mardi 29 juillet 2014

Detective Dee


Réalisation : Tsui Hark

Avec : Andy Lau, Bingbing Li, Tony Leung Ka Fai


Année : 2010        Durée : 2h02            Pays : Chine, Hong kong

Detective Dee sonne-t-il véritablement le retour de Tsui Hark au premier plan ? Question fondamentale à laquelle la critique, unanime, a répondu positivement, avec plus ou moins de réserves. Et qu’en est-il de Frank Zito, vous demandez-vous fébrilement ? Et bien c’est un oui itou, mais non assorti de réserve, et ce même si ce retour gagnant s’appuie sur des recettes éprouvées cent fois, mais qui sont remises ici au goût du jour avec une facilité qui laisse rêveur…

Magnifique mais pas superficiel
Car si les Wu Xia Pian contemporains, ces films de cape et d’épée remis sur le devant de la scène internationale avec Tigre et dragon, avaient tendance à se perdre dans un délire d’esthétisme qui finissait par mettre scénario et personnages au rebut, Tsui Hark ravive la flamme fantôme à la manière du film d’aventure eighties. Loin de se regarder faire des cabrioles à l’élastique, et ainsi de placer la charrue avant les bœufs, il s’attarde dans un premier temps à mettre en place des personnages forts, aux caractères singuliers, parfaitement caractérisés, auxquels on s’attache immédiatement.

Le casting, mené par un Andy Lau de gala, est royal et extrêmement équilibré. Pareil pour les décors, somptueux. La reconstitution historique est précise sans alourdir le processus cinématographique. Les couleurs sont riches, les tissus et les armes magnifiques et magnifiés , chaque séquence est isolée dans un tableau différent qui soutient l’émotion désirée par le réalisateur. De la même manière, les chorégraphies s’intègrent parfaitement au récit et ne tombent jamais dans la facilité. Car tout dans le Detective Dee est assujetti à son histoire, jusqu’à la mise en scène, d’une précision diabolique, mais toujours au service du film, et non de son réalisateur.

L'Indiana Jones asiatique
C’est ce qui finit par faire de Detective Dee un grand divertissement, tel que Spielberg savait les faire il y a plus de deux décennies. Tsui Hark joue la carte du spectacle, de l’émerveillement, jamais de l’esbroufe facile. L’honnêteté de sa démarche fait même passer des CGI parfois douteux, la bête noire du sensible Zito, pour ce qu’ils sont : le moyen de montrer l’indescriptible. Aussi se régale-t-on d’admirer un bouddha céleste gigantesque, un cerf sacré tailler la bavette, des corps qui se consument de l’intérieur, des bannières maudites, des cloportes de feu, le tout parfaitement intégré à la grâce d’une réalisation qui n’oublie pas sa mise en scène pendant le spectacle d’effets spéciaux.

Ensorcelé par l’aspect visuel, captivé par un Dee à la douce insolence qui n’est pas sans rappeler celle d’Indiana Jones, tout comme le reste du métrage d‘ailleurs, bercé par un score épique de toute beauté, on se laisse embarquer par ce grand spectacle jamais antipathique, à la narration claire assez éloignée des canons du temps, captivé par la complexités des rapports politiques de l’époque, avec ses double jeux et ses trahisons en cascades, mais aussi et surtout par cette capacité que Tsui Hark a, de nous renvoyer en enfance, avec son enquête à la frontière du fantastique, proche, si proche de ces heures où l’imaginaire côtoie le réel, où l‘on a le sentiment de rêver éveillé. Impérial, il décoche une flamme fantôme qui touche à la quintessence même de ce que peut-être le cinéma, un art capable de nous faire voyager par delà le temps, l’espace et la réalité.

