Dans Que font les rennes après noël ?, superbe titre du dernier roman d‘Olivia Rosenthal, il est question d’émancipation dans quatre temps de la vie d’une femme, depuis les premiers désirs refoulés, ici la volonté obsessionnelle de vouloir adopter un animal, jusqu’à l’âge adulte et son affranchissement de ce fantasme castrateur d’une humanité définie par sa raison au mépris de son corps…
Succès critique unanime, Que font les rennes après noël ? se distingue d’abord par un style particulier proche de la description clinique. Vouvoiement censé mettre une distance avec l’enfant vu comme un sujet d’analyse scientifique. Personnages fonctions qui ne sont pas nommés. Utilisation de gimmicks qui se répètent inlassablement, comme une litanie (« Vous êtes contaminée » «l’homme est un loup pour l’homme», «Vous vous réveillez » etc.) . Cette technique extrêmement cadencée, prend le risque du morcellement et de la martialité. Aux paragraphes découpés en forme de saynètes lapidaires succèdent des passages documentaires, avec pour chaque chapitre sa profession : le dresseur de loup, le gardien de zoo, le laborantin et le boucher, vision de moins en moins romantique du rapport de l’homme à l’animal, qui accompagne la désillusion permanente de l’héroïne, ou plutôt du sujet d’étude.
Hélas, cette mécanique parfaitement huilée, jouant l’alternance millimétrée, la répétition et la distance peut laisser le lecteur à la porte de l’œuvre. Que font les rennes après noël ? pourtant court et aéré, assomme. Les segments se font écho sans qu’il y ait toujours pertinence, mus par la seule volonté de ne pas dévier d’un canevas prévu à l’avance. Ce dispositif aussi rigide que pénible est d’autant plus dommageable que la thèse soutenue est passionnante.
Car le regard singulier d’Olivia Rosenthal apporte autant qu’il dérange. Qu’il s’agisse de la férocité des relations familiales, de son interprétation de la vie en société ou de ses parallèles entre expériences animales et éducation, tout est matière à troubler le lecteur. La démonstration est implacable, comparable aux travaux d’un Henri Laborit. Seulement le procédé d’hybridation avec le roman est trop corseté et superficiel pour entraîner l’adhésion totale. En témoigne cette exégèse particulièrement redondante et usante de La Féline, qui nous fait sombrer dans la lassitude de ses redites quand le film de Tourneur était parfaitement ajusté à sa démonstration.
En bref : Avec son ouvrage sec, haché et à la mécanique trop contraignante, Olivia Rosenthal nous délivre une réflexion sur l'affranchissement qui va crescendo dans la barbarie, débutant par le désir d’appropriation de la bête pour finir sur des visions de carcasses coupées en deux. Si l’on résiste à son dispositif épuisant, on y découvrira que le monde des hommes est génétiquement bestial, de celui qui nous amène à dépecer les rennes après noël pour s'en régaler avec voracité. Indigeste et brillant à la fois. A découvrir.