ne joue pas, elle est Nell cette adolescente fragile et touchante dont les souffrances nous déchirent (et que dire de ses convulsions de contorsionniste !). Tout aussi convaincant, son frère incarne avec justesse l’introversion, la révolte et la fourberie quand leur père, fragilisé par l'alcool et la mort de sa femme, se tourne vers le fanatisme religieux. Jamais le spectateur n’aura le moindre doute quand à leur authenticité, facteur indispensable pour que l’identification fonctionne à plein pot. Mais c’est du côté du révérant Cotton qu’il faut aller trouver la performance qui tue. Patrick Fabian, roublard et ensorceleur, nous captive aussi bien qu’il abuse ses fidèles. Véritable pierre angulaire du film - il apparaît dans presque tous les plans - il le porte littéralement à bout de bras avec une énergie incroyable. On croit d’un bout à l’autre à cet exorciste charlatan, qui assume ses actes sans en rajouter dans la repentance. Qu'elles sont loin les têtes à claques qui parasitaient les précités faux documentaires, véritables bâtons dans les roues de leurs métrages respectifs…

Mais alors qu’on s’acheminait vers une véritable bombe, après une première partie extrêmement réaliste, Daniel Stamm vire de bord dès les premiers doutes installés dans l’esprit de Marcus Cotton, comme si un nouveau film commençait. Celui de la perte des repères, de l’enlisement dans ce cauchemar qui dépasse le prêcheur que l’on regarde se dépouiller de ses ultimes certitudes. A cet instant clé, le réalisateur balaye d’un revers de la main toute idée de vérité pour intensifier ses plans et jouer du montage. Convaincu d’avoir son public dans la poche, il se désintéresse de sa narration immersive et rigoureuse pour faire basculer le Dernier Exorciste dans une horreur plus traditionnelle. Certains auront vu dans ce changement de braquet la supercherie de trop, là où nous voyons une mise en abîme assez réjouissante qui veut que le style du film épouse l’état émotionnel de son personnage principal. Dès lors les éléments s’emboîtent  jusqu’à emmurer vivants des protagonistes pris au piège aussi sûrement que des malheureux plongés dans des sables mouvants.

En bref : Un faux documentaire aussi truqueur que son personnage principal, l’incroyable Révérant Cotton, qui digère avec bonheur ses emprunts évidents à l’Exorciste, Rosemary’s baby et le projet Blair Witch pour s’imposer comme une œuvre à part entière. Malgré un virage à mi-parcours qui peut apparaître comme une faute de goût majeure, Daniel Stamm nous donne à voir une galerie de personnages inoubliables pour lesquels il vous sera difficile de ne pas être empathique. D’autant que son film va vite, très vite, là où Paranormal Activity faisait du surplace, REC dans la surenchère et Cloverfield dans la daube. S’achevant sur un final controversé mais étourdissant, Le Dernier Exorcisme se pose sans problème comme une valeur étalon du cinéma d’horreur à la première personne. La faute peut-être à une concurrence trop médiocre, mais ça, même Abalam n’y peut rien faire…


samedi 23 mars 2013

sortie DVD : Inferno


Réalisation : Dario Argento

Avec : Leigh McCloskey, Irene Miracle, Daria Nicolodi

Année : 1980    Durée : 1h41     Pays : Italie

Rose tombe par hasard sur un vieil ouvrage écrit par l’architecte Varelli. Passionnée, elle dévore en une nuit l’histoire de cet homme qui fit construire trois résidences pour les trois mères de l’enfer, Mater Suspiriorum (la Mère des Soupirs), Mater Lacrimarum (la Mère des Larmes) et Mater Tenebrarum (la Mère des Ténèbres), sans comprendre qu’il est des vérités qu’il vaut mieux ne jamais connaître...

Dario Argento reprend avec Inferno la mythologie ésotérique créée trois ans plus tôt à l’occasion de l’ensorceleur Suspiria. Et dès l’ouverture, le ton s’annonce plus morbide encore que dans l’école régentée par Mater Suspiriorum, avec ses sous-sols noyés dans une eau trouble que Rose doit explorer pour retrouver une broche perdue quand elle va en fait ouvrir les portes de l’enfer. On prend conscience que rien ne nous sera épargné par un auteur qui s’amuse une nouvelle fois à structurer son film comme un mauvais rêve, aidé en cela par une photographie agressive de toute beauté et des décors à la décrépitude magnifiée.

La réalité se fait insaisissable, nous échappe aussi bien qu'aux fades protagonistes d’une histoire qui les dépasse. Succession de scènes démentes, à peines liées entre elles par le fil ténu de ces trois mères qui menacent à chaque détour de céder face à un scénario fantasme à la cohérence hasardeuse. Ensorcelé par ces couleurs vives qui baignent Inferno dans des teintes roses et bleue ténébreuses, on a la sensation de perdre pied. Car il n’y a aucun endroit pour échapper à la furia dévastatrice de Mater Tenebrarum, qui souffle ses relents viciés jusque dans les espaces publics, où les victimes se succèdent sans qu'aucune ne se détachent dans notre esprit, l’absence de personnage principal accentuant plus encore l’impression de perte de repère désirée par Argento.