En bref : Tsui Hark est de retour avec un Wu Xia Pian en tout points magnifique. Avec son histoire d’auto combustion, ses arts divinatoires et ses marchés fantômes souterrains, Detective Dee nous fait voyager comme seules les productions les plus exceptionnelles savent le faire, et dont la recette, perdue par Hollywood depuis bien longtemps, est de raconter une histoire sans ironie, sans distance, avec le seul plaisir de la faire partager au plus grand nombre, le plus sincèrement possible. "La nouveauté ne dure qu’un temps" glisse malicieusement le juge Dee, à cet instant alter ego d’un Tsui Hark vieillissant qui savoure sa main mise sur le temps, sa capacité à se tenir à distance de ses courants qui emportent les baudruches et altèrent leur talent. Indéniablement la grosse production la plus excitante de ce début d’année.




lundi 23 juin 2014

L'enfer d'Henry Georges Clouzot


Réalisateur : Serge Bromberg, Ruxandra Medrea

Avec : Romy Schneider, Serge Reggiani, Bérénice Bejo


Année : 2009                         Durée : 1h 34        Pays : France


Quelle fut la réaction de Serge Bromberg quand la veuve de Georges Clouzot lui céda les 185 bobines d’essais tournés au début des années 60 pour L’Enfer ? Quelle sensation quand, pour la première fois, le film traversa les particules d’air pour aller s’écraser sur la toile d’un cinéma domestique ? Que les rumeurs se sont tues pour libérer la magie d’un tournage maudit, les bribes de ce qu’aurait dû être un monstre avant-gardiste ? Les mains moites, sûrement, et puis l’émotion, forte, trop forte. Et enfin le poids de la pression : comment ne pas gâcher ce trésor en le révélant au grand public ? Et sous quelle forme ?

Quand les dieux se penchent sur un berceau
La magie du cinéma étant ce qu’elle est, il paraît incroyable que les choses se soient réellement déroulées ainsi, cinquante ans après leur tournage, un ascenseur qui reste bloqué, un Blomberg assez persuasif, qui, grâce à son amour sincère des archives et une humilité de tous les instants, arrache les droits pour utiliser ces précieuses bobines… Et cette utilisation ! Inspirée, comme habitée par son sujet, toutes les idées mises en place pour remettre de l’ordre dans ce chaos brillant semblent touchées par la grâce. Articulée autour de trois idées fortes : restituer au public un maximum d’images originales shootés par les meilleurs techniciens de l’époque, réaliser un documentaire sur le tournage lui-même et enfin colmater les trous par une interprétation en retrait des personnages de Romy Schneider et Serge Reggiani par Bérénice Bejo et Jacques Gamblin.

Comme dans un rêve cinéphile, tout s’ordonne à la perfection, pas une seule fausse note ne vient gâcher ce plaisir gourmand qui donne à chaque spectateur l’impression d’être le premier à poser son regard sur cette pellicule datée mais à l’odeur tellement fraîche. Le documentaire est sans défaut. Il restitue avec maestria l’incroyable tournage, le délire et la folie qui monte, comme la température, rendant palpable la pression qui s’exerce sur une équipe déboussolée par la démesure d’Henri Georges Clouzot. Car l’homme qui ne veut rien de moins que révolutionner le cinéma, s’attarde sur des essais techniques d’une audace incroyable, régente sa cour avec la même démence que celle qui ronge Marcel Prieur, la même jalousie, la même persécution. Reggiani claque la porte, Romy se fait plus sensuelle que jamais, les uns sur les autres, les jours passent, étouffant dans une petite station thermale coupée du monde.

Kaléidoscopes hypnotiques
Eberlués, on découvre petit à petit les images couleur de ce film en noir et blanc, celle de la vision déformée par la jalousie de Marcel Prieur, à l’incroyable beauté formelle. Ces kaléidoscopes hypnotiques, ce train qui va pour broyer Romy nue et ligotée aux rail, ses lèvres humides, ces couleurs, ces boissons qui coulent en cascades interminables, ces distorsions. Les scènes sont lascives, estivales, décadentes, instables, magnifiques. Fantasme poussé à l’extrême par un Clouzot à qui la Columbia donne carte blanche et budget illimité après avoir vu les premiers rushes. L’auteur veut aller loin, toujours plus loin, triture aussi bien les sons que les images, et même les hommes, pour les amener, dans une folie expérimentale totale, à donner tous ce qu’ils ont dans un coït optique phénoménal. Obsédé par la performance, il perd pied avec la réalité, devient irascible, d’une exigence insatiable. Le film avance et le mystère s’épaissit, avec une question qui nous ronge : qu’est-ce qui a pu interrompre ce tournage, si ce n’est pas la mort elle-même ?

