dimanche 1 septembre 2013

Bulle : Une trilogie anglaise


Auteurs : Floc’h & Rivière

Une trilogie anglaise rassemble les trois premières apparitions du duo formé par Francis Albany, critique littéraire célèbre, et Olivia Sturges, romancière, qui sont amenés à vivre des aventures dont-ils ne sont curieusement pas toujours les héros. Dans le rendez vous de Sevenoaks, un romancier célèbre se rend compte que tous ses ouvrages ont déjà été écrits par un énigmatique auteur. Le dossier Harding voit l’éditeur d’Olivia Sturges assassiné dans des conditions particulièrement mystérieuses, quand La recherche de Sir Malcom nous embarque dans les calles du Titanic pour y revivre un trauma d’enfance éprouvant refoulé par Francis Albany…

Dès les premières planches de la bande dessinée, on est sous le charme. Flo’ch illustre avec une délicatesse de trait toute britannique les histoires ultra référencées de Rivière. Baignée dans les catacombes de la littérature mi-policière mi-fantastique, hantée par les souvenirs de lecture d’Agatha Christie et les films d’Alfred Hitchcock, l’osmose entre la fantaisie datée du scénariste et le classicisme de Flo’ch est parfaite. Volontairement tournés vers les archétypes du genres, ils mettent en scène des majordomes, aubergistes, inspecteurs et secrétaires dans des décors début XXème siècle particulièrement confortables, faisant appel à nos souvenirs d’enfance les plus douillets. Et ce n’est pas la ligne claire de l’illustrateur, inspirée par l’école belge et les albums les plus fantastiques de Tintin ou de Blake et Mortimer qui va bousculer cette sensation étrange de familiarité.

Familiarité d’où né un certain décalage. Si tout semble monté sur des rail parfaitement huilés, les récits sont plus matures et ambigus que ceux d’Hergé et de Jacobs. Leur construction est particulièrement complexe, Rivière usant de la mise en abîme, de l’ellipse et du non-dit avec subtilité, ici prompte à perdre un enfant. Car le lecteur visé est adulte, et s’il a baigné dans ses références délicieuses, il doit pouvoir se régaler d’une structure plus complexe, moins manichéenne.

Cheval de Troie de ce dynamitage de l’intérieur : les héros même d’Une trilogie anglaise. N’allez surtout pas chercher d’empathie immédiate chez Francis Albany et Olivia Sturges. Mondains jusqu’au bout des ongles, agréables sans être attachants, ils apparaissent froids et distants, leurs personnalités complexes se révélant dès l’introduction, cet "A propos de Francis" en forme d’éloge funèbre distancié d’Olivia à un homme dont on a du mal à cerner quel était le degré d’intimité de leurs relations.

Aisés, déconnectés des difficultés de la vie, pas aussi efficaces qu’on pourrait l’imaginer, ils se détournent très nettement des héros d’Agatha Christie, car si petites cellules grises il y a, elles ne sont pas particulièrement performantes. Le génie tenant dans le fait que cet élément n’est à aucun moment souligné. Nos protagonistes traversent leurs aventures le plus souvent comme spectateurs, témoins de passage parfois, voire éléments de fond quasi décoratifs. La narration ainsi troublée crée ce décalage singulier difficile à dépasser pour le lecteur hypnotisé par l’extrême clarté des références et du trait. Alors bien sûr, il y a des strangulations et des meurtres, tout cela se déroule dans des manoirs où l’on sirote un bourbon en se remémorant sa dernière partie de tennis, mais les sentiments ambivalents, raffinés, laissés à l’appréciation du lecteur, en font un spectacle plus proche de la littérature contemporaine que de la bande dessinée, et nous donne l’impression d’avoir eu entre nos mains un album d’Hergé scénarisé par Kundera.

En bref : Hybride né des souvenirs de lecture de ses auteurs, érudit, générationnel et étrangement ambivalent, Une trilogie anglaise met en scène des héros qui n’en sont pas, ainsi que des enquêtes en forme de trompe-l’œil qui ne se trouvent jamais là où on les attend. Délicatement transposée sur des planches à la ligne claire et familière, ornementée d’histoires de rêves prémonitoires et de moustaches postiches, baignée dans un univers littéraire qui se trouve être la clef de toutes les énigmes, Flo’ch et Rivière, s’ils ont pensé leur œuvre en s’appuyant sur l’innocence de leur passé de lecteur, la font mûrir pour nous signifier que cette époque est bel et bien révolue, si tant est qu’elle n‘ait jamais existé. Ludique et sophistiqué.

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