Aussi l’angoisse intervient-elle en plein auditorium pendant un cours de musicologie, à la bibliothèque durant les heures d'ouverture, et à Central Park lors du massacre dantesque de l’étrange Kasanian, libraire handicapé qui finira dévoré par des rats un soir d’éclipse. Partout les murs suintent, chuchotent, susurrent, harcèlent. Argento recycle ses cauchemars d’enfant avec une puissance évocatrice hypnotique. Les caves s’ouvrent sur des marécages et les monuments regorgent de portes dérobées, de pièces cachées et de passages secrets. Tout y est écharde et coupures, des poignées de verre aux portes de taxis. Le sang semble toujours prêt à être versé, apéritif dans l’attente des mises à mort oniriques toujours plus perverses, signées par un réalisateur alors au sommet de son art.

En bref : Avec pour toile de fond une résidence new-yorkaise putride et menaçante, Inferno nous invite à suivre un délire alchimique sorti de nulle part. Limitant les dialogues au minimum, convoquant la folie la plus pure, de celle qui hante nos cauchemars, il nous perd dans une histoire d’horreur brillante où le maître de cérémonie n’est autre que la mort elle même. Et Dario Argento d'en profiter pour nous rappeler que si l’imaginaire est roi dans son univers, c’est peut-être tout simplement parce que la rationalité ne règne pas en enfer...


jeudi 21 mars 2013

Essential Killing





Réalisation  : Jerzy Skolimowski

Avec : Vincent Gallo, Emmanuelle Seigner, Nicolai Cleve Broch


Année : 2010     Durée : 1h23    

Pays : Polonais, irlandaisfrançaisnorvégienhongrois

Essential Killing. 
Filmé au plus près de ses protagonistes à l’aide d’une caméra mobile et subjective, Jerzy Skolimowski nous entraîne dès les premiers plans dans une fuite en avant dominée par l’urgence et la survie. Soldats déchiquetés au lance roquette, arrestations musclées, interrogatoires ambiance Guantanamo, avec menottes dans le dos, tenue orange, waterboarding et sac sur la tête, il ne se passe pas un quart d’heure que nous sommes déjà passés de la chaleur désertique d’un canyon oriental au tapis neigeux et boisé des hautes montagnes américaines.

Quand le seul désir qui nous anime est survivre...
D’un univers l’autre, tout est aride, brutal, indicible. Déserté par la communication, par l’humanité même. Nous sommes collés à Mohamed, sorte de John Rambo Taliban, bousculés comme lui par les évènements, tour à tour acteurs et spectateurs, pour finir par ne plus être préoccupés que par la seule idée de conservation. Aucune explication, aucune justification, pas plus qu’un quelconque jugement. Le réalisateur s’attarde sur les instinct primaires : la peur, la faim, la soif, la fuite… Mohamed est-il coupable ou victime ? La question ne se posera jamais en ces termes. Mohamed fuit, et la seule chose qui compte, c’est le prochain pas qu’il enfoncera dans cette neige hostile.

Au-delà du bien et du mal se trouve donc un état quasi bestial, qui ne peut que déclencher l’empathie. Alors oui, Mohamed tue. Oui, il ne s’encombre pas de morale, allant jusqu‘à téter le lait maternel d’une de ses victimes pour se nourrir, déambulant dans son cauchemar, seul contre tous, avec les moyens de son bord. Et ils sont maigres face à une traque technicoïde presque froide, à base d’hélicoptères, de Hummers et d’infrarouges. Gallo finit réduit à l’état sauvage. Isolé dans l’instant présent, sans avenir et avec si peu de passé…


...et qu'on fini vaincu par la bête humaine.
Seule échappatoire, ses rêves récurrents et colorés, à la douceur étrange, tout comme cet enfer déchaîné par l’ingestion de baies rouges hallucinogènes. Devenu gibier, Vincent Gallo se métamorphose sous nos yeux avec une douleur dans le regard qui fait gémir. Aucun plaisir dans cette course poursuite déshumanisée. Vincent Gallo souffre, fait halte et souffre encore. On cherche sur son visage le moment où il lâchera l’affaire, où immanquablement il baissera les bras, incommodé par l’horreur de ses actes que l’on imagine contraire à ses croyances les plus profondes. Mais même miné par ses contradictions, les mains collées sur ses oreilles pour ne pas s’entendre hurler, il continue d’avancer, vaincu par la bête humaine, et cet instinct de survie primaire qui la domine.

En bref : Filmé avec une sécheresse qui fait écho à l’aridité des sentiments et isolé dans des décors magnifiques et hostiles, Essential Killing à tout de l’expérience conceptuelle, dominée par des acteurs impliqués comme jamais. Emmanuelle Seigner est pour une fois parfaite quand Vincent Gallo se montre monstrueux dans un rôle impossible, qui aurait pu être christique s’il n’avait pas été à ce point amoral. Non pas dans son acceptation niaise, mais bien dans celui d’une absence totale de conscience, de celle qui conduit la bête traquée à ne jamais hésiter au moment de choisir entre sa propre vie et celle d’un autre. Douloureux.