En bref : Reconstruction du tournage maudit de L’Enfer d’Henry Georges Clouzot, dans lequel le réalisateur se voulait plus innovant et subversif que jamais, de cette genèse d’un film qui voulait révolutionner le cinéma, Blomberg tire un chef d’œuvre instantané. Impossible de décoller de nos rétines l’accumulation d’images inouïes qui explosent comme ces bulles de champagnes qui pétillent sur le visage à la beauté lascive et inquiétante de Romy Shneider. Proche de l’expérience de l’art contemporain, le perfectionnisme maladif de Clouzot va l’emmener si loin qu’il y risqua sa vie. Mais ce tournage avait un destin, celui de se retrouver dans les mains d’un amoureux capable d’en extraire l’essence la plus pure et la restituer à un public abasourdi devant un tel monument. Une des plus belles lettres d’amour au cinéma jamais vue. Inoubliable.



lundi 16 juin 2014

Torpedo : culs bénis s'abstenir


Scénario : Enrique Sanchez Abuli

Dessins : Jordi Bernet (tomes 2 à 15), Alex Toth (tome 1)

Torpedo, le tueur à gage imaginé par Abuli au début des années quatre-vingts exécutait sa basse besogne dans le new York malfamé des années trente. Une intégrale en forme de pavé nous permet aujourd’hui de s’enfiler les quinze volumes dans la glotte sans prendre le temps de faire une pause pipi. Vingt cinq ans passés à dessouder n’importe qui pour quelques dollars vite perdus dans les bras d’entraineuses de passage qui finissent toujours par lui chier dans les brailles. Chienne de vie…

Car Torpedo ne rigole pas. Du moins dans les premières années, sèches, qui claquent comme des balles de kalachnikov. Dialogues virils coupés au cordeau, action énergique, ironie de tous les instants, le monde de notre tueur à gage n’est qu’adrénaline. Tête brûlée à son compte, travaillant tantôt pour le milieu, tantôt pour des particuliers, Torpedo se distingue par une rancune tenace héritée de sa Sicile natale, alliée à une absence totale de remords. Tuer est son métier, et il le fait avec autant de détachement qu’un boulanger pétrit sa pate à pain. Articulé autour de courtes nouvelles n’excédant que rarement les dix pages, on dévore ses chroniques sèches à la morale douteuse avec le même plaisir coupable qu’un bon San Antonio.

Car comme Frédéric Dard, l’Espagnol Abuli joue avec des images d’Épinal, ici la pègre new yorkaise ou la mafia sicilienne, pour finir par nous dépeindre des personnages plus vrais que nature. Dans cet univers noir, on tangue de traitrises en contrats sans temps mort, si ce n’est l’occasion d’une punschline de mauvais goût dont Torpedo a le secret. Pourri par une jeunesse particulièrement dure, que l’on retrace à coup de flash back dantesques, Torpedo est le genre d’homme pour qui les règles sont écrites pour être violées. Et pas que les règles d’ailleurs. Car les femmes, succession ininterrompue de pin-up et de babydoll, caractérisées par une libido n’attendant qu’à être honorée, se trouvent le plus souvent sur la route de notre anti-héros, toujours prêtes à être troussées.

Après une entame ultra violente, austère et cruelle, Torpedo, au fil des années, perd un peu de cette dureté premier degré pour suivre justement le chemin emprunté par San Antonio, celui des enquêtes custom qui virent le plus souvent partouze. Et même s’il ne sourit que quand on lui arrache les dents, Torpedo s’humanise au contact d’un Rascal prenant la place d’un Bérurier ricain, le gravosse looser servant de contre champs humoristique de plus en plus apparent, quand l’ancien cireur de godasse sicilien aura fini par épuiser son histoire et n’existera plus que pour radoter ses mésaventures caricaturales, déroulant son Amérique viciée dans une variété de situations que l’on imaginait inépuisable mais qui, comme Rascal, finissent par lasser. Il n’empêche qu’on prend plaisir jusqu’à la dernière case à traverser ces clubs de boxe de quartier, ces stades de base ball et ces courses hippiques infestés de fraudeurs, de pénétrer cet univers crapoteux qui ne brille que la nuit, sous les sunlight d’une piste de danse ou les projecteurs d’un combat truqué organisé par la mafia.

