lundi 15 octobre 2012

Une vie de chat


Réalisation : Alain Gagnol, Jean-Loup Felicioli

Voix : Dominique Blanc, Bruno Salomone, Jean Benguigui

Une vie de chat.
Alors qu’ils s’enfonçaient dans la salle obscure de leur cinéma de quartier, Frank et Madame Zito furent pris d’un vertige. Encouragés par une presse dithyrambique, ils en avaient complètement oublié qu’une vie de chat était un dessin animé destiné au jeune public. Et de découvrir effarés l’enfer de se retrouver confinés un samedi après midi entre des grands-mères à l’odeur de violette et leurs petits enfants hyperactifs, sans être capable de savoir laquelle de ces deux catégories était la pire. Et ce n’est pas l’ouverture du film d’Alain Cagnol et Jean-Loup Felicioli qui allait calmer l’anxiété d’un Frank Zito qui sentait les murs se refermer sur lui, alors que cette salle qui avait habituellement le pouvoir de le couper du monde était transformée en une infâme garderie interactive, où chaque scène était expliquée à voix haute par des mamies pédagogues, ou pires, par des sales gosses à leurs grand-mères dures de la feuille. Horreur…

Seul un miracle pouvait les sortir de cette spirale débilitante qui semblait inéluctable, et de miracle, il va justement être question ici. Car avant même que Frank n’ait à fuir la salle pour aller inspirer de grandes bouffées de cet air qui lui manquait cruellement, le silence commença à se faire. Interdit, il crut d’abord à une intervention surnaturelle, de type mystique, quand il se rendit compte qu’il s’agissait de la magie du cinéma, de sa force narrative, capable de venir à bout des publics les plus coriaces, les plus ingérables, les plus séniles même. Bref, à l’image de Moïse réussissant à ouvrir un chemin dans la mer rouge, Une vie de chat avait hypnotisé ses spectateurs à la grâce d’une histoire limpide sans être sotte, et d’un dessin propice à la rêverie.

Avec son aspect crayonné à la main, de toute beauté, et son graphisme naïf inspiré d’artistes comme Modigliani ou Fernand Léger, Une vie de Chat se démarque dès le départ de la production courante. Esthétiquement réussie, il arrive à distiller une nostalgie visuelle d’une époque révolue tout en restant d’actualité, mêlant à la perfection ses références datées à un scénario intemporel extrêmement efficace. Le chat Dino passe de la vie paisible de ses propriétaires à celle plus mouvementée de Nico, cambrioleur à la dextérité féline, qui traverse la ville de nuit par ses toits, ses cambriolages se déroulant tout en douceur, dans une grâce de mouvements enchanteurs qui nous permettent d’admirer un Paris biscornu aux formes envoûtantes.

Symbole de l’habileté des auteurs à ne pas tomber dans le syndrome mortifère de l’illusionniste, la musique jazzy, qui se réfère au cinéma noir des années cinquante, sait aussi faire place à un score de thriller proche de l’univers des super-héros. Même panachage dans les personnages, tour à tour vieillots et contemporains. Avec leurs grosses têtes et leurs souliers vernis, ils sont irrésistibles, avec une mention spéciale pour la bande de malfrats bas de plafond, menée par un boss atrabilaire, qui puise aussi bien dans le répertoire d’après guerre que dans le cinéma de Scorcese. On suit enchanté cette enquête savoureuse, à base d’enfant mutique et de Colosse mythique, méli-mélo bien écrit, très drôle, et qui passe si vite que l’on reste sur sa faim. Finalement ému, Frank aida les grands-mères à sortir de la salle quand Madame Zito offrait des cornets glacés aux affreux rejetons. Vous dire la magie du cinéma…

En bref : Un film d’animation d’une beauté singulière, pétri de références, mais pas empêtré dedans, Une vie de chat offre une heure vingt de grâce visuelle, le temps de développer un scénario malin et de se permettre toutes les audaces formelles pour envoûter un public tout acquis à sa cause, de 7 à 77 ans. Dans le genre transgénérationnel, on n'avait pas vu ça depuis Tintin (la BD), c’est dire. A voir, et à revoir.



