vendredi 10 mai 2013

livre : Que font les rennes après noël ?

Auteur : Olivia Rosenthal

Dans Que font les rennes après noël ?, superbe titre du dernier roman d‘Olivia Rosenthal, il est question d’émancipation dans quatre temps de la vie d’une femme, depuis les premiers désirs refoulés, ici la volonté obsessionnelle de vouloir adopter un animal, jusqu’à l’âge adulte et son affranchissement de ce fantasme castrateur d’une humanité définie par sa raison au mépris de son corps…

Succès critique unanime, Que font les rennes après noël ? se distingue d’abord par un style particulier proche de la description clinique. Vouvoiement censé mettre une distance avec l’enfant vu comme un sujet d’analyse scientifique. Personnages fonctions qui ne sont pas nommés. Utilisation de gimmicks qui se répètent inlassablement, comme une litanie (« Vous êtes contaminée » «l’homme est un loup pour l’homme», «Vous vous réveillez » etc.) . Cette technique extrêmement cadencée, prend le risque du morcellement et de la martialité. Aux paragraphes découpés en forme de saynètes lapidaires succèdent des passages documentaires, avec pour chaque chapitre sa profession : le dresseur de loup, le gardien de zoo, le laborantin et le boucher, vision de moins en moins romantique du rapport de l’homme à l’animal, qui accompagne la désillusion permanente de l’héroïne, ou plutôt du sujet d’étude.

Hélas, cette mécanique parfaitement huilée, jouant l’alternance millimétrée, la répétition et la distance peut laisser le lecteur à la porte de l’œuvre. Que font les rennes après noël ? pourtant court et aéré, assomme. Les segments se font écho sans qu’il y ait toujours pertinence, mus par la seule volonté de ne pas dévier d’un canevas prévu à l’avance. Ce dispositif aussi rigide que pénible est d’autant plus dommageable que la thèse soutenue est passionnante.

Car le regard singulier d’Olivia Rosenthal apporte autant qu’il dérange. Qu’il s’agisse de la férocité des relations familiales, de son interprétation de la vie en société ou de ses parallèles entre expériences animales et éducation, tout est matière à troubler le lecteur. La démonstration est implacable, comparable aux travaux d’un Henri Laborit. Seulement le procédé d’hybridation avec le roman est trop corseté et superficiel pour entraîner l’adhésion totale. En témoigne cette exégèse particulièrement redondante et usante de La Féline, qui nous fait sombrer dans la lassitude de ses redites quand le film de Tourneur était parfaitement ajusté à sa démonstration.

En bref : Avec son ouvrage sec, haché et à la mécanique trop contraignante, Olivia Rosenthal nous délivre une réflexion sur l'affranchissement qui va crescendo dans la barbarie, débutant par le désir d’appropriation de la bête pour finir sur des visions de carcasses coupées en deux. Si l’on résiste à son dispositif épuisant, on y découvrira que le monde des hommes est génétiquement bestial, de celui qui nous amène à dépecer les rennes après noël pour s'en régaler avec voracité. Indigeste et brillant à la fois. A découvrir.

jeudi 9 mai 2013

Black sheep

Réalisation : Jonathan King

Avec : Nathan Meister, Peter Feeney, Tammy Davis

Année : 2008     Durée : 1h27      Pays : Néo Zelandais

Henry, jeune homme avinophobe, revient sur les conseils de sa psychologue à la ferme de son enfance, après des années d’exil en ville, afin de revendre ses parts de l’exploitation familiale à Angus. Mais à la suite d’expériences génétiques contre nature, les moutons vont se retourner contre leurs maîtres…

Black very cheap
Dès la scène d’ouverture c’est l’indisposition : caractérisation sensément loufoque mais réellement tarte, scénario alibi à seule vocation d’exploitation, musique à flonflon proprement insupportable et mise en scène de type téléfilm destiné aux plus jeunes. Alors bien sûr les moutons transgéniques sont là. Comme prévu, ils conduisent des voitures, klaxonnent, baisent, pètent, rotent, rien ne les arrêtent. Et c’est bien ça le problème : la vulgarité crasse d’un ensemble prévisible qui n’assumera jamais ce qu’il aurait voulu être.

Car si la nouvelle Zélande a déjà accouché des chefs d’œuvre de mauvais goût Bad Taste et Brain Dead, ici vous ne verrez rien de tout cela. On a plutôt affaire à un film d’étudiant qui se trouve irrésistible avec sa bonne blague du coussin péteur alors qu’il est seulement bien relou. C’est ce décalage énorme entre les prétentions de Jonathan King et la réalité de son film qui en fait une bobine exaspérante. Ni film familial, ni comédie, ni parodie de film d’horreur, ni fable écolo et moins encore nanar gore, Black Sheep ne s’adresse de fait à aucun public.

De leur côté les acteurs font ce qu’ils peuvent pour faire exister des personnages à la définition si grossière qu’elle les rend grotesques Tous s’échinent à multiplier les mimiques, rouler des yeux comme des billes, poser leurs dialogues de sitcom en donnant l’impression d’attendre les rires enregistrés. Seul Peter Feeney, dans le rôle du frère agronome fou à tendance zoophile, avec son sens de l’humour particulier, son physique carré et sa composition solide sauve le mobilier quand Black Sheep sombre dans l’ennui que génère son manque de maturité et sa pesanteur involontaire.