En bref : Culs bénis s’abstenir. Une intégrale potelée qui permet de goûter aux aventures du tueur à gage le plus corrompu, dépravé et amoral de sa génération. Justifié à grand coups de flash back pathétiques sur une vie de misère, avec la violence comme seul horizon, on en aime d’autant plus Torpedo car si la vie ne lui a pas fait de cadeaux, il le lui rend bien. Alors même si l’intégrale s’essouffle en cours de route, elle reste à chaque page parcourue un pur moment de rock’n’roll, mal pensante et obscène. A boire cul sec, on the rocks, et surtout sans modération…

Nanard 1rst class : Les vampires de Salem


Réal : Tobe Hooper

Avec : David Soul, James Mason, Lance Kerwin

Année : 1979                  Durée : 3h04                         Pays : USA

Ben Mears est de retour dans sa ville natale pour écrire sur une vieille maison qui le captive depuis sa plus tendre enfance et qu’il espère louer pour y puiser son inspiration. Hélas, celle ci vient d'être vendue à un antiquaire fraîchement installé à Salem's Lot. L’auteur se rabat donc sur une pension familiale avec vue sur Marsten House, et va rapidement se rendre compte qu’il s’y passe des choses pas catholiques du tout, si tant est qu‘il s’y passe quelque chose…

Quelques chiffres pour commencer. 1921 : Nosferatu de Murneau, 1977 : Entretien avec un vampire d’Anne Rice, premier volume de la trilogie qui bouleversa définitivement le mythe. Salem’s lot vient donc en 1980 dérouler doctement son précis du parfait vampire avec le sérieux de l’anthropologue qui vient de découvrir une civilisation inconnue. Anachronisme dont le téléfilm ne se relèvera pas.

Hutch !
D’autant qu’il est atrocement mou du genou et incroyablement inoffensif. Dès les premiers plans il se pose comme le parfait film de grand-mère bon à habiller un dimanche après midi pluvieux. De ces journées où l’on prend plaisir à voir défiler cette galerie de célébrités des années 70-80 venues cachetonner à l‘occasion. Avec à leur tête un David Soul qui ne semble pas vraiment à son aise en intellectuel citadin. Loin de son collègue Starsky, notre Hutch erre les bras ballants et la coupe improbable comme une âme en peine à la recherche de son salaire. Il tranche d’ailleurs assez nettement d’avec un assez bon casting qui cabotine avec bonheur dans les rôles de gros beaufs taillés à la serpe par la plume un peu épaisse de Stephen King. Hélas, notre grand cocker solidement enfoncé dans son jean taille haute et son veston d’universitaire, avec rond de cuir aux coudes, attire trop l’attention pour ne pas plomber la facture de l’acting à son maximum.

Usé avant même d'avoir servi.
En cela, il n’est pas vraiment aidé par un scénario ultra prévisible, des effets spéciaux aussi rares qu’éculés et la réalisation désincarnée d’un Tobe Hooper aux abonnés absents. Confortable comme une vieille paire de charentaises qui servirait de jouet à Médor, Salem’ lot déroule sa bobine toute moisie comme le vieux produit formaté et aseptisé qu’il est, usé avant même d’avoir servi. L’occasion d’y voir le témoignage d’un temps où la télévision n’osait pas, servant sa soupe tiède dans les chaumières, le temps d’avant le public de niche, où l’on voyait le film du soir en famille. Et de mieux saisir ces scènes qui s’étirent comme un chat sur un canapé, avec la mollesse et le contentement de celui qui sait qu’il ne se passera strictement rien car il faut aussi bien plaire à mémé qu’au petit dernier, au démocrate qu’au conservateur, au cinéphile qu’à l’amateur de jeu télévisé. Bref, plaire à tout le monde au risque de ne plaire à personne. Salem’s Lot, intelligemment, à tout misé sur le seul point commun de son auditoire : la sieste. Dès lors, il ne lui restait qu’une solution, donner aux vampires de Salem la consistance d’un flan, le goût d’une biscotte sans sel et l’odeur d’un verre d’eau. Mission accomplie haut la main.

