Auteur : Jonathan Coe
Après le pénible la pluie avant qu’elle tombe, Jonathan Coe allait-il retrouver un peu de grâce, ou s’enfoncer définitivement dans une littérature à destination des grand-mères, genre auquel il ne nous avait pas préparé ? Avouons que sur les premières pages la réponse soit réservée. Car de son histoire quelque peu convenue, ce Mr Sim embourbé dans une dépression dont il a bien du mal à se sortir, et qui avait tout du pitch gérontophile que l’on appréhendait, Coe livre un ouvrage plutôt enlevé, assez drôle, mais aussi formellement casanier. L’œuvre d’un auteur à la croisée du chemin, agréable, mais dont on pense immédiatement qu’il s’agira d’un coup pour rien.
Pas que le plaisir ne soit-pas au rendez-vous, non, l’auteur s’appuyant sur une écriture aussi agréable que limpide pour nous conter l’histoire de ce genre de type capable de raconter sa vie à son voisin d’avion sans même se rendre compte qu’il est mort d’une crise cardiaque. Miné par la dépression, Maxwell Sim est résigné, jusqu’à ce qu’il fasse la connaissance d’une jeune femme dans un hall d’aéroport anonyme, rencontre qui va lui redonner un peu de cette envie perdue. A partir de cet instant, c’est un road movie sous tranquillisants qui démarre, avec ses rencontres invraisemblables, sa galerie d’hurluberlus et son lot de révélations aussi grotesques que gênantes, l’antihéros, qui a d’ailleurs l’âge de l’auteur, refaisant sans l’avoir jamais désiré, le fil de sa vie ratée de bout en bout.
Immature, il s’identifie à Donald Crowhurst, homme d’affaire qui avait dans les années soixante simulé l’exploit d’un tour du monde en bateau, se suicidant avant que la supercherie ne soit découverte. Le parallèle est curieux, et ne semble pas de suite pertinent, mais Coe nous tient déjà et tisse patiemment sa toile, aérant son récit de courriers opportunément retrouvés, de rédactions d’enfants et de confidences intimes. Les pages défilent tranquillement, pimentées de ci de là par ses réflexions permanentes sur la société contemporaine, ses chaînes de restaurant partout les même, ce monde de l’entreprise un peu minable et cette nouvelle technologie qui isole plus qu’on ne voudrait bien le croire.
Très pertinent, il y a quelque chose de l’ordre du sous-Houellebecq dans cette vision désenchantée, presque sociologique, qui fait dévier le regard et rend plaisant de longs tunnels sur les qualités supposés des brosses à dents écologiques, sur la publicité, l’éducation ou les quartiers résidentiels. D’autant mieux abordés que Maxwell Sim les contemple sans en être, seulement tourné sur lui-même, dans un vase clôt morbide qui culmine dans sa relation avec un GPS à la voix envoutante. Mais c’est dans ses dernières pages que l’on retrouve l’auteur qui a su nous emballer, à la faveur d’une belle charge émotionnelle, doublé d’un twist ahurissant et vraiment imprévisible, qui retourne l’ouvrage et lui donne une valeur pas si éloignée que cela de la tache de Philip Roth. Ce qui, vous en conviendrez, n’est pas rien.
En bref : Après nous avoir beaucoup déçu, Jonathan Coe revient en costaud avec un livre qui ne cesse de monter en puissance. Sous ses faux airs de ne pas y toucher, il nous propose ses considérations réjouissantes sur l’infantilisation de l’age adulte et l’incapacité de s’accomplir dans le mensonge intime. La vie très privée de Mr Sim essayant de répondre à cette question existentielle : « Qu’est-ce que cela nous apprend sur notre temps qu’il soit plus facile de s’identifier à un tricheur tourmenté, un menteur qu’à un sportif courageux et patriote. » Véritable psychanalyse romancée, l’auteur y apporte une réponse aussi nuancée que vertigineuse, avec un dernier chapitre en forme de mise en abîme brillante. Un retour passionnant.
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