dimanche 14 octobre 2012

Roman : Cantique de la racaille

 Auteur : Vincent Ravalec

Cantique de la racaille.
Gaston rencontre Marie Pierre en Normandie, une jeune fille à la beauté irrésistible qui lui plait à crever. Ex-taulard qui squatte son appartement dans un immeuble désaffecté au dessus du café Maurice, troquet de poivrot tenu par son partenaire d’entourloupe Saïd, il se rend bien compte que pour garder un tel canon, il va lui falloir changer de standing. S’engage une quête vers les sommets qui ne sera pas sans embûches…

Le premier roman de Vincent Ravalec s’attache au parcours d’un marginal, businessman à la petite semaine, réglo et romantique à sa manière, qui va être à deux doigts de voir son rêve devenir réalité. Autoproclamé directeur d’une société fantoche (Extramill, « parce que c’est extra et que ça tape dans le mille » ) dont Marie Pierre est l’experte comptable, il surfe sur un sens des affaires particulier, de celui qui transforme les presque clodos du bar Maurice en surveillants de rue. L’écriture est jubilatoire, la description du Paris-combine pénétrante, tout respire le vécu chez Ravalec, qui croque ses toquards avec un amour infini et un sens de l’humour décapant.

Son tour de force est d’ailleurs de nous faire épouser le point de vue de cette racaille émouvante, de pousser l’empathie à son maximum, tellement fort qu’elle nous entraîne très (trop?) loin aux coté de Gaston, dont on savoure le regard décalé sur le monde de l’entreprise et le pognon facile, sur la belle société, ses coups bas et ses carrés VIP top top. Et nous comme lui de ne rien voir venir quand l’auteur, au détour d’un chapitre, distille les grains de sables qui enrayent cette réussite qu’on a à peine eu le temps de savourer. Notre Al Capone de Paname s’embourbe soudain, perd confiance dans son mirage, semble ne plus pouvoir échapper à l’épée Damoclès qui menace chaque page de ce cantique qui sonne crescendo comme un requiem. Car Gaston et Marie Pierre, aussi sincères et purs soient-ils, ne sont-ils pas marqués au fer rouge de la galère ?

En bref : Ravalec signe un livre magnifique, une ode attendrie à destination de ces bras cassés au grand cœur, dont les actes comme l’enfer sont pavés de bonnes intentions, et nous rappelle que si la misère est à vendre, il n’y a jamais personne pour l’acheter.

mercredi 10 octobre 2012

Concert : Justine + Santa cruz + Wank for a peace.


Justine + Santa cruz + Wank for a peace (guerilla -poubelle- asso)
Paris, Les Combustibles, la nuit vient de tomber. Frank et Madame Zito mangent seuls dans le restaurant branchouille de l’étage, absolument hors des prix du public des lascars du soir. Fauchés comme les blés, quelques mômes se partagent timidement une bière. L’occasion donnée de voir arriver en ordre dispersé les musiciens du soir. Au terme d’une tournée éclair d’une dizaine de dates, on sent les trois groupes soudés comme des Gaulois au banquet final. De bonnes têtes de pas vainqueurs, mais qui résisteront envers et contre tout, contre la marche en avant de notre monde à la gomme. Des héros comme on espérait les trouver. Bonne franquette, ambiance colo, seul Alex, le chanteur de Justin(e) semble un peu à côté de ses moufles. La gueule dans le cul. Dévitalisé. Comme éteint. Direct il file aux chiottes. Revient. Y retourne. Tous les quarts d’heure. Comme aimanté. Madame Zito est formelle : il doit avoir une chiasse carabinée. Frank acquiesce, dubitatif, se dit que si l’occasion se présente, il ne lui serrera peut-être pas la main, en suivant discrètement du regard Fab, le bassiste crêté, qui profite du départ de ses comparses pour finir les verres. Les augures seraient d’accord : la soirée semble bien partie.

Et c’est peu d’écrire la bonne surprise. D’abord avec Santa Cruz , groupe de punk énergique qui déploie un hardcore offensif de très bon goût, avec ses compos tendues et efficaces ultra référencées. Courtes, elles vont à l’essentiel, comme cet hommage à Troma, Surf nazi must die ou Pizza punk. Belle ambiance de départ, le set passe trop vitre, il commence déjà à faire chaud. La suite ne casse pas l’ambiance, loin de là. Wank for Peace, avec son hardcore plus structuré et mélodieux, mais aussi un peu moins intéressant. Pourtant la température se fait équatoriale. Le chanteur donne tout ce qu’il peut, l’ambiance déchire tout, les refrains sont scandés par un public acquis, jusqu’aux pogos, amusants au départ, qui finissent par se montrer plus agressifs. Les choses sérieuses auront donc commencé sans que l’on s’en rendent vraiment compte, et c’est dans le bordel des grands soirs qu’ils clôturent une prestation qui sera montée graduellement en puissance pour finir très fort. Deux groupes à suivre, à l’évidence.

Durant ce temps, on aura pu admirer la solidarité des amis de Justin(e) venu foutre le bordel avec le public, chauffeurs de salles goguenards et auteurs de bœufs multiples qui finissent de détendre l’atmosphère. Atmosphère qui vire cocotte minute dès les premiers accords lancés par le groupe nantais. Ouverture brute de décoffrage avec Accident n°7. Alex revenu des chiottes semble s’être ressaisi. Il crache avec conviction à la face d’un public bouillant une rafale de titres plus efficaces les uns que les autres. Fini la chiasse bonjour la classe. Autour de lui, Olive à la guitare, Fab à la basse et Fikce à la batterie se démènent, éructent les chœurs enthousiasmants des compos de Justin(e) repris comme un seul homme par des Combustibles qui transgouttent à grosses spires.

Plus rock et moins hardcore que leurs prédécesseurs, ils cloutent leurs meilleurs titres avec la facilité de ceux qui tournent comme des Stakanovistes. Tout fonctionne, s’enchaîne à la perfection, la perf’ est huilé comme un corps de bodybuilder, la pression monte encore d’un cran. Défilent Festen, Ode à la mort et Porcelaine, qui résonnent Luke boosté aux hormones de croissance, de celles qui transforment un baudet en pur-sang prêt à concourir au prix d’Amérique. Faciles, solides, avec leur répertoire de dingue que vient d’étoffer le presque parfait Treillères über alles, ils arrivent à égaler les meilleures performance des Guerilla Poubelle. Même volonté d’en découdre, d’envoyer du pâté, de réveiller l’auditoire. Rome sonne décadence, et l’on veut tous croire que le spectacle du capitalisme se terminera ce soir, bousculés par leur furia punk convaincante. Plus politique que jamais, Justin(e) crache à la gueule du système sans méchanceté. Anachroniques et totalement de leurs temps, indignés depuis plus de cinq ans, ils sont le fer de lance de ce qui se pense de mieux sur la scène actuelle, alternative comme jamais. Le temps d’un dernier hymne, Alex n’en peut plus, fait signe que c’est fini et s’enfonce dans la salle en se tenant le ventre. Les Combustibles peuvent relâcher un public à l’état liquide dans des rues de Paris. Terrible.

lundi 8 octobre 2012

the door


Réalisation : Anno Saul

Avec : Mads Mikkelsen, Jessica Schwarz, Valeria Eisenbart

Année : 2010

The door.
On peut écrire sans se tromper que Die tür est passé totalement inaperçu en France. L’occasion de mesurer l’impact du festival Fantastic’Arts de Gérardmer sur le public hexagonal, The door y ayant récolté le Grand prix 2010. Successeur du Festival d’Avoriaz, dont les Prix jalonnent les grandes heures de l’histoire du cinéma fantastique des années 70-80, de Duel à Brain dead, en passant par Carrie et Blue Velvet, on ne peut que constater que Gérardmer n’aura jamais vraiment réussi à ranimer la flamme. A sa décharge, un cinéma de genre moribond, qui l’oblige à décerner des prix à des pellicules aussi dispensables que Cube, Le loup garou de Paris ou Isolation. A sa décharge aussi, des sélections parfois frileuses, souvent à côté de la plaque. Mais bon, « nouvelle décennie nouvelles règles » (Scream4©)…

Hélas, ce n’est pas The door qui va venir pimenter son palmarès affreusement mou du genou, et ce même s’il est loin d’être indigne, avec son histoire de passage secret qui permet à David, un peintre célèbre, de revenir dans le passé afin de réparer ses erreurs. Seconde chance inespérée pour un homme qui avait, cinq ans auparavant, laissé sa fille sans surveillance près de la piscine, les lacets défaits, occupée à chasser les papillons en sautillant, pour aller fricoter avec la voisine nymphomane. Evidemment la fillette à cloche pied se ramasse la bobine contre le carrelage, bascule dans l’eau et ses lacets s’emmêlent dans la bouche d’aération. Coincée au fond de la piscine, sans son pull bleu marine, elle n’est pas sauvée par un père trop occupé par son coït... Immédiatement on pense très fort à House pour le volet deuil de l’histoire, puis à L’effet papillon pour celui retour vers le passé et ses conséquences imprévisibles.

