lundi 25 novembre 2013

L'enfer mécanique- the car


Réalisation : Elliot Silverstein

Avec : James Brolin, Kathleen Lloyd, John Marley


Année : 1977                  Durée : 1h37                Pays : U.S.A.


"Ô grands frères de la nuit,
Qui avez survolé les vents chauds de l’enfer,
Qui avez demeuré dans l’antre du démon :
Manifestez-vous !"

Il fallait bien en exergue une strophe de la bible satanique d’Anton La Vey pour comprendre à quoi on allait avoir à faire. Tirons grossièrement le trait : L’enfer mécanique est à l’enfer ce que le Camping-car est au Carlton : une extension de service plus ou moins représentative de ce que l’on peut attendre d’un palace. Dans le cas de L’enfer mécanique, on va dire que c’est plutôt moins, sauf à penser que l’enfer est un endroit particulièrement surestimé, ce que nous ne pouvons totalement exclure.

Bref, L’enfer mécanique est une berline noire customisée, basse de plafond, au moteur qui ronfle comme un soufflet de forge, qui klaxonne de contentement à chaque fois qu’elle écrase un pauvre type, mais aussi et surtout qui est très, très susceptible, ce qui fera le malheur de l’une des héroïnes du film, ainsi qu’une des plus belles scènes de The Car.

Face à la berline diabolique, une paisible bourgade du Nouveau-Mexique comme on en croisait beaucoup dans le cinéma de cette époque. Une communauté joyeuse et saine, limite hippie, qui a tout du cadre de vie idéal fréquenté par la famille Ricorée et leurs cousins Nutella. Tout le monde y est aimable, souriant, bon vivant à l'exception d'un aigri qui bat sa femme et tombe sur ses gosses. Cette longue mise en place narrative est d'ailleurs l'un des point fort de ce film qui accuse aujourd'hui plus de trente ans d'âge.

Second point fort : le bureau du sheriff de Thomas County, avec ses dizaines de policiers pour une bourgade famélique. Habitués à mettre des contraventions et à régler des affaires domestiques, les morts qui s’accumulent soudain font s’écrouler sous leurs yeux terrifiés toutes leurs certitudes. Et c’est comme s’ils se prenaient l’armoire sur la figure : tour à tour ahuris, abattus ou frustrés, ils multiplient les plans foireux, les barrages percés et les duels perdus d’avance dans le plus grand désordre. Trop entraînés à picoler en
cachette et à bronzer sur le capot de leur véhicule de fonction, notre cheptel d’agents assermentés est d’une telle nullité qu’il lui faudra in-fine le secours du seul citoyen bête et méchant de Thomas County pour venir à bout de l’ignoble Enfer Mécanique, qui de son côté aura méthodiquement pourri l’ambiance de la congrégation. Imperturbable, elle soulève la poussière sur son chemin, dérange les répétitions de la fanfare locale, met à terre fanions et trompettes et va jusqu'à jouer méchamment au chat et à la souris avec les majorettes.

S’il a affreusement mal vieilli, The Car n’est jamais ennuyeux, un point qui rend sa revoyure passionnante, en plus du rapprochement évident à faire avec Rubber. Depuis les plans subjectifs collés aux pneus, bitume et pare-chocs, jusqu’à l’équipe de policiers particulièrement inefficaces, en passant par les bruitages qui accompagnent la voiture, tout ce qui fait la trame du non-film de Quentin Dupieux est là, le non-sens inclus. Étonnant.

En bref : The Car est un film étrange et attachant qui se trouve à cheval entre Duel et Christine sans jamais se placer au même niveau. Le temps a rendu ses effets spéciaux désuets, sa mise en scène trop sage ne fait pas le poids face à l’immense réalisation de Spielberg, et son caractère inoffensif fait bien pâle figure devant la cruauté du film de Carpenter. Pourtant sa peinture d’une communauté naïve rend nostalgique, tout comme son absence d’ironie, ses flics dépassés par les évènements, son sens du rythme et son final à la Tex Avery qui font de L’enfer mécanique un titre qui se revoit avec un plaisir aussi coupable que sincère.



lundi 18 novembre 2013

Le possédé : Préquelle d'Amityville



Réalisation : Damiano Damiani

Avec : Burt Young, Rutanya Alda, James Olson

Année : 1982     Durée : 1h40       Pays : USA

Suite du surcoté et sympathique Amityville, Le possédé s’avère en fait en être la préquelle, Damiano Damiani s’attachant à raconter le massacre originel qui avait inspiré la légende entourant cette macabre demeure. Faisons un retour rapide dans le passé pour se remémorer les faits : en 1977 sort le livre Amityville, la maison du diable qui témoigne de l’existence d’une maison hantée dont les occupants semblent maudits, enracinant les fait jusqu’au temps de la chasse aux sorcières. Les Lutz, qui l’occupent alors et participent activement au livre, se plaignent d’évènements paranormaux, d’odeurs pestilentielles et de présences invisibles qui finissent par les pousser à fuir après leur avoir ôté le sommeil durant de longs mois.