mercredi 20 mars 2013

Docu : The cat, the reverand and the slave


Réalisation : Alain Della Negra, Kaori Kinoshita

Avec : Patrick Teal, Benjamin L. Faust, Jennifer R. Faust

Année : 2009      Durée : 1h19      Pays : France     VO : Anglais

Documentaire :  The cat, the reverand and the slave.
Quelle relation entretient un résident de Second Life avec son avatar ? L’univers virtuel est-il un jeu ou une extension de la réalité ? Un lieu où assouvir ses fantasmes ou un réseau social ? C’est à ces questions, et beaucoup d’autres, que le documentaire d’Alain Della Negra et Kaori Kinoshita tente de répondre, les deux réalisateurs mettant en scène leur traversée de l’Amérique d’Est en Ouest, avec trois principaux protagonistes comme points d’appui, chacun représentatif d’une communauté emblématique de Second Life : les pasteurs évangélistes, les furies, qui développent une passion pour les animaux anthropomorphes, et les goréens, qui vivent selon des règles de domination très strictes…

Une réflexion sur la porosité entre les 2 existences
Sous forme de road movie initiatique, The Cat, the reverend and the slave part donc de ce postulat de départ passionnant : travailler la porosité qui peut exister entre l’existence réelle et celle de de son avatar. Espaces virtuels, maisons fantasmées ou liaisons par claviers interposés, le documentaire explore le quotidien de résidents et nous donne à suivre des conversations déconceptualisées qui donnent le vertige tant il est impossible de savoir si le sujet parle de son avatar ou de lui-même, si l’enterrement auquel il s’est rendu est celui d’un proche ou celui d’une connaissance virtuelle, si la personne est réellement morte ou si elle s’est simplement déconnectée de son ordinateur. Saisissant.

La force du documentaire doit d’ailleurs beaucoup au niveau d'intimité que les deux réalisateurs ont réussi à créer avec les protagonistes de leur film. En totale confiance, ceux-ci se mettent à nu devant leur caméra et vont très loin dans le dévoilement. Qu’il s’agisse d’une femme au foyer obèse qui passe sa journée assise à manipuler son avatar à taille de gazelle ou ce looser pathétique qui s’admire en train de rouler des mécaniques crinière au vent pendant que les cendres de sa cigarette, qui se consume sans être tirée, recouvre son clavier. Rien n’échappe au regard féroce de la caméra de Kaori Kinoshita, qui fait la preuve grâce à sa mise en scène intrusive que la vie dans Second Life n’a rien d’un jeu, qu’il s’agit plutôt d’une extension de l’existence.

Quand l'appât du spectacle entraîne au voyeurisme.
Bien parti, le documentaire s’effiloche pourtant en court de route. Captivés par leurs témoins hors normes, les réalisateurs perdent en chemin leur sujet pour se focaliser sur les éléments les plus spectaculaires de leur enquête. Couple improbable formé sur Second life, dont l’une en a fait son gagne pain quand l’autre erre sur la plateforme à la recherche de son ex-femme. Pasteurs prosélytes à tendance illuminée qui ouvrent une chapelle virtuelle pour prêcher aux pêcheurs. Communauté goréene incarnée par un balayeur de station service travesti la nuit pour diriger la vie sexuelle de ses esclaves. Le temps passe, et l’impression de misère humaine et de voyeurisme se fait plus forte que jamais. La limite du crapoteux n’étant pas atteinte à la grâce d’une mise en image formellement assez bien posée, qui n’empêche tout de même pas cette accumulation de donner dans la complaisance.

En bref : Basé sur un fil conducteur brillant, la frontière fragile entre virtuel et réel sur Second Life, les réalisateurs se perdent pour en arriver à ne plus filmer qu’une galerie de tarés qui donnent l’impression qu’il faut avoir un problème pour traîner sur le net. Dommage, car les témoignages sont particulièrement impressionnants, et les questions soulevées abyssales. Mais l’appât du spectacle aura été le plus fort, culminant avec le splendide, mais thématiquement peu pertinent Burning Man. Reste des auteurs honnêtes, qui auront simplement eu la faiblesse de céder à la facilité quand un peu plus de rigueur thématique aurait pu faire, au vu de la matière accumulée, un documentaire de premier plan. Instructif quand même.



dimanche 17 mars 2013

Another year


Réalisation : Mike Leigh

Avec : Jim Broadbent, Lesley Manville, Ruth Sheen

Année : 2010

Another year.
Mike Leigh filme une année de la vie d’un couple de quinquagénaires, organisée autour du défilé des quatre saisons, s’attachant à leurs amitiés, leurs inquiétudes et les non-dits les plus intimes qui parfois finissent par faire mal.

Il y a deux façons de prendre Another Year. L’une agréable, qui nous fait savourer le quotidien d’un couple d’aplomb, revenu de tous ses excès, qui vivote gentiment et regarde graviter autour de lui la brutalité de l’existence en bêchant son petit lopin de terre. Véritable rocher pour naufragé, leur maison est un lieu refuge coupé du temps, et l’on se prend à envier Tom et Gerry qui ont su faire de leur vie un art d’équilibre et de douceur. Pas exempt de nuances, le scénario démontre clairement qu’arrivé à l’heure des bilans, il n’y a pas de hasard : nous devenons la somme de nos actes et de nos choix. Ne nous reste qu’à assumer leurs conséquences ou souffrir de ne pas être devenu ce que l’on rêvait d’être.

Il y a aussi une seconde façon d’aborder le film de Mike Leigh, œuvre d’un conformisme parfois embarrassant. A mettre en valeur le train-train d’une certaine classe moyenne de gauche, et à hausser en maître étalon la fidélité, la droiture et la bienveillance comme seules qualités susceptibles de faire le bonheur, le réalisateur semble donner la leçon. Alors qu’ils sont en âge de faire le deuil de leurs illusions, il nous expose que le célibat, la cigarette, le désir et l’alcool sont des facteurs de névrose qui empêchent l’accomplissement honnête. Les mirages d’un plaisir facile semblent devoir inéluctablement se payer comptant. Vu sous cet angle, son film sombre dans une bien pensance plutôt déplaisante.