Toutefois le film d’Anno Saul se distingue de ces références par une austérité appuyée. L’ambiance est mortifère, pesante, étouffante même, parfaitement incarnée par un Mads Mikkelsen taciturne et grave, qui impose physiquement une atmosphère pathétique et désespérée, comme si la loose de son retour lui collait viscéralement à la peau. Cette tonalité spartiate compresse toute particule de vitalité et nous enfonce inéluctablement dans les sables mouvant d’un David dont on est vite certain qu’il n’en sortira pas gagnant.

Bon, Frank Zito, les mélodrames, c’est pas vraiment sa came, aussi suivait-il l’histoire d’un œil distrait quand un renversement narratif vint soudain exciter ses pupilles. Une bascule qui nous renvoie directement du côté des Body snatcher. Immédiatement le rythme s’emballe un peu, le film sortant du sillon dans lequel il semblait s’enliser pour retrouver un peu d’air frais et agréablement paranoïaque. Tournant le dos au réalisme appuyé du début, le scénario part dans tous les sens, en empruntant certains virages aussi audacieux qu‘étonnants. Mais si l’écriture virevolte, la caméra et le score restent, eux, sérieux comme des papes. Ce faisant, ils ne permettent pas à l’histoire de se libérer de l’étreinte trop corsetée d’une mise en forme et d’un choix artistique particulièrement prudents, qui, s’ils font tout le sel de la surprise centrale, finissent aussi par l’étouffer à force de platitude.

En bref : Film d’une facture posée, presque trop sage, plus familière au mélodrame qu’au fantastique, The door se démarque du commun par un parti pris qui finit par le perdre. Axé autour d’une histoire solide, bien que déjà vue, il rate l’occasion de décoller à mi-parcours, moment que choisi le scénario pour s’emballer devant une caméra qui reste impassible, une photographie qui reste terne et des acteurs incapables de changer de registre aussi radicalement. Reste un film agréable, très bien foutu et dominé par un Mads Mikkelsen en cours de starification, mais à qui il manque la fantaisie que le scénario appelait de ses vœux. Du fantastique mesuré, interdit aux moins de 16 ans uniquement parce qu’ils s’y ennuieraient, et qui finalement va comme un gant à un palmarès de Gérardmer traditionnellement prudent et incapable de s’imposer comme une évidence.


dimanche 7 octobre 2012

Dernière séance



Réalisation : Laurent Achard 

Avec : Pascal Cervo, Charlotte Van Kemmel, Karole Rocher

Année : 2011

Dernère séance.
Structuré comme un Giallo de la belle époque, mais shooté à la sauce naturaliste, Dernière séance déroule son scénario terriblement Argentesque avec une douce sérénité. Au rythme de Sylvain, le placide ouvreur du Cinéma Empire -incarné par l’hypnotique Pascal Cervo-. Laurent Achard livre ici un Slasher movie bizarre autant qu’étrange. Film valise, il brasse tout autant les genres cinématographiques que les thématiques les plus profondes, dont la plus évidente se trouve être cette éclatante parabole sur la mort d’une certaine forme de cinéma. Indubitablement, Dernière séance attire l’œil, excite l’intellect, sort des sentiers battus, bref, s’affirme comme la promesse d’une expérience inédite.

D’autant que le réalisateur apporte à ce sous-genre sa patte auteurisante. Ces plans fixes sur une majorette mal dégrossie ou un karaoké pathétique étiré jusqu’à en devenir touchant font mouche. Les meurtres à l’arme blanche, ainsi que le fétichisme appuyé un peu moins. Car malgré toutes ses incroyables qualités et son ambition folle, Dernière séance s’englue aussi parfois dans son cadre provincial, perd de sa puissance lors de scènes anesthésiantes. Depuis sa position de voyeur, Sylvain nous attire mollement dans sa succession d’agonies, son kaléidoscope référentiel s’attardant parfois un peu trop du côté de Jean Rollin. Comme si Laurent Achard en avait gardé sous la semelle. Comme s’il avait eu peur de sa folle audace. Dernière séance, après avoir fasciné, finit donc par sembler un peu trop commun, un comble pour une telle entreprise. Au final, on aurait vraiment souhaité l’aimer plus, cet OVNI cinéphile et passionné. On se contentera de l’aimer beaucoup. 