Pipeautage presque absolu, le livre vérité fait recette, la maison hantée devient légende, Stuart Rosenberg en tire un film au succès mondial, sobre, inquiétant et parfois un peu rasoir, à l’authenticité validée par le massacre, en 1974, de toute sa famille par Ronald Defeo. Armé d’une carabine, il abat froidement ses frères et sœurs, ainsi que ses parents, avant d’être arrêté et de plaider la folie. Cette nuit, une voix lui aurait intimé l’ordre de les attraper et de les tuer. Le plus jeune de ses frères avait neuf ans. 

Pour la génération de Frank Zito, cette histoire était de celles que l’on se racontait pour se s‘empêcher de dormir, le soir, quand le bois des maisons grinçait et que les lueurs de la nuit faisaient glisser le long des murs des ombres torturées indéfinissables. Fantasme d’autant plus inquiétant qu’il s’imaginait alors enfermé dans le grenier du 112 Ocean Avenue, derrière ses fenêtres rougissantes symboles absolus des yeux du diable.


Mais alors que l’original, appuyé sur l’histoire fantaisiste des Lutz, donnait dans le réalisme froid, Tomy Lee Wallace torche un scénario aussi excessif que fantastique autour de l’histoire pourtant vraie du massacre de la famille Defeo (devenue ici les Montelli). Le réalisateur des baroques Halloween III et Vampire, vous avez dit vampire II livre une histoire en deux parties bien distinctes, que le vieux faiseur rital semble s’être fait un plaisir de mettre en images.

Occupons nous d’abord de cette première heure durant laquelle nous assistons à l’arrivée des Montelli, à la malédiction qui frappe l’aîné, Sonny, et l’entraîne à tuer toute sa famille. Très bien tenue, assez tendue et malsaine, cette partie s’avère presque supérieure à La maison du diable. D’abord parce que le fantastique y est plus exubérant, l’esprit maléfique étant incarné par des travellings de caméra qui rappellent que la révolution Evil dead vient de passer par là, même s’il donnent ici l’impression de voir du Sam Raimi sous lexomil. L’efficacité est bien au rendez-vous : esprit frappeur, souffle maléfique, yeux exorbités, lévitation, fenêtres qui claquent, mutation physique, rien ne manque vraiment à l‘appel.

Et si Burt Young donne le minimum en père bourru, rôle qui pourtant lui colle à la peau comme un collant de ballerine depuis Rocky, Jack Magner (Sonny) et Diane Franklin (Patricia) livrent de leur côté une performance remarquable. Car ce qui fonctionne le mieux, trente ans plus tard, c’est cette destruction méthodique de la cellule familiale, ici vécue par le spectateur de façon douloureuse tant elle est malsaine. L’inceste subit et accepté par Patricia donne tout son sens au caractère lubrique de l’esprit qui gît dans les sous-bassements d’Amityville. On étouffe en redoutant le pire. Pire qui finit par arriver. Remarquable.
 
Sauf qu’il reste quarante minutes de bobine après le massacre. Et alors là, c’est la fête à la saucisse. Fini Amityville, place à un L'exorciste discount et interminable, mâtiné de films de procès et de gore bricolé. L’histoire par en vrille, les couleurs se font criardes, de la fumée sort d’un peu partout, la réalisation nous la joue baroque à tous les étages, tandis que le père Tom fait n’importe quoi pour colmater les brèches d’un scénario soudain interprété par des acteurs de seconde zone qu’on croirait tous affublés de postiches. Grimaces, déformations pas formidables, musique d’ambiance omniprésente, dialogues vasouillards et rebondissements loufoques, Le possédé ne sait plus où il va, gesticulant tristement jusqu’à une fin ultra prévisible qui nous fait presque oublier qu’avant tout cela, il y avait eu un film. Dommage.

En bref : Préquelle d’Amytiville, Le possédé narre l’histoire vraie du massacre perpétré dans la petite bourgade d’Amityville, et accessoirement à l’origine du mythe. Jack Magner, dans le rôle de Sonny, en fait des caisses, grimace beaucoup, mais dès qu’il s’agit de se faire malsain en jouant avec les sentiments de sa sœur, trouve alors le ton juste. D’autant que Diane Franklin (Patricia), en jeune fille folle de son frère au point d’envisager l’inceste pour le soulager de ses souffrances, est exceptionnelle. Damiano Damiani apporte son savoir faire et toute la démesure italienne à l’ouvrage. Hélas, Le possédé se retrouve, par un effet de scénario mal contrôlé, coupé en deux : une heure de malédiction suivi de quarante minutes d’exorcisme ringard qui se traîne de cours de justice en église, et finit par virer pantalonnade, voire zèderie ritale à la Lamberto Bava. Déséquilibré, il finit par se casser la gueule, non sans avoir réussi dans sa première partie à souffler l’haleine fétide du démon. A revoir.