En bref : Repoussé par les différentes strates d’évolution de la mythologie des vampires dans la préhistoire du cinéma d’horreur, là où l’éternelle modernité du Nosferatu de Murneau l’enterre et les Dracula de la Hammer l’écrasent de leur classe baroque, Salem’s lot sentait la naphtaline avant même sa première diffusion sur les ondes américaines, d’où son effet foudroyant sur les mites et soporifique sur les humains. Heureusement, le temps passant a fait de cet authentique navet, un nanard de première catégorie. Une promotion inespérée.


Série : "The IT Crowd", le caméra café britanique



Créée par : Graham Linehan

Avec : Katherine Parkinson, Chris O'Dowd, Richard Ayoade

Année : de 2006 à 2010          Durée : 25 épisodes/saison de 23 min        Pays : GB

The IT Crowd, « les gens du Département Informatique », sont relégués dans les sous-sols crasseux de Reynolds Industries, une entreprise florissante gérée par un illuminé. Si ce n’est que le département du support informatique est laissé pour compte, Moss et Roy, ses techniciens nerds étant méprisés de leurs collègues, quand Jen, la spécialiste relation publique, s’avère être particulièrement incompétente. Délaissés, nos trois lascars évoluent dans un espace crapoteux où la lumière du soleil a bien du mal à se frayer un chemin…

Chaleureusement recommandée par un ami, cette sitcom britannique vendue comme une machine à la drôlerie irrésistible sur fond de critique de l’entreprise ne vaut pas vraiment le détour. Caractérisés de façon extrêmement lourde, les trois personnages principaux en font des caisses dès le premier épisode, les uns en blaireaux geek et looser, et l’autre en écervelée pathétique. Mus par une volonté cartoonesque évidente, les trois gus du département informatique assortissent chaque réplique plus ou moins saignante de grimaces abracadabrantesques et roulements d‘yeux façon billes de loto dignes des pires heures de l’histoire des sitcoms, bien soutenus dans leur outrance par une réalisation à la pesanteur toute télévisuelle. Amateurs de blagues éculées filmées avec les pieds, bienvenus dans ce monde parallèle à la drôlerie très aléatoire.

Car une chose est de vouloir jouer sur le crédo de la gravité, encore faut-il s’en donner les moyens. Et ce n’est certainement pas en surjouant chaque scène jusqu’à l’écœurement, en étant aussi prévisible qu’un dessin animé à destination des tout petits, en usant de running gags qui feraient honte à Bugs Bunny et en s’appuyant sur un synopsis aussi foireux qu’ils pouvaient espérer remporter leur pari. Aussi dilettante que Moss, Roy et Jen, the IT crowd sent la paresse à tous les étages. Rien n’y est jamais chiadé, tout paraît improvisé, et passé un générique pixélisé de toute beauté on se retrouve dans un univers de passables à destination des passables qui n’est pas sans rappeler les plus communs épisodes de Camera Café. Sans oublier une boîte à rire grotesque à la sensibilité extrême, vestige de la télévision à papa, qui essaye de soutirer les rires aux forceps quand on reste incrédule que ce type de série existe encore à l’heure actuelle.

