samedi 14 juin 2014

Cinéma : Avant l'aube

Réal : Raphaël Jacoulot

Avec : Jean-Pierre Bacri, Vincent Rottiers, Sylvie Testud

Année : 2011                    Durée : 1h44                     Pays : France

Avant l’aube se déroule presque intégralement dans un relais château isolé par la neige dans les Pyrénées. Y séjourne une clientèle huppée abritée par l’ambiance feutrée d’un hôtel luxueux, dont les étoiles brillent sur le dos de l’arrière cuisine laborieuse qui n’a droit qu’aux restes. Dirigé d’une main de fer par Franck Couvreur, notable de sa région, on y croise aussi un jeune en voie de réinsertion, Frédéric, réceptionniste en CDD. Ce dernier suspecte rapidement son patron d’avoir fait disparaître un client…

Un drame chabrolien
Il faut peu de temps à Raphaël Jacoulot pour assembler les briques qui formeront son édifice à l’architecture chabrolienne. Une poignée de scènes signifiantes et les rôles sont posés, tout comme l’intrigue qui peut évoluer dans un vase clos dont l’ambiance ne cesse d’être, au fil des minutes, de plus en plus pesante. A la tête d’un casting impeccable, un Jean-Pierre Bacri de gala. Impressionnant dans son rôle, le même que d’habitude à quelques nuances près. Il est ici taillé à la bonne mesure, son caractère blasé, bourru et profondément humain collant parfaitement au personnage d’hôtelier qui, à l’heure de songer à la retraite, se rend compte qu’il n’a pas grand-chose en dehors de son travail. Cela ne l’empêchera pas de tout mettre en œuvre pour sauver cette famille en mal d’affection de son écroulement.

Face à lui, le jeune Rottiers donne l’impression de sortir de sa banlieue stéphanoise. Bagnole pourrie, joint au bec, chaine en argent épaisse et Eminem en fond sonore, il rêve éveillé d’argent et de stabilité, de reconnaissance et d’un peu d’amour. Les deux hommes jouent leur partition comme deux vieux danseurs, se faisant sans cesse contrechamps, sans jamais révéler quel sera leur prochain pas. On appréhende parfaitement leur relation, tout en étant sans cesse sur le qui vive de son ambigüité, avec un sommet dans les scènes de métissage, où notre jeune réceptionniste en réinsertion se trouve à diner avec la famille bourgeoise, le malaise qui s’en dégage provoquant une gène que n’aurait définitivement pas niée Chabrol.

Une enquête policière artificielle
Si toutes les thématiques de cette liaison en forme d’incarnation de lutte des classes sont parfaitement traitées, il n’en va pas de même avec le côté policier, seulement utilisé pour mettre en valeur un scénario sur le déterminisme social, développer des personnages au réalisme profond, mais qui sonne faux quand on en vient à buter sur l’enquête pure. Et ce n’est pas l’irruption de Sylvie Testud, qui campe un inspecteur tout droit sorti de la littérature policière suédoise, qui arrange vraiment les choses. Caricaturale, elle symbolise l’artifice même d’une investigation qui n’intéresse Jacoulot qu’à moitié. Sa mécanique continue de porter sur des détails plus sociaux économique, comme ce chantage muet au travail, l’attirance du pouvoir et de l’argent, la notabilité, s’appuyant plus sur ces silences qui cachent de lourds secrets que sur les petites cellules grises de l’inspecteur Poncet.

En bref : Avec ses faux airs de Chabrol, et son décor tendance Overlook, Avant l’aube s’avère être un très bon film, qui penche plus fort du côté de la chronique sociale et familiale que du thriller. D’un bout à l’autre, l’ambiance y est aussi pesante que la neige est épaisse, et l’on y apprend que changer de vie n’est pas aussi simple qu’il n’y paraît. A la tête d’un duo d’acteurs parfait, Jacoulot gratte où ça fait mal, révélant la noirceur de l’âme humaine, son déterminisme et ses renoncements. Et aussi que souvent, dans la lutte des classes, les dés sont pipés d’avance. Une bonne surprise.


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