dimanche 1 septembre 2013

Bulle : Une trilogie anglaise


Auteurs : Floc’h & Rivière

Une trilogie anglaise rassemble les trois premières apparitions du duo formé par Francis Albany, critique littéraire célèbre, et Olivia Sturges, romancière, qui sont amenés à vivre des aventures dont-ils ne sont curieusement pas toujours les héros. Dans le rendez vous de Sevenoaks, un romancier célèbre se rend compte que tous ses ouvrages ont déjà été écrits par un énigmatique auteur. Le dossier Harding voit l’éditeur d’Olivia Sturges assassiné dans des conditions particulièrement mystérieuses, quand La recherche de Sir Malcom nous embarque dans les calles du Titanic pour y revivre un trauma d’enfance éprouvant refoulé par Francis Albany…

Dès les premières planches de la bande dessinée, on est sous le charme. Flo’ch illustre avec une délicatesse de trait toute britannique les histoires ultra référencées de Rivière. Baignée dans les catacombes de la littérature mi-policière mi-fantastique, hantée par les souvenirs de lecture d’Agatha Christie et les films d’Alfred Hitchcock, l’osmose entre la fantaisie datée du scénariste et le classicisme de Flo’ch est parfaite. Volontairement tournés vers les archétypes du genres, ils mettent en scène des majordomes, aubergistes, inspecteurs et secrétaires dans des décors début XXème siècle particulièrement confortables, faisant appel à nos souvenirs d’enfance les plus douillets. Et ce n’est pas la ligne claire de l’illustrateur, inspirée par l’école belge et les albums les plus fantastiques de Tintin ou de Blake et Mortimer qui va bousculer cette sensation étrange de familiarité.

Familiarité d’où né un certain décalage. Si tout semble monté sur des rail parfaitement huilés, les récits sont plus matures et ambigus que ceux d’Hergé et de Jacobs. Leur construction est particulièrement complexe, Rivière usant de la mise en abîme, de l’ellipse et du non-dit avec subtilité, ici prompte à perdre un enfant. Car le lecteur visé est adulte, et s’il a baigné dans ses références délicieuses, il doit pouvoir se régaler d’une structure plus complexe, moins manichéenne.

Cheval de Troie de ce dynamitage de l’intérieur : les héros même d’Une trilogie anglaise. N’allez surtout pas chercher d’empathie immédiate chez Francis Albany et Olivia Sturges. Mondains jusqu’au bout des ongles, agréables sans être attachants, ils apparaissent froids et distants, leurs personnalités complexes se révélant dès l’introduction, cet "A propos de Francis" en forme d’éloge funèbre distancié d’Olivia à un homme dont on a du mal à cerner quel était le degré d’intimité de leurs relations.

Aisés, déconnectés des difficultés de la vie, pas aussi efficaces qu’on pourrait l’imaginer, ils se détournent très nettement des héros d’Agatha Christie, car si petites cellules grises il y a, elles ne sont pas particulièrement performantes. Le génie tenant dans le fait que cet élément n’est à aucun moment souligné. Nos protagonistes traversent leurs aventures le plus souvent comme spectateurs, témoins de passage parfois, voire éléments de fond quasi décoratifs. La narration ainsi troublée crée ce décalage singulier difficile à dépasser pour le lecteur hypnotisé par l’extrême clarté des références et du trait. Alors bien sûr, il y a des strangulations et des meurtres, tout cela se déroule dans des manoirs où l’on sirote un bourbon en se remémorant sa dernière partie de tennis, mais les sentiments ambivalents, raffinés, laissés à l’appréciation du lecteur, en font un spectacle plus proche de la littérature contemporaine que de la bande dessinée, et nous donne l’impression d’avoir eu entre nos mains un album d’Hergé scénarisé par Kundera.

En bref : Hybride né des souvenirs de lecture de ses auteurs, érudit, générationnel et étrangement ambivalent, Une trilogie anglaise met en scène des héros qui n’en sont pas, ainsi que des enquêtes en forme de trompe-l’œil qui ne se trouvent jamais là où on les attend. Délicatement transposée sur des planches à la ligne claire et familière, ornementée d’histoires de rêves prémonitoires et de moustaches postiches, baignée dans un univers littéraire qui se trouve être la clef de toutes les énigmes, Flo’ch et Rivière, s’ils ont pensé leur œuvre en s’appuyant sur l’innocence de leur passé de lecteur, la font mûrir pour nous signifier que cette époque est bel et bien révolue, si tant est qu’elle n‘ait jamais existé. Ludique et sophistiqué.

mardi 6 août 2013

Série : The misfits saison 2, encore plus fou !!!


Créé par : Howard Overman

Avec : Robert Sheehan, Lauren Socha, Nathan Stewart Jarrett

Année : 2010         Pays : GB

The misfits saison 2.
Laissés sur les genoux par un denier épisode aussi puissant que foireux, où nos délinquants aux pouvoirs mal maîtrisés semblent s’être perdus dans un entrelacs d’erreurs grossières, qui s’était soldé par quelques cadavres, dont deux superviseurs, les voilà donc de retour au centre municipal pour effectuer leurs derniers Travaux d’Intérêt Général, tenter d’échapper à l’étau qui se resserre autour de leur secret et accessoirement passer du statut de loser à celui de ligue de super héros respectables.