lundi 1 octobre 2012

the fighter


Réalisation : David O. Russell

Avec : Mark Wahlberg, Christian Bale, Amy Adams

Année :  2010

The fighter
Biopic désiré par l’inexpressif Mark Wahlberg, qui a mis des années à monter son projet, The Fighter sentait fort le film de vestiaire hollywoodien, avec ses codes hérités de Rocky, c’est-à-dire de longs entrainements intensifs moulés dans des joggings improbables, des combats millimétrés avec leur lot de défaites injustes et de victoires à l’arrachée, sans oublier l’incontournable fond social un brin revanchard, bref un film de boxe gavé d’hormones, d’adrénaline et de souffrance. Et si c’est exactement ce qu’il est, cela ne gâte en rien le plaisir, car cette chronique d’un champion un peu looser, étouffé par une mère intrusive et le culte d’un frère qui eut jadis son heure de gloire en mettant à terre Sugar Ray Léonard, frappe aussi surement que les crochets aux côtes de Micky Ward.

D’abord en mettant en scène sa fratrie irlandaise envahissante, menée d’une main de fer par une mère-manager castratrice, assistée par sa ribambelle de filles désœuvrées qui n’hésitent pas à y aller du coup de poing si le besoin s’en fait sentir. Mais c’est aussi ce frère défoncé et fort en gueule qui occupe le terrain et écrase Micky de par sa personnalité extravertie. Le scénario, extrêmement bien travaillé tisse la toile de relations pleines de contradictions, dans laquelle Micky ne peut s’accomplir en tant que personne, piégé par des liens familiaux sincères, et écrasé par une logique qui le dépasse en tant qu’individu.

The Fighter s’impose avant tout comme un film d’acteur avant d’être celui d’un réalisateur, même si ce dernier en privilégiant l'aspect documentaire lui donne une plus value certaine. Mais c’est en s'appuyant sur l'opposition de style entre le musculeux et effacé Mark Whalberg, dont l’unique expression, indéchiffrable, colle à la perfection à son personnage et Christian Bale, impressionnant dans le rôle de cet ex-champion addict au crack qui capitalise dans son bled la sympathie acquise lors d’un combat mémorable, que The Fighter remporte la mise. L’un a le pied léger, l’autre une frappe lourde, Dicky est volubile et pipeauteur quand Micky est impassible et correct en affaire. Le contraste fonctionne à plein pot et donne tout son relief au film.

Comme à son habitude, Bale est transformé physiquement, mais pas pour l’esbroufe, non, seulement pour « être » son personnage. Dire que sa statuette est mérité est un euphémisme tant il porte le film sur ses épaules, catalyseur de toutes les émotions qui passent à l‘écran, faisant passer le film du rire aux larmes avec une authenticité déconcertante.

Tous les acteurs d’ailleurs sont parfaits, Mélissa Léo, en mère extravagante ayant aussi reçu les honneurs des oscars pour son rôle. Terriblement humains, ils font la jonction avec Rocky, qui avant de parler de boxe, exprimait aussi la misère, les banlieues pourries et les beguins touchants. Mélodrame avant d’être film d’action, la recette, trente ans plus tard, est resservie avec ce même amour du travail bien fait. C'est pourquoi The fighter sent aussi la sueur, l’entrainement, la musculation, nous montre ses enchaînement crochet, direct, uppercut, haut, bas, sac de frappe, visage, foie. Les vestiaires miteux, les gants usés, les rings aux cordes fatiguées, les rounds qui n’en finissent pas de voir le sang gicler. Et comme pour Balboa, on espère que tout cela mènera à la victoire, nous fera exploser de joie pour ces protagonnistes décalés qui méritent tellement de s’en sortir.

En bref : Film de mâles dominés par les femmes, The Fighter vaut avant tout par des acteurs parfaitement utilisés, avec en tête de gondole un Christian Bale en tout point impressionnant, qui fait de son second rôle le pivot de ce biopic Balboesque, finement écrit, qui nous arrache des émotions contradictoires, à l'image de cette drôle de famille, tout à tour vulgaire et possessive, attachante et protectrice. Mélo, il n'oublie pas d'être aussi un putain de film de ring. Bref, du tout bon qui fait se lever de son siège à chaque coup de gong.