En bref : Alors que l’on peut aborder son film sous deux angles plus ou moins agréables, c’est la première option qui finit par emporter la partie, dans son sillage de larmes et de joies domestiques, de petites trahisons et de grandes affections. Un beau film, au casting attachant et à la douceur revigorante.


jeudi 14 mars 2013

Quai de Ouistreham


De : Florence Aubenas

Quai de Ouistreham
L’histoire est connue de tous : Florence Aubenas, journaliste qu’on ne présente plus, avait disparu de la circulation durant plusieurs mois, laissant entendre à ses proches qu’elle se trouvait au Maroc alors qu’elle s’était exilée en Basse Normandie. A peine grimée, des cheveux blondis, une paire de lunettes peu saillante, elle s’invente un passé de femme au foyer foutue à la porte à 48 ans par son époux, qui se voit obligée du jour au lendemain de trouver du boulot. Armée d’un seul CV plus troué qu’un gruyère suisse et moins excitant qu’un balai vapeur en solde sur M6 boutique. Bref, elle a décidé de mettre les mains dans le cambouis, de découvrir ce que la crise voulait dire chez les "vrais" gens, ceux que son milieu journalistique avait peut-être fini par ne plus côtoyer, et pire, ne plus comprendre.

Autant dire que Libération en fut tout ému, tout comme Le Nouvel Observateur et Le Monde. Comme Günter Wallraff en son temps, qui dénonçait en se faisant passer pour un Turc, les outrances subies par les immigrés dans l’Allemagne des années 80, Florence Aubenas tente donc de décrire l’enfer vécu par des femmes parfaitement intégrées, mais tout simplement sous diplômées ou accidentées de la vie. Les nouveaux travailleurs pauvres. Les laissés pour compte. Seulement, prise de vertige devant la révélation qui s’ouvre à elle, où plutôt dominée par la volonté de raconter quelque chose de spectaculaire, elle va aller loin dans la description misérabiliste du monde du travail précaire. Très loin même.

Quand le Nord de Dumont semble une rigolade
Oubliez le Nord Pas de Calais de Bruno Dumont, c’est de la gnognotte à côté du Quai de Ouistreham. Le vingt et unième siècle est, sous la plume d’Aubenas, plus cruel que le 19ème chez Dickens. On la suit errant avec un enthousiasme forcé de file d’attente à pôle emploi, en entretiens d’embauches particulièrement puants. Tout est dur, tout est aspérité, tout est dégradation dans cette vie au bord du précipice, où le Saint Graal absolu, qui clôturera son expérience, est l’obtention d’un CDI, quel qu’il soit, même à temps partiel. Car plus personne ne croit au CDI à temps complet dans ce monde dégradé et dégradant. Il n’existe plus, nous écrit Florence Aubenas. Et c’est là que le bas se met à sérieusement blesser.

A l’image des émissions télé les plus vulgaires, du style Delarue et consort, la journaliste ne résiste pas à appuyer sur le pathos. Son expérience, c’est Voyage au bout de la nuit. Les patrons sont ignobles, des pères fouettards unilatéralement aveugles devant les souffrances infligés à leurs employés. Le travail éreintant au point que deux heures de ménage vous laissent totalement engourdis, nauséeux, au bord de la perte conscience. Les scènes tellement exagérées qu’on croirait Rosetta revu et corrigé par Daniel Pennac. La populace qu’elle veut défendre, et que Frank Zito côtoie tous les jours, apparaît bête, ignorante, abrutie, enlaidie même à une exception près. Tous les échanges qu’elle retranscrit sonnent comme un bêtisier, c’est le petit trou de la lorgnette, avec ses stages bidons, ses anecdotes grossières, sa fraternité pouilleuse.

Florence Aubenas est armée de bonnes intentions. Evidement, elle ne ment pas. Aucun doute qu’elle ait vécu tout ce qui est retranscrit dans son Quai. Mais sa façon de voir les choses, son tri sélectif, donne à l’ensemble une unilatérale odeur de poubelle avarié, une noirceur que rien ne peut égayer, tant les "bons moments" et la camaraderie de ses pauvres âmes sont noyés dans un excès de sordide permanant. Un seul exemple pour mieux comprendre : ces deux amis qui se croisent dans une casse située au bout d'une route à peine beurrée de bitume. "Ah, Tony, dit l’un, je ne t’avais pas reconnu, t’as changé de coiffure?" "Non, répond l’autre en crachant un dentier dans ses mains, c’est parce que j’avais mis mes dents pour sortir."

En bref : Sûr que la précarité et la crise ont durci la vie du monde du travail. Les coups de triques du pouvoir se font toujours plus brutaux, les droits reculent. La stratégie du choc est à l’œuvre. Hélas, le voyage de Florence Aubenas au Quai de Ouistreham, loin d’en être le témoignage attendu, sombre dans un misérabilisme abominable, qu’accentue un style littéraire très soigné qui donne un caractère terriblement romancé à des histoires qui n’en demandaient pas tant. Pétri de bonnes intentions, il manque finalement de beaucoup sa cible en offrant une vision parcellaire et déformée d’une réalité qui n’avait pas besoin de tant de maquillage pour exister. Raté.

mercredi 13 mars 2013

Concert : The bewitched hands +Mina May



Yop, The Bewitched Hands, le groupe à ne pas rater, faisait une halte dans la station balnéaire de Six-Fours, petite ville varoise à l’odeur électorale bien reloue et au ciel toujours bleu, pour défendre Birds & Drums, sûrement le meilleur album rock français de 2010. Pour cela ils étaient attendus au tournant dans un espace André Malraux à l’aspect municipal bien marqué, où les affiches du tristounet Les femmes du sixième étage prenaient plus de place que celles ronéotypées du concert, scotchées de biais sur des panneaux indicateurs une heure à peine avant l‘heure prévue du concert. Repoussés dans la petite salle cinéma, la mairie ayant réservé la grande, à un spectacle d’école primaire plus en phase avec ces locaux sordides, on pouvait craindre le pire en terme d‘affluence.

Mina may : technique 6.3, partage public 2
Mais les Bewitched Hands se sont fait un nom, jusque dans le trou du cul du monde -comprendre six-fours- et s’étaient réunis assez d‘irréductibles pour que la salle ne résonne pas trop creux. Avec en hors d’œuvre Mina May, et son rock atmosphérique assez hermétique, tendance Archive dernière génération. Dès les premiers instants, les quatre bonhommes font comprendre que tout reposera sur la musique, et rien sur le scénique. Aussi souriant que des Mormons qui se seraient coincés les doigt dans la portière, ils développent sans enchaînement leur rock progressif technicoïde avec une concentration qu’on ose à peine déranger. Les nappes sonores se superposent pour s’ouvrir sur d’interminables morceaux de bravoure techniquement irréprochables, mais excluant au possible. Mais la perfection d’exécution, associée à des conditions sonores optimales permettent à Mina May d’arracher la partie, et de laisser le souvenir d’un groupe dédié à des compositions extrêmement travaillées et audacieuses et qui, s’ils prennent le risque de perdre le public en route, ne font pas dans la concession. Rien que pour cela, on leur tire notre chapeau.

Bien installés, dans leurs confortables fauteuil de cinéma, Frank et Madame Zito avaient donc savouré la première partie sans y gouter pleinement, quand un chauffeur de salle à tendance Bigard fortement marquée vint secouer la léthargie ambiante pour leur faire lever le cul de leurs places. Chose assez compliquée, mais le bonhomme est tenace, et à force de volonté rigolarde réussit l’exploit. C’est donc sous les ovations d’un public braillard que les Bewitched Hands envahirent la salle pour jouer leur jeu. Et quel jeu ! Les six fantastiques, après avoir passé l’après midi à lézarder à la terrasse d’un café, sirotant pastis sur pastis, semblaient habités d’une conviction profonde : s’ils arrivaient à faire se lever cette salle disparate, s’ils pouvaient mettre le feu dans cette antre habituellement dédiée au troisième âge local, alors ils ne connaitraient plus jamais l’échec !

The bewitched hands : technique 6.0, partage public 6.4
Ah la claque dans la gueule ! La set list magique ! Les tubes interplanétaires ! Généreux, inspirés, possédés, ils nous ont rejoué la chevauchée fantastique, écrasant tous et toutes sur leur passage électrique. Leur pop rock festive, menée à la baguette par des bûcherons à la voix douce qui vire souvent furie, enchantée par des guitares qui se croisent pour la rejouer foutoir organisé et par des chœurs fous à la classe folle, déchire toutes les inhibitions. Les titres s’enchaînent si vite que la tête nous tourne. Work, So Cool, Cold, Hard to cry, un ou deux morceaux tout frais moulus qui laissent envisager une suite stupéfiante, Les joyeux drilles tirent sur tout ce qui bouge. Et pour bouger, elle bouge, la petite salle, prise d’euphorie, comme droguée. Les regards dévorent la scène, incapable de se poser sur l’un ou l’autre des musiciens d’un groupe que l’on sent en totale connivence.

Du pur rock
Barbes hirsutes, robe moulante, casquette de skate, élégance, tendance, rétro et je m’en foutisme, aucun n’est pareil, mais tous forment un ensemble indissociable. Les Bewitched Hands transcendent le concept de groupe pour s’élever dans des cimes seulement occupées par des calibres tels qu’Arcade Fire. Les cordes sautent, les lanières ne soutiennent plus les guitares, les uns crient quand les autres saignent, c’est la fête totale, dégénérative, Frank gueule tout ce qu’il peut, madame Zito ondule, les refrains explosent comme des pétards de feux d’artifices. Le rappel est monstrueux. La joie saine et totale. Aucun doute, les Bewitched Hands ne connaissent que la marche avant, et rien ne pourra jamais les arrêter. Le cœur gonflé à bloc, on sort heureux d’avoir croisé la route de ses êtres lumineux avant qu’ils ne soient trop gros. Merci.



(Concert du 7 avril 2011 à Six fours les plages)

vendredi 8 mars 2013

CARPENTER / ARGENTO : Les maîtres de l'horreur

           

Réalisation : John Carpenter, Dario Argento

Avec : Meat Loaf, John Saxon, Ron Perlman

Année : 2006

Double programme pour cette chronique, avec deux épisodes de la seconde saison des Master Of Horror de Mick Garris. Une fois encore, le producteur a convié à son anthologie le gratin de l’histoire de l’épouvante, parfois bien has-been, pour un tour de piste plutôt saignant. Le premier, J’aurai leur peau de Dario Argento, est une histoire de fourreur, de peaux de ratons laveurs et de malédiction, quand le second, Piégé à l’intérieur de John Carpenter, nous fait assister à l’assaut d’une clinique spécialisée dans les avortements par des intégristes pro-life plutôt bas de plafond…

Les papys de l'horreur en ont encore sous la semelle
Notons d’abord que les deux épisodes sont particulièrement jusqu‘au-boutistes, ce qui est assez étonnant pour une production télévisuelle, et prouve la sincérité du projet. L’occasion donnée pour nos papys de l’horreur de prouver qu’ils en ont encore sous la semelle. Et pour ce faire, les moyens semblent abondants, les effets spéciaux étant particulièrement soignés, ainsi que la qualité de l’acting, avec de la star old school en veux-tu en voilà, à l’image de John Saxon, qui retrouve Argento avec qui il a joué dans Ténèbres, et qui cabotine à mort dans le rôle d’un braconnier redneck. On retrouvera également avec plaisir le hard rockeur reconverti Met Loaf dans le rôle d’un fourreur qui ambitionne d’emballer une stripteaseuse avec son manteau magique et le toujours médiocre Ron Perlman, dans une variante de son personnage de patriarche de Son’s of anarchy, qui profite de l’étroitesse réelle de son front pour apporter toute sa crédibilité à un fanatique religieux.

Les deux histoires sont plutôt agréables à suivre, leurs scénarios respectifs bien tenus, gorgés d’autoréférences, comme cet enfant démoniaque qui rappelle furieusement la tête mécanique de The thing ou cette attaque type western d’une institution en plein jour par une horde, avec ses gunfights si chers à Carpenter. Très gores, surtout l’Argento, les glorieux anciens en profitent pour shooter quelques scènes bien craspecs, comme ce coup de boule donné à un piège à loup, ou cet avortement opéré sur un homme. Bref, on retrouve comme convenu les éléments politiques subversifs chez Big John, et le délire visuel chez le maestro, la ritournelle d’inspiration Morricone chez l’un, la rythmique minimaliste chez l’autre, tout étant bien là où il faut, comme il faut.

Des vieilles gloires mal en point

Mais alors pourquoi ce malaise ? Cette impression que les deux maîtres, qui ont tant apporté à l’histoire du cinéma de genre, s’adonnent à une certaine forme de modernité forcée qui ne leur correspond pas si bien que cela ? Pourquoi cette impression qu’au lieu de leur remettre le pied à l’étrier, cette expérience scelle définitivement leur sort ? Peut-être parce que réaliser de leur vivant les épisodes d’une anthologie à leur gloire est une grossière faute de goût. Leur performance, marketée comme un évènement à part entière, est par la même scrutée, détaillée comme le fait d’un créateur alors qu’il s’agit de l’incarnation même du film de commande, d’une pige de classe assez désincarnée qui n’apporte rien à leurs auteurs respectifs, si ce n’est d’en être. Ensuite parce que s’abaisser à attraper la main tendue, et certainement sincère, de Mick Garris, montre à quel point les vieilles gloires sont mal en point, lâchées par l’industrie du cinéma, tellement isolées que l’occasion d’un épisode télé ne se refuse plus. Ce qui explique que dans un excès d’égoïsme mal contrôlé, on se prenne à penser que, finalement, on aurait préféré voir les oiseaux se cacher pour mourir…

En bref : Incapable de trancher entre le plaisir de voir John Carpenter et Dario Argento imprimer leurs regards sur de la pellicule fraîche, et la déception évidente de projets qui auraient finalement pu être portés par d’autres sans qu’il n’y ait grande différence, on peut quand même se féliciter de l’humilité de ces géants qui viennent crédibiliser un projet qui n’aurait eu aucun sens sans eux, et n’en a peut-être pas beaucoup avec… Restent deux petits épisodes plutôt bien foutus, assez méchants, qui nous en donnent pour notre argent, si tant est que le cœur de l’affaire se trouve dans le porte monnaie.





jeudi 7 mars 2013

Série désaxée : the Misfits (saison 1)


Créée par : Howard Overman en 2009

Avec : Robert Sheehan, Lauren Socha, Nathan Stewart Jarrett

Année : 2009

The misfits (saison 1)
Cinq délinquants effectuent leurs travaux d'intérêt général quand un orage de grêle géant s’abat violemment sur eux et leur superviseur. Avant d’avoir pu se mettre à l’abri, ils sont foudroyés et propulsés un instant dans une faille spatio-temporelle. A leur retour, ils se découvrent affublés de super pouvoirs parfois plus relous que supers...

British vs Franchouillard
Dès le pré-générique, Misfits sent bon. Très bon même. Embrouilles entre personnages visiblement déséquilibrés, humour déglingué, violence contenue, acteurs first-class, bref, l’accroche est immédiate, et ce n’est pas la suite qui contredira ce bon pressentiment. Car rien dans Misfits n’est à jeter, alors que tout aurait pu être raté tant son ambition folle était casse-gueule. Parce qu’une série britannique qui s’aventure dans le domaine des supers héros, c’était déjà bien couillu. Mais à l’inverse des Français, il y a outre-Manche une tradition autrement plus respectable que la notre, un ton, une industrie, un savoir faire, qui ici nous explose à la figure. Une fois de plus ils nous prouvent qu’ils sont à des lieues de nos productions, touchant le plus grand nombre avec une tonalité underground qui respire la classe, quand nos séries à destination des ados sentent le pâté – il vous suffira de vous pencher sur le surestimé Héro Corps pour vous faire une idée de la profondeur du fossé qui nous sépare de Misfits : vertigineux !

Parce que là-bas on ne fait pas les choses à moitié. D’abord en s’appuyant sur un scénario fou, qui permet toutes les digressions, tous les délires, mais sans jamais perdre l’argument de base, nous attacher à ces cinq perdus qui se réadaptent dans un centre municipal coupé du monde. De cet isolement en plein centre ville, Overman fait un terrain de jeu qui n’est pas sans rappeler les mondes parallèles des japoniaiseries de notre enfance. Sauf qu’au lieu d’être ringard, Misfits sue la classe à tous les étages. Même Simon, le plus déconnecté d’entre nos super-héros, se sape avec une élégance stricte pour échapper à la caricature attendue de l’autiste geek. Toute l’histoire se trouve là, dans ce désir de faire sexy, glamour, de toucher du doigt son public sans chercher à échapper à l’air du temps.

Une série qui respire l'air du temps
L’époque est vulgaire ? Et bien nos Mysfits le sont aussi. Ils ont les hormones qui les chatouillent, font des blagues graveleuses, se mettent sur la gueule, dégainent leurs punshlines comme des Lucky Luke de banlieue, habités par une insouciance opportuniste très éloignée de la moralisation franchouillarde. A peine le générique ultra cool passé, nos désaxés baisent, fument, boivent, se grattent les burnes, ont des défauts de langage et vannent en dessous de la ceinture sans que personne ne s’arrête pour lâcher une phrase alibi qui respire bon le CSA.

Histoire de nous foutre encore plus de complexes, la photographie est belle, les effets spéciaux réussis, les histoires secondaires ambitieuses et la bande originale énorme, qui convoque des pointures comme The Rapture, Justice, les Spécials, La Roux, j’en passe et des meilleurs. Bref, Mysfists envoie du bois pour mieux nous clouer sur place. Et pour se rendre plus phénoménale encore, elle se paye le luxe d’un casting de rêve, auréolée par l’incroyable Robert Sheehan qui campe Nathan, une grande gueule dont rien n’arrête la logorrhée ininterrompue et hilarante. Une révélation.

En bref : Misfits se pose d’emblée, avec ses six épisodes denses, comme un mètre étalon de la série teenage des années deux mille. Enfumée, obscène, sexuelle, ensanglantée, alcoolisée et totalement inconsciente, Misfits a choisi de rire de tout avec tout le monde. Une ode à la libération des mentalités pour que vive la jeunesse ! Du lourd. Très lourd.


Sicko


Réalisation : Michael Moore

Année : 2007

Sicko, documentaire.
Si 50 millions d’américains vivent sans assurance maladie, ce qui les condamne à parfois recoudre eux même leur plaies, Michael Moore ne s’intéresse pas à ces indigents dans Sicko, mais aux 250 millions d’américains assurés. Par une volonté féroce de mettre sur le devant de la scène les défaillances du système de santé américain (remit au goût du jour par la politique de Barak Obama) Moore exhibe les dégâts quotidiens produits par l’absence quasi-totale d’une politique de service public dans le domaine médical, où l’intervention de l’état est vu comme un doigt enfoncé dans l’engrenage menant tout droit au socialisme.

La propagande nationale, qui manie un double discours particulièrement écœurant, y est confrontée aux ravages de son système, ce qui crée un contraste parfois insoutenable. Les pauvres hères qui témoignent, empêtrés dans des histoires de films d’horreur, ont l’humour du désespoir, de celui qui vous tire des larmes. Là bas, les accidents de la vie bousillent tout sur leur passage, le bulldozer des coûts de santé étant plus insurmontable encore que la maladie elle-même. Michael Moore, formidable conteur, monteur de génie, arrive, grâce à une mise en scène particulièrement efficace, à nous amuser de ces situations ubuesques et sordides. Sa démonstration à charge -et pourquoi faudrait-il qu’elle ne le soit pas ?- mais parfaitement documentée, cloute sa thèse avec cette fausse naïveté qui fait son fond de commerce, mais aussi tout son sel : cet art de poser un principe moral, presque enfantin, sur des mécanismes humains devenus purement mercantiles, dont tout le monde semble vouloir nier l’horrible finalité.