En bref : A l’exception d’un Moss interprété par l’étonnant Richard Ayoade qui arrive à lui seul à tirer les 9/10èmes des rires de la série, the IT crowd se pose comme un produit de consommation courante assez vulgaire, drôle une fois sur quatre et embarrassant les trois autres, à l’image de quasiment toutes les interventions chelou du PDG de Reynold’s industrie, dont on peut se demander pourquoi elle a traversé la manche pour atterrir sur nos écrans déjà bien saturés de daubes. Du (très) moyen de gamme…


samedi 14 juin 2014

Cinéma : Avant l'aube

Réal : Raphaël Jacoulot

Avec : Jean-Pierre Bacri, Vincent Rottiers, Sylvie Testud

Année : 2011                    Durée : 1h44                     Pays : France

Avant l’aube se déroule presque intégralement dans un relais château isolé par la neige dans les Pyrénées. Y séjourne une clientèle huppée abritée par l’ambiance feutrée d’un hôtel luxueux, dont les étoiles brillent sur le dos de l’arrière cuisine laborieuse qui n’a droit qu’aux restes. Dirigé d’une main de fer par Franck Couvreur, notable de sa région, on y croise aussi un jeune en voie de réinsertion, Frédéric, réceptionniste en CDD. Ce dernier suspecte rapidement son patron d’avoir fait disparaître un client…

Un drame chabrolien
Il faut peu de temps à Raphaël Jacoulot pour assembler les briques qui formeront son édifice à l’architecture chabrolienne. Une poignée de scènes signifiantes et les rôles sont posés, tout comme l’intrigue qui peut évoluer dans un vase clos dont l’ambiance ne cesse d’être, au fil des minutes, de plus en plus pesante. A la tête d’un casting impeccable, un Jean-Pierre Bacri de gala. Impressionnant dans son rôle, le même que d’habitude à quelques nuances près. Il est ici taillé à la bonne mesure, son caractère blasé, bourru et profondément humain collant parfaitement au personnage d’hôtelier qui, à l’heure de songer à la retraite, se rend compte qu’il n’a pas grand-chose en dehors de son travail. Cela ne l’empêchera pas de tout mettre en œuvre pour sauver cette famille en mal d’affection de son écroulement.

Face à lui, le jeune Rottiers donne l’impression de sortir de sa banlieue stéphanoise. Bagnole pourrie, joint au bec, chaine en argent épaisse et Eminem en fond sonore, il rêve éveillé d’argent et de stabilité, de reconnaissance et d’un peu d’amour. Les deux hommes jouent leur partition comme deux vieux danseurs, se faisant sans cesse contrechamps, sans jamais révéler quel sera leur prochain pas. On appréhende parfaitement leur relation, tout en étant sans cesse sur le qui vive de son ambigüité, avec un sommet dans les scènes de métissage, où notre jeune réceptionniste en réinsertion se trouve à diner avec la famille bourgeoise, le malaise qui s’en dégage provoquant une gène que n’aurait définitivement pas niée Chabrol.

Une enquête policière artificielle
Si toutes les thématiques de cette liaison en forme d’incarnation de lutte des classes sont parfaitement traitées, il n’en va pas de même avec le côté policier, seulement utilisé pour mettre en valeur un scénario sur le déterminisme social, développer des personnages au réalisme profond, mais qui sonne faux quand on en vient à buter sur l’enquête pure. Et ce n’est pas l’irruption de Sylvie Testud, qui campe un inspecteur tout droit sorti de la littérature policière suédoise, qui arrange vraiment les choses. Caricaturale, elle symbolise l’artifice même d’une investigation qui n’intéresse Jacoulot qu’à moitié. Sa mécanique continue de porter sur des détails plus sociaux économique, comme ce chantage muet au travail, l’attirance du pouvoir et de l’argent, la notabilité, s’appuyant plus sur ces silences qui cachent de lourds secrets que sur les petites cellules grises de l’inspecteur Poncet.

En bref : Avec ses faux airs de Chabrol, et son décor tendance Overlook, Avant l’aube s’avère être un très bon film, qui penche plus fort du côté de la chronique sociale et familiale que du thriller. D’un bout à l’autre, l’ambiance y est aussi pesante que la neige est épaisse, et l’on y apprend que changer de vie n’est pas aussi simple qu’il n’y paraît. A la tête d’un duo d’acteurs parfait, Jacoulot gratte où ça fait mal, révélant la noirceur de l’âme humaine, son déterminisme et ses renoncements. Et aussi que souvent, dans la lutte des classes, les dés sont pipés d’avance. Une bonne surprise.