En bref : Pour avoir shooté son film à la sauce infantilisante de Chris"Maman j’ai raté l’avion"Columbus alors qu’il lorgnait à l’évidence dans la direction d’Edgard"Shaun of the dead"Wright, Jonathan King rate complètement sa cible et nous offre un film vieillot et ringard, indigne d’une mauvaise pellicule des eighties dont il n’effleure jamais le charme. Une nullité qui n’a existé que grâce à son synopsis viral et qui est retombé depuis dans un oubli bien mérité. Dispensable.


samedi 4 mai 2013

Rock'n'roll secours, concert : Vulain + Incry


Hardeux dans une autre vie, c’est avec stupeur que Frank Zito apprit la reformation du cultissime Vulcain. Et comme une bonne nouvelle n’arrive jamais seule, les anciens protégés de Motörhead débarquaient sur la côte le soir même. Ni une ni deux, il se rua dans le grenier, comme habité par de vieux démons, enfila son perfecto bouffé par les mites, ses gants à clous et sa ceinture cartouchière, lâcha des cheveux qu’il avait encore longs et entraîna une Madame Zito relookée Girlschool à l’arrière de sa Harley, sur son sissy bar à tête de mort. Car Vulcain, pour les nostalgiques de la grande époque du métal, c’est un peu la pleine lune pour les loups garous, un appel irrésistible, même s’il faut avouer que ni Frank, ni Madame Zito ne savaient trop où ils mettraient les pieds : ils n’avaient tout simplement pas le choix.

Incry met ses émotions sur le tapis
Vous dire leurs gueules quand ils se retrouvèrent dans une salle presque comble devant Incry, groupe de métal contemporain, au gros mur de guitares et à l’aspect étonnamment bricolé. Devant un géant peroxydé féru de body building, dont l’allure générale n’était pas sans rappeler celle d’un tueur en série scandinave. Une voix à la Bernie Bonvoisin et des paroles un peu limites. La douche froide instantanée. Car c’est bien sympa, la nostalgie, mais ça fait oublier qu’on n’est pas forcément le bon public au bon endroit. D’ailleurs l’odeur de naphtaline collée au blouson de Frank commençait à l’incommoder quand Madame se disait que le slim en cuir acheté en vitesse pour l’occasion lui boudinait peut-être un peu trop les fesses. Pourtant même s’ils étaient difficiles à prendre au sérieux, personne n’a eu envie de tirer sur l’ambulance. Car Incry est aussi le symbole de la scène métal en général, occupé par des types sincères, des musiciens pointus, à la technique irréprochable. Des gars qui se soucient de leur public et donnent tout pour lui plaire. Qui n’ont honte de rien et mettent leurs émotions sur le tapis. Rien que pour cela, Incry méritait qu’on leur tire notre chapeau.

Une odeur de souffre
Toutefois, le doute s’était un peu insinué. Et si Vulcain, ça allait être ridicule ? Un truc daté, gênant, irracontable ? Et si le fils des volcans était devenu grotesque avec sa foudre et sa force métallique ? C’est à ce moment précis que les frères Puzio et Marc Varez traversèrent la salle, laissant traîner derrière eux cette odeur de souffre si caractéristique au Rock’n’roll. Des dégaines pas croyables, des gueules pas racontables, une attitude de seigneur, ils investirent la scène sous les vivats d’une foule soudain ragaillardie pour balancer la sauce sans sommation avec un « vulcain » qui sonna comme une déflagration atomique. Pas de posture, simplement heureux d’être là avec nous, comme une évidence, ils enchaînèrent les titres, le plus souvent tirés de l’indétrônable « Rock’n’roll secours ». Comme autant de bombes jetées à la face des sceptiques, tout ce qu’ils touchent se transforme en fonte. Ebony, L’Enfer, Pile ou Face, titres bruts de décoffrage joués avec une urgence ahurissante. Pas de nostalgie ici, juste un putain de groupe qui joue du rock hors d’âge. Daniel pose sa voix rocailleuse sans jamais fatiguer, et enchaîne des solis d’une précision chirurgicale, quand son frère mitraille le public avec sa basse et que Marc martèle comme un forgeron des fûts que l’on imagine indestructibles.

La romance de vulcain
On s’époumone sur Les Damnés, on lève le majeur sur Fuck the police, on joue les chorus sur Black Silex. Les doigts se font cornus, on sue, on pleure on rit. Les 100 000 volts que dégage le groupe nous transpercent de part en part. On n’a plus d‘âge. On n’est que sensation. Et puis arrive l’incroyable rappel. Un Rock’n’roll secours qui déchire tout sur son passage, une rythmique folle, une furie d’autant plus intense que l’on sent la fin proche. Vulcain nous met à genoux ! Grandiose… Et comme tout a une fin, ils reviennent une dernière fois distiller une digue du cul rigolarde, véritable Madeleine de Proust offerte à un public qui l’appelait de ses vœux. Une rengaine que tout le monde entonne, comme des amis à la fin d’un banquet dont on sort repu... Puis Vulcain s’en va, et nous laisse seul. Pourtant quelque chose a changé, comme s’ils avaient réactivé une petite musique, de celle qui vous rend plus fort, qui vous donne un puissant sentiment d’appartenance. Une fredaine communautariste. Celle de la romance de Vulcain. Avec comme seul mot d’ordre pour ses esclaves : Servir son Nom ! Une tuerie !