Pour les européens que nous sommes, Sicko prend une tonalité d’autant plus réjouissante dès qu’il sort de ses frontières pour aller à la rencontre de sociétés pour qui la santé n’est pas synonyme d’assurance, de profit, de rentabilité, de lobbying et d’industrie. Pas encore, en tout cas, car, par une mise en abîme involontaire, le français tremblera à l’idée de ce que la perte de ces acquis pourrait produire. Alors même s’il flanche un peu sur sa dernière partie, Sicko reste une réussite presque totale, qui place des visages sur de simples mots-valises croisés au détour de journaux télévisés aseptisés, et dont on prend conscience que leur sens est littéralement effroyable. Un grand documentaire fait par un sacré bonhomme…


mardi 5 mars 2013

L'étrange affaire angelica

Réalisation : Manoel de Oliveira

Avec : Pilar López de Ayala, Ricardo Trepa, Filipe Vargas

Année : 2010

L'étrange affaire Angélica.
« Film d'une richesse inouïe » (Les cahiers du cinéma), dont «la place nous manquerait pour mentionner toutes les pistes de ce beau et riche livre d'heures» (Les Inrock) qui file dans « un état de grâce torrentielle » (Libération) et prend « une place à part dans l'œuvre somptueuse que le cinéaste continue de bâtir » (Chronic’art). Chat alors ! Si ne pas tomber d’accord avec les critiques de télé 7 jours n’entraîne pas forcément de grosses de remises en questions, dans le cas de L’étrange affaire Angélica, Frank Zito en est sorti tout chose ! « Grand film testamentaire » « Ode à la vie » « Enchanteur ». Tudieu ! Fébrile, il a bien cherché partout, feuilleté en veux-tu en voilà. Et c’est dans Studio live (Studio live !) qu’il a déniché un critique qui semblait avoir vu le film avec les mêmes yeux que lui (Madame Zito aussi, mais comme pour les témoignages en justice, sa voix ne compte pas). Pas que Frank ait besoin qu’on lui tienne la main pour aller pisser, mais quand même, dans ce genre de situation, cet isolement total, ça surprend. Il n'avait pas vu ça depuis Avatar. C’est dire…

Quand la mayonnaise ne prend pas...


Alors comment aborder un film à côté duquel on est passé ? Difficile à dire, d’autant qu’il ne s’agit pas là d’une subtilité qui lui aurait échappé, subtilité sans laquelle le métrage deviendrait abscons. Du tout. L’histoire est limpide. Celle d’un photographe un tantinet neurasthénique, appelé d’urgence un soir, par une riche famille qui voudrait qu’il tire le portrait de la fille défunte. Angélica qui, sous l’objectif d’Isaac, se montre plus lumineuse et vivante que jamais. Tombé amoureux fou, il va alors perdre goût à une vie déjà morne pour se laisser envahir par son obsession pour Angélica et une mort plus joyeuse que la vie.

Sûr, il y avait de quoi faire. D’autant que Manoël de Oliveira, Zito, il l’aime plutôt bien. Et il chantait de concert avec les louangeurs de son très bon Singularités d'une jeune fille blonde, sorti l’année passée. C’est pourquoi, il ne fut pas surpris par le découpage du film en plans fixes, qui laissent respirer l’atmosphère et permettent au jeu de s’imposer. Pas plus que la photographie sombre et parfois terne ne l’ont particulièrement ému, elle collait parfaitement avec la thématique du film. Alors quoi ? L’humour, un peu daté, hors du temps, littéraire ? Là encore, pas de problème à priori. Non, il n’y a rien à faire, la mayonnaise n’avait pas pris. Pire même, Frank Zito avait été sujet à un assoupissement passager. Vous imaginez vous, s’assoupir en pleine ode à la vie !

...elle peut finir par tourner.

C’est que le film, mortifère au possible, quasi muet, après une longue exposition durant laquelle Manoel de Oliveira pose un regard interrogatif, lunaire et amusé sur la petite société qu’il décrit, patine gentiment. Pourtant, mis en confiance par la dithyrambe ambiante, on reste longtemps fasciné par la langueur, l’étrangeté du jeu, les effets spéciaux volontairement désuets. Puis, au bout d’une trentaine de minutes, l’argument de départ largement traité, l’on commence à voir le film boucler, comme samplé par un DJ grabataire qui reproduirait les mêmes scènes, les mêmes cheminements, les mêmes questions, pour étirer un titre de trois minutes et en faire un remix de sept.

Bien sûr, on comprend que l’auteur parle de lui, de sa perception du cinéma, du temps qui passe et du pied qu’il a déjà dans la tombe. Mais tout cela, c’est l’exégèse. Dans le film lui-même, il n’y a pas grand-chose. Affecté, pour ne pas écrire ampoulé, les dialogues ennuient, le spectre d’Angelica n’amuse plus à force d’apparaître sur le balcon, comme un guignol des temps modernes, les acteurs n’en finissent pas d’être préoccupés, mus par une folie décidément un peu trop douce. Et c’est dans le malaise le plus total qu’on se rend compte que cette fois ci, Manoel de Oliveira, à l’inverse de son compatriote centenaire, a échoué à faire passer une émotion vraie pour ne nous offrir qu’un conte pour personnes âgées, à la matière trop maigre pour être étirée aussi longtemps.

En bref : Plus ennuyeux que fascinant, l’étrange affaire d’Angelica lasse vite après avoir intéressé. La faute à des répétitions usantes, un synopsis rachitique et une réalisation auteurisante qui n’empêche pas le bateau de couler. Comme pour son précédent film, De Oliveira joue la carte du surréalisme daté, à la différence qu’il s’enlise ici très rapidement dans un scénario tout simplement trop maigre pour en tirer un long (très long) métrage. Affreusement poussif, il agonise pendant un heure jusqu’à un générique final qui arrive comme un soulagement. L’étrange affaire angélica se caractérise donc par une exégèse fascinante sur son auteur, sa longévité et cette façon de travailler hors d’âge, mais oublie en cours de route d’être tout simplement un film en lieu et place d’un testament. Dommage.