lundi 16 juin 2014

Torpedo : culs bénis s'abstenir


Scénario : Enrique Sanchez Abuli

Dessins : Jordi Bernet (tomes 2 à 15), Alex Toth (tome 1)

Torpedo, le tueur à gage imaginé par Abuli au début des années quatre-vingts exécutait sa basse besogne dans le new York malfamé des années trente. Une intégrale en forme de pavé nous permet aujourd’hui de s’enfiler les quinze volumes dans la glotte sans prendre le temps de faire une pause pipi. Vingt cinq ans passés à dessouder n’importe qui pour quelques dollars vite perdus dans les bras d’entraineuses de passage qui finissent toujours par lui chier dans les brailles. Chienne de vie…

Car Torpedo ne rigole pas. Du moins dans les premières années, sèches, qui claquent comme des balles de kalachnikov. Dialogues virils coupés au cordeau, action énergique, ironie de tous les instants, le monde de notre tueur à gage n’est qu’adrénaline. Tête brûlée à son compte, travaillant tantôt pour le milieu, tantôt pour des particuliers, Torpedo se distingue par une rancune tenace héritée de sa Sicile natale, alliée à une absence totale de remords. Tuer est son métier, et il le fait avec autant de détachement qu’un boulanger pétrit sa pate à pain. Articulé autour de courtes nouvelles n’excédant que rarement les dix pages, on dévore ses chroniques sèches à la morale douteuse avec le même plaisir coupable qu’un bon San Antonio.

Car comme Frédéric Dard, l’Espagnol Abuli joue avec des images d’Épinal, ici la pègre new yorkaise ou la mafia sicilienne, pour finir par nous dépeindre des personnages plus vrais que nature. Dans cet univers noir, on tangue de traitrises en contrats sans temps mort, si ce n’est l’occasion d’une punschline de mauvais goût dont Torpedo a le secret. Pourri par une jeunesse particulièrement dure, que l’on retrace à coup de flash back dantesques, Torpedo est le genre d’homme pour qui les règles sont écrites pour être violées. Et pas que les règles d’ailleurs. Car les femmes, succession ininterrompue de pin-up et de babydoll, caractérisées par une libido n’attendant qu’à être honorée, se trouvent le plus souvent sur la route de notre anti-héros, toujours prêtes à être troussées.

Après une entame ultra violente, austère et cruelle, Torpedo, au fil des années, perd un peu de cette dureté premier degré pour suivre justement le chemin emprunté par San Antonio, celui des enquêtes custom qui virent le plus souvent partouze. Et même s’il ne sourit que quand on lui arrache les dents, Torpedo s’humanise au contact d’un Rascal prenant la place d’un Bérurier ricain, le gravosse looser servant de contre champs humoristique de plus en plus apparent, quand l’ancien cireur de godasse sicilien aura fini par épuiser son histoire et n’existera plus que pour radoter ses mésaventures caricaturales, déroulant son Amérique viciée dans une variété de situations que l’on imaginait inépuisable mais qui, comme Rascal, finissent par lasser. Il n’empêche qu’on prend plaisir jusqu’à la dernière case à traverser ces clubs de boxe de quartier, ces stades de base ball et ces courses hippiques infestés de fraudeurs, de pénétrer cet univers crapoteux qui ne brille que la nuit, sous les sunlight d’une piste de danse ou les projecteurs d’un combat truqué organisé par la mafia.

En bref : Culs bénis s’abstenir. Une intégrale potelée qui permet de goûter aux aventures du tueur à gage le plus corrompu, dépravé et amoral de sa génération. Justifié à grand coups de flash back pathétiques sur une vie de misère, avec la violence comme seul horizon, on en aime d’autant plus Torpedo car si la vie ne lui a pas fait de cadeaux, il le lui rend bien. Alors même si l’intégrale s’essouffle en cours de route, elle reste à chaque page parcourue un pur moment de rock’n’roll, mal pensante et obscène. A boire cul sec, on the rocks, et surtout sans modération…

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