Livre : la vie très privée de mr sim


Auteur : Jonathan Coe

Après le pénible la pluie avant qu’elle tombe, Jonathan Coe allait-il retrouver un peu de grâce, ou s’enfoncer définitivement dans une littérature à destination des grand-mères, genre auquel il ne nous avait pas préparé ? Avouons que sur les premières pages la réponse soit réservée. Car de son histoire quelque peu convenue, ce Mr Sim embourbé dans une dépression dont il a bien du mal à se sortir, et qui avait tout du pitch gérontophile que l’on appréhendait, Coe livre un ouvrage plutôt enlevé, assez drôle, mais aussi formellement casanier. L’œuvre d’un auteur à la croisée du chemin, agréable, mais dont on pense immédiatement qu’il s’agira d’un coup pour rien.

Pas que le plaisir ne soit-pas au rendez-vous, non, l’auteur s’appuyant sur une écriture aussi agréable que limpide pour nous conter l’histoire de ce genre de type capable de raconter sa vie à son voisin d’avion sans même se rendre compte qu’il est mort d’une crise cardiaque. Miné par la dépression, Maxwell Sim est résigné, jusqu’à ce qu’il fasse la connaissance d’une jeune femme dans un hall d’aéroport anonyme, rencontre qui va lui redonner un peu de cette envie perdue. A partir de cet instant, c’est un road movie sous tranquillisants qui démarre, avec ses rencontres invraisemblables, sa galerie d’hurluberlus et son lot de révélations aussi grotesques que gênantes, l’antihéros, qui a d’ailleurs l’âge de l’auteur, refaisant sans l’avoir jamais désiré, le fil de sa vie ratée de bout en bout.

Immature, il s’identifie à Donald Crowhurst, homme d’affaire qui avait dans les années soixante simulé l’exploit d’un tour du monde en bateau, se suicidant avant que la supercherie ne soit découverte. Le parallèle est curieux, et ne semble pas de suite pertinent, mais Coe nous tient déjà et tisse patiemment sa toile, aérant son récit de courriers opportunément retrouvés, de rédactions d’enfants et de confidences intimes. Les pages défilent tranquillement, pimentées de ci de là par ses réflexions permanentes sur la société contemporaine, ses chaînes de restaurant partout les même, ce monde de l’entreprise un peu minable et cette nouvelle technologie qui isole plus qu’on ne voudrait bien le croire.

Très pertinent, il y a quelque chose de l’ordre du sous-Houellebecq dans cette vision désenchantée, presque sociologique, qui fait dévier le regard et rend plaisant de longs tunnels sur les qualités supposés des brosses à dents écologiques, sur la publicité, l’éducation ou les quartiers résidentiels. D’autant mieux abordés que Maxwell Sim les contemple sans en être, seulement tourné sur lui-même, dans un vase clôt morbide qui culmine dans sa relation avec un GPS à la voix envoutante. Mais c’est dans ses dernières pages que l’on retrouve l’auteur qui a su nous emballer, à la faveur d’une belle charge émotionnelle, doublé d’un twist ahurissant et vraiment imprévisible, qui retourne l’ouvrage et lui donne une valeur pas si éloignée que cela de la tache de Philip Roth. Ce qui, vous en conviendrez, n’est pas rien.

En bref : Après nous avoir beaucoup déçu, Jonathan Coe revient en costaud avec un livre qui ne cesse de monter en puissance. Sous ses faux airs de ne pas y toucher, il nous propose ses considérations réjouissantes sur l’infantilisation de l’age adulte et l’incapacité de s’accomplir dans le mensonge intime. La vie très privée de Mr Sim essayant de répondre à cette question existentielle : « Qu’est-ce que cela nous apprend sur notre temps qu’il soit plus facile de s’identifier à un tricheur tourmenté, un menteur qu’à un sportif courageux et patriote. » Véritable psychanalyse romancée, l’auteur y apporte une réponse aussi nuancée que vertigineuse, avec un dernier chapitre en forme de mise en abîme brillante. Un retour passionnant.