Pour ce faire, les scénaristes reprennent tous les ingrédients de la première saison en appuyant simplement plus fort sur le champignon, histoire de ne pas se laisser aller à la routine. Playlist toujours aussi distinguée, caractérisation gonflée aux hormones, hormones plus stimulées que jamais et sous intrigues amplifiées, Mysfists joue la surenchère pour passer à la vitesse supérieure, et ça marche.


Tatoueurs maléfiques, bon samaritain mystérieux, cacahuètes saveur kryptonite, télépathe lacté, gamer psychopathe, téléportations courtes distances, voyageur du futur, contacts extralucides, on trouve de tout et souvent n’importe quoi dans ce bric à brac de génie qui mêle les genres sans complexe, s’attaquant à des monuments du fantastique contemporain avec une désinvolture qui force le respect. Alors bien sûr, on y perd parfois en cours de route la cohérence d’une première saison mieux ordonnée, pourtant ce désir de tordre l’idée de départ, d’emprunter toutes les pistes que l’histoire propose, cette envie d’explorer à fond son concept avec générosité balaye toutes les réserves.


D’autant que loin de faire du sur place, ou de se laisser magnétiser par son propre délire scénaristique en forme de feux d’artifice, Misfits creuse les personnalités de nos cinq délinquants, approfondit leurs caractères, les fait évoluer, joue sur leurs contradictions, leurs faiblesses, les rend plus humains sans jamais céder à la facilité. Humains, mais toujours aussi graves, à l’image d’un Nathan immortel égocentré comme jamais, adepte d’auto-fellation et de badigeonnage lascif de crème solaire, il grimace, se gobe, agresse, choque et s’impose comme la véritable tête de gondole d’une série qui a décidé de jouer la carte de l’excès. Avec bonheur.


En bref : Six nouveaux épisodes émouvants, grossiers, subversifs et réjouissants à l’image de ces héros foutraques, aux supers pouvoirs utilisés n’importe comment pour faire le plus souvent n’importe quoi, véritables symboles d’une génération de dégénérés qui, soyons en sûrs, n’est pas encore prête de sauver le monde. Immature et génial.


vendredi 26 juillet 2013

Stupeflip au palais des festivals à Cannes


C’est appâté par un Hypnoflip Invasion qui redonne ses lettres de noblesse au concept album et clôture le triptyque de Stupeflip dans un rabâchage musical et thématique proprement hallucinatoire, que Frank et Madame Zito se sont bousculés afin d’assister à l’atterrissage du CROU venu instaurer l’ère du Stup sur une Côte d’Azur plus habituée au stupre.

Deux surprises avant l’invasion. D’abord la combinaison du soir, Stupeflip étant couplé à Saul Williams, dans une sorte de double affiche au sens douteux. Pris dans l’étau de la rentabilité et décomplexés par des festivals aux associations musicales pour le moins improbables, les programmateurs avaient donc décidé de remplir leur salle avec deux univers radicalement différents, et deux publics pas forcément faits pour coexister. Ensuite la localisation : l’antre même du palais cannois, le grand auditorium, avec accueil trois étoiles, smoking, nœud papillon et fauteuils de théâtre au rembourrage plus adaptés aux fessiers délicats des festivaliers qu’aux slips sur le crâne des stupfanatiques.


Bref. C’est un Saul Williams bondissant qui ouvre le feu avec une entame tonique, assez éloignée d’un dernier album chiant comme la pluie. L’homme slam par intermittence, crache un hip hop mâtiné de rock et de rap, mais malgré une prestation physique généreuse et techniquement impeccable, la set-list s’étiole pop, se ramolli au fil d’une performance qui aurait mérité la tête d’affiche et un public dévoué. Professionnel, accompagné par un groupe performant et sympathique, Saul Williams délivre ses messages brouillons avec la conviction d’un prêcheur méthodiste en transe, sans jamais convaincre un Frank Zito avalé au fil des minutes par la douceur de son fauteuil et bercé par le tambour ethnique que l’ex afro-punk devenu pop star utilise pour battre le rappel. Pourtant il n’y a aucun reproche à lui faire. Aussi quand madame finit par réveiller Frank, celui-ci applaudit-il à tout rompre l’honnêteté du travail bien fait, même si le cœur n’y aura jamais été.


Les yeux encore bouffis de fatigue, Frank scrute la salle où des clones de King Ju plus ou moins convaincants se rassemblent pour investir les premiers rangs en meuglant « Vengeance ! ». Et de vengeance il va être question tout au long d’un set particulièrement chiadé. Laissez tomber les critiques qui radotent que Stupeflip n’aime pas la scène, que le CROU se fout de son public comme de sa dernière chaussette, et que leurs concerts sont glauques et mous. Glauque, sans aucun doute, mais mous ?! Allez en toucher un mot à Cadillac et sa face de lune inversée, à King Ju et son bonnet troué enfoncé jusqu’à une bouche aux dents gâtées. Aucun doute, ces gars là ne calculent pas, ils vivent l’instant à fond. Dans le but d’en découdre, le CROU Stupeflip fait une entrée particulièrement mystique, drapé dans des toges lugubres, prend des poses aussi inquiétantes que grotesques. Le Sinode Pibouin n’est pas loin. L’heure est à la religion du Stup, et pour la grand messe, ils ont mis les petits plats dans les grands.


Scène obscure, masques de carnaval sordides, ambiance reloue, Stupeflip attaque avec « Les monstres ». Le son, tout en aspérité, gratte, crisse et craque. Et ceux pour qui le Stup se résume aux aimables ritournelles de Pop Hip d’en être pour leurs frais. L’ambiance est mortifère et hystérique. Le grand auditorium ressemble à l’antichambre de l’univers oppressant dépeint par le groupe depuis maintenant dix ans. Si la musique est toujours aussi barrée, l’inquiétude semble avoir dénaturé la recette de tarés. Fascinés, on suit donc ce premier chapitre anxiogène comme hypnotisés. Les titres s’enchaînent, les personnages entrent et sortent comme dans un Feydeau dégénéré aux décors crépusculaires. Comme convenu, le Stup fait vibrer le parquet.


Acte 2 : entrée en fanfare de Pop Hip. L’idole des jeunes, armé de son éternel enthousiasme et de sa gueule de ravi de la crèche, entonne ses titres rock’n’roll. L’ambiance s’apparente soudain à celle d’un bal de camping en plein mois d’août à Palavas les flots, mais avec ce grain de sable qui donne aux ritournelles de Pop Hip un goût bizarre, de celui qui finit par filer le bourdon. Bourdon qui reprend sa place après le meurtre abominable de Pop Hip, et le retour d’un King Ju qui alterne avec l’écume aux lèvres ses morceaux de bravoure, dont le phénoménal Spleen des petits. Reste à Rascar Kapac de cracher Stupeflip Vite. Le CROU se régale, insulte à tout va, ramasse des doigts d’honneur à la pelle, traite la foule de petite merde. Évidement Frank Zito ne se sent pas concerné. De son côté le public slam. Cadillac disjoncte. L’acte 3 se clôture en apothéose. Plus d’une heure de haute intensité et déjà le rappel, A bas la Hiérarchie, repris en cœur par toute l’assistance. Encore quelques insultes, mais c’est pour la forme. Stupeflip aime son public, mais fait semblant de ne pas le savoir. Comme Casimir, c'est un monstre gentil. Et accessoirement un putain de groupe.

Les lumières se rallument. Madame Zito fend la foule pour sortir prendre l'air, un masque de monstre sur le visage, Frank la rejoint sur le parvis avec un slip sur la tête et un sourire niais de bienheureux. Comme enivrés, ils dévalent les marches du palais des festivals sublimés par la nuit cannoise. Les flashes crépitent. Des pékins sont en train de prendre en photo le tapis rouge. L’hypnoflip ne durait donc qu’un temps, le temps pour Cadillac, Kin-Ju et Pop Hip de retourner à la menuiserie après avoir réveillé les p’tiots et p’tiotes qui dormaient en nous. Sans eux, ils ont quand même l’air un peu con, Frank et madame Zito. Ils s’en foutent, ils sont bien…


mardi 16 juillet 2013

Scream IV ou Mauvais Scary movie IV ?


Réalisation : Wes Craven

Avec : Neve Campbell, David Arquette, Courteney Cox


Année : 2011                 Durée : 1h51                Pays : USA

Il paraît que Scream 4 tombe pile à la date d’anniversaire de la sortie de l’original. Quinze ans donc nous séparent de la naissance du très médiocre aîné d’une franchise qui marqua la fin officielle de l’âge d’or du cinéma d’horreur, qui déclinait déjà depuis plusieurs années. Le genre se tourna alors pendant plus d’une décennie vers un public cynique, avide de pop-corn et de multiplexes. A part trente minutes offensives, l’original pédalait tranquillement dans la semoule jusqu’à sa conclusion grotesque. Succès interplanétaire con comme la lune -ce n’est pas le premier- monté au panthéon du film d’horreur à l’unique grâce de la médiocrité ambiante, il avait à l'époque rendu Zito particulièrement vénère...

Relou, chelou et moche comme un pou...
Et voici donc que le quatrième opus débarque sur nos écrans, précédé d’une presse élogieuse, comme à chaque livraison d’un Craven qui, faut-il le rappeler, n’a rien fait de bon depuis vingt ans. Et bien pas la peine de tortiller du cul pour chier droit : Scream 4 est relou, chelou et moche comme un pou. Lassant dès le pré-générique, mise en abîme en boucle qui donne le vertige quand au potentiel truqueur du métrage, il ne surprend jamais un public blasé par autant de contre-pieds cousus d’un épais fil blanc.

De fait, on a l’impression désagréable de se farcir un énième Scary movie. Avec sa ligne ultra ringarde et son côté remake pesant, on comprend de suite que rien n’a changé, si ce n’est que tout le monde a vieilli. Le couple Arquette a des pattes d’oies que les filtres ont du mal à masquer, et Neve Campbell n’a jamais parue aussi lasse. Quand à Wes Craven, il tourne dans la lignée de ce qu’il fait depuis maintenant des décennies : sans talent, imagination ou sincérité. Car ce qui est magnifique dans cette boule de cynisme qu’est Scream 4, c’est qu’elle dit tout sur un réalisateur qui hante le genre uniquement parce qu’il lui assure de bons revenus. D’horreur, Craven n’en a plus cure depuis des lustres. La preuve, cet opus dénué de toute séquence sanglante, l’infâme réalisateur multipliant les meurtres édulcorés, le budget effets spéciaux se limitant à une lame rétractable en plastique véritable et à un cubitainer d’hémoglobine de synthèse.

Starlettes têtes à claques estampillées petit écran...
Tout le reste a été croqué par les salaires du réalisateur-producteur, par ses stars usées et sa galerie presque exhaustive de starlettes têtes à claques estampillées petit écran, venues cachetonner sans passion au biberon de la franchise juteuse. Les scènes s’enchaînent à un rythme insensé, Wes Craven étant obsédé à l’idée d’ennuyer son public pré-pubère, ou alors étant pressé d’en finir avec une histoire qui ne l’intéresse pas plus que ça. Ghost-Face gesticule dans tous les sens, visiblement inspiré par les performances raffinées de Johnny Deep dans Pirates des Caraïbes. En totale perte de charisme, il passe son temps à donner des coups de fils avec sa voix falsifiée pour poser des questions démodées, au point que Frank Zito a longtemps cru que cette fois, c’était Julien Lepers le coupable. Bref, ce fut la débâcle prétentieuse prévue, de celle qui utilise les nouvelles technologies en espérant que leurs seules présences modernisent son vieux pot. Ah oui, une fin audacieuse aurait pu sauver Scream 4 du néant, mais avec son rebondissement supplémentaire digne de Scoubidou, Craven, au bout du rouleau, achève sa franchise sans panache.

En bref : Le scénario avait été caché aux acteurs même, et l’on comprend mieux pourquoi. Répétitif, ennuyeux et ultra daté, il sert un film creux qui n’existe que pour faire fonctionner la trayeuse à billets verts. Cynique, moche et verbeux, Scream 4 est une parodie ratée, une comédie ratée, un remake raté, un shocker raté, bref dans le bref : un film raté. Comme tous les échecs de Craven, le ratage a un goût d’autant plus désagréable qu’il porte préjudice au genre lui-même, avec sa fausse cinéphilie et sa vraie vénalité, et pue du bec à se croire sophistiqué, malin et brillant alors qu’il n’est qu’un projet cheap qui pourrait être une préquelle du premier tellement il a l’air miteux. Bref dans le bref dans le bref : concocté à partir d’une recette de grand-mère Craven , Scream 4 sort du four fade, sans consistance, mais rehaussé par le goût authentique du navet. Avec une pincée d'ironie en plus, il aurait eu le goût de la merde. Finalement on s’en sort bien.


mercredi 19 juin 2013

Livre : Limonov


Auteur : Emmanuel Carrère

Emmanuel Carrère s’est longuement expliqué sur les raisons qui l’ont poussé à se lancer dans cette biographie d’Edvar Limonov, insaisissable personnage qui s’est trouvé sur un étonnant nombre de points chauds de l’histoire récente. Homme aux mille facettes, on le croise tour à tour poète adulé, guérilléro rouge-brun, écrivain à succès, valet de chambre chez un milliardaire, prisonnier dans un camp de la Volga, chef de gang spartiate opposé au régime de Poutine. Du velours pour un roman, vous direz-vous, mais pour Carrère rien n’a été simple, jamais, car Limonov ne se pose pas comme une évidence, comme ce personnage mythique que l’écrivain parisien aurait aimé croquer par sympathie, et que le dissident russe a mis toute son existence à façonner. Non. Loin s’en faut. Limonov n’est pas homme à nourrir une biographie officielle, et cela tombe bien, Emmanuel Carrère n’était pas du genre à l’écrire.

C’est pourtant ce qu’il essaie tout de même de nous faire croire en s’attaquant à l’énigme Limonov. Il faut dire que l’homme est sulfureux. Il étale une sexualité libérée et hors norme, écrit des livres déjantés, et pour beaucoup autobiographiques comme Le poète russe préfère les grands nègres. Joue de la Kalachnikov en Serbie. Fleurte dangereusement avec le terrorisme et finit enfermé pour avoir tenté un coup d’Etat au Kazakhstan. Ses femmes sont belles ou folles, sinon les deux à la fois. Elles meurent à l’asile ou par overdose. Et pour ce qui est de la subvention, à l'image des scouts il est toujours prêt. Dans tous les mauvais coups, de toutes les parties pourries, de tous les combats perdus d’avance, Limonov, intense, brûle de par sa vie toutes les pages du roman de Carrère. Voilà pour l’aspect le plus évident, celui qui décrit un homme infréquentable qui a traversé l’histoire et les continents de part en part. Voilà ce qu’aurait pu être Limonov.
 
Mais Carrère est un écrivain de l’intime, qui sait mêler avec sensibilité grande et petite histoire. Et pour la petite, il a connu Limonov, qui, après être devenu infréquentable, se souviendra parfaitement de cet écrivain français croisé au début des années 80, quand lui se trouvait aux côté d’Edern Hallier, à rédiger des articles destructeurs pour l’Idiot international. Depuis ce point de rencontre, Carrère déroule le fil de la vie de Limonov chronologiquement, mais embrasse ce destin atypique pour l’enrichir en creux de sa propre biographie. Face à la brutalité et la sècheresse de l’existence de Limonov, Carrère se pose en bobo bien né, se met en scène en retrait, s’affuble d’une relative faiblesse de caractère qu’il dit héritée de son milieu, quand la pauvreté, la misère et la violence ont forgé le caractère du jeune Limonov en acier trempé. Le regard que lui porte l’auteur oscille entre fascination et déception, toujours touché par le romantisme fou que dégage, sur le papier, cette existence qui brûle comme un feu de paille. Le confort de ses intérieurs cosy heurtent la vérité des logements ascétiques de la star Limonov, qui vit comme un clandestin alors qu’il fait les choux gras de la presse people russe. La vie rangée de l’un met en orbite la folle aventure que représente celle de l’autre.

C’est pourtant de ce rapprochement improbable que jaillit la force du roman. Car la vie D’Emmanuel Carrère est intimement liée à la Russie. Fils d’une historienne de renom, il refait au fil des page le match d’une série de tableaux que l’on croyait figés par l’Histoire. En suivant Limonov partout, il nous raconte la chute de l’URSS et la fierté du souvenir de l’ère soviétique d’un point de vue inédit pour le lecteur français. Poutine n’y est pas seulement la brute épaisse que l’on sait. Les Serbes pas les seuls coupables d’une guerre atroce. Staline n’est pas Hitler. Ses interprétations éclairées apporte de la nuance à toutes les idées reçues qui polluent notre inconscient. Tout cela en décrivant le destin d’un pauvre type qui, à force d’opiniâtreté, réussit à s’élever pour poursuivre un destin qu’il ne rattrapera jamais. Mais il aura vendu chèrement sa peau.

En bref : Limonov décrit la vie sulfureuse d’un des personnages les plus subversifs de l’époque contemporaine, qui s’avère, sous la plume élégante de Carrère, être un homme pétri de contradictions, mais profondément humain et sincère. Un portrait initiatique superbe, qui brise mille tabous pour révéler chaque facette d’une même pièce, celle de ce jeune poète qui a mis sa peau sur la table pour ne pas finir par être n’importe qui. A l’heure des bilans, difficile pourtant de se prononcer : vie passionnante ou vie de merde ? La réponse vous laissera sur les rotules. Un roman monstre…

mercredi 12 juin 2013

TOKYO GORE POLICE : Gore jusqu'au bout des ongles !


Réalisation : Yoshihiro Nishimura

Avec : Eihi Shiina, Keisuke Horibe, Itao Itsuji

Année : 2008          Durée: 1h50             Pays : Japon-USA

Sur fond de privatisation de la police, T.G.P. raconte la lutte menée par une flic et sa section de dégénérés contre une nouvelle race de criminels mutants dont les blessures se changent en armes de combat. La seule solution pour les éradiquer : les découper en morceaux...

L’occasion d’outrances ultra gores, où l’on se taillade vingt fois les veines avant de lacérer les visages à la suite de duels démesurés à la tronçonneuse. Enucléations, démembrements, fulguro-poings -avec des vrais poings !- j’en passe et des meilleures. Le tout bien évidemment en plein champ, avec des geysers de sang, de boyaux et de viscères qui dégueulent à même la caméra. Attention les yeux, car Tokyo Gore Police est réellement une boucherie à ne pas mettre entre toutes les mains.

Mais là où le film de Yoshihiro Nishimura vire au génie, c’est qu’il est aussi un pur délire pop, saturé de couleur, de jupettes d’écolières, de latex, de jambières et de petites culottes. Fétishiste, sado-masochiste, outrancier, la réalité de ce Tokyo futuriste de carton pâte est tellement custom qu’on croirait un fantasme sur pellicule. Le réalisateur garde le pied en permanence sur le champignon, passant d’une émotion l’autre sans transition, mêlant à ce bain de sang jubilatoire des flash-back portnawak, des promotions grotesques, des spots de pubs pour ustensiles de suicide.

En bref : L’inventivité déviante de Tokyo Gore Police est ici poussée à l’extrême rappelant les meilleures heures d’un gore aussi craspec que joyeux. Une bombe iconoclaste, tournée avec la grossièreté et la vulgarité d’un réalisateur qui, comme Peter Jackson à l’époque de Brain Dead, a la classe internationale.




samedi 1 juin 2013

Ciné : La belle personne (ou la nouvelle princesse de Clèves)


Réalisation : Christophe Honoré

Avec : Louis Garrel, Léa Seydoux, Grégoire Leprince-Ringuet

Année : 2008               Durée : 1h30                 Pays : Français

La belle personne.
Junie, seize ans, change de lycée en cours d'année à la suite à la mort de sa mère pour intégrer la classe de son cousin Matthias. Courtisée, elle va rapidement se mettre en couple avec le plus rangé des voiture de la bande, Otto, quand c’est le ténébreux Nemours, son professeur d'italien, qui la fait bruler de désir.

Christophe Honoré met en scène avec nuance la complexité adolescente des émois amoureux dans une classe de lycée du XVIème arrondissement. Exit ici les habituelles conventions sociales du film scolaire. Loin de la rupture classique élève/professeur, il nous fait découvrir un ambiance propice à l'épanouissement intellectuel, où les hormones bouillonnent autant que les neurones. Dans le XVIème, on ne couche pas ensemble, on a une activité sexuelle. On ne se quitte pas, on s’éloigne un peu. Et c’est dans ce décor un peu désuet de la bonne éducation parisienne qu’il développe son scénario, réalisé d’après la trame de la Princesse de Clèves. Honoré dénude la complexité des sentiments amoureux, vus ici comme un jeu à plusieurs bandes qui peut mener à la folie. Junie y est incarné par la superbe Léa Seydoux, qui se contente de traverser le film avec une moue frondeuse indéchiffrable pour tout renverser sur son passage, quand Jacques est Louis Garrel, formidable bellâtre, qui personnifie son professeur narcissique, contradictoire et égocentré avec une classe et un sens de la comédie étonnant.

L’ensemble du casting est d’ailleurs parfait, au diapason de ce scénario insaisissable, où une jeune fille opaline et fragile peut se transformer en tueuse par la force dévastatrice de sa passion, où de fausses lettres révèlent de vrais sentiments et où le penchant amoureux ne peux exister qu’à fleur de peau. La dure vérité sort d’ailleurs de la bouche du trop gentil Otto, qui se rend compte à ses dépends qu’on ne sait jamais rien des gens et moins encore de ceux que l’on aime.

En bref : Si La belle personne avait tout pour être un film d’auteur de plus, gentiment pompeux et un peu rasoir, il s’avère en fait léger et brillant comme sa classe du lycée Molière, touché par la grâce de la jeunesse…


vendredi 10 mai 2013

livre : Que font les rennes après noël ?

Auteur : Olivia Rosenthal

Dans Que font les rennes après noël ?, superbe titre du dernier roman d‘Olivia Rosenthal, il est question d’émancipation dans quatre temps de la vie d’une femme, depuis les premiers désirs refoulés, ici la volonté obsessionnelle de vouloir adopter un animal, jusqu’à l’âge adulte et son affranchissement de ce fantasme castrateur d’une humanité définie par sa raison au mépris de son corps…

Succès critique unanime, Que font les rennes après noël ? se distingue d’abord par un style particulier proche de la description clinique. Vouvoiement censé mettre une distance avec l’enfant vu comme un sujet d’analyse scientifique. Personnages fonctions qui ne sont pas nommés. Utilisation de gimmicks qui se répètent inlassablement, comme une litanie (« Vous êtes contaminée » «l’homme est un loup pour l’homme», «Vous vous réveillez » etc.) . Cette technique extrêmement cadencée, prend le risque du morcellement et de la martialité. Aux paragraphes découpés en forme de saynètes lapidaires succèdent des passages documentaires, avec pour chaque chapitre sa profession : le dresseur de loup, le gardien de zoo, le laborantin et le boucher, vision de moins en moins romantique du rapport de l’homme à l’animal, qui accompagne la désillusion permanente de l’héroïne, ou plutôt du sujet d’étude.

Hélas, cette mécanique parfaitement huilée, jouant l’alternance millimétrée, la répétition et la distance peut laisser le lecteur à la porte de l’œuvre. Que font les rennes après noël ? pourtant court et aéré, assomme. Les segments se font écho sans qu’il y ait toujours pertinence, mus par la seule volonté de ne pas dévier d’un canevas prévu à l’avance. Ce dispositif aussi rigide que pénible est d’autant plus dommageable que la thèse soutenue est passionnante.

Car le regard singulier d’Olivia Rosenthal apporte autant qu’il dérange. Qu’il s’agisse de la férocité des relations familiales, de son interprétation de la vie en société ou de ses parallèles entre expériences animales et éducation, tout est matière à troubler le lecteur. La démonstration est implacable, comparable aux travaux d’un Henri Laborit. Seulement le procédé d’hybridation avec le roman est trop corseté et superficiel pour entraîner l’adhésion totale. En témoigne cette exégèse particulièrement redondante et usante de La Féline, qui nous fait sombrer dans la lassitude de ses redites quand le film de Tourneur était parfaitement ajusté à sa démonstration.

En bref : Avec son ouvrage sec, haché et à la mécanique trop contraignante, Olivia Rosenthal nous délivre une réflexion sur l'affranchissement qui va crescendo dans la barbarie, débutant par le désir d’appropriation de la bête pour finir sur des visions de carcasses coupées en deux. Si l’on résiste à son dispositif épuisant, on y découvrira que le monde des hommes est génétiquement bestial, de celui qui nous amène à dépecer les rennes après noël pour s'en régaler avec voracité. Indigeste et brillant à la fois. A découvrir.

jeudi 9 mai 2013

Black sheep

Réalisation : Jonathan King

Avec : Nathan Meister, Peter Feeney, Tammy Davis

Année : 2008     Durée : 1h27      Pays : Néo Zelandais

Henry, jeune homme avinophobe, revient sur les conseils de sa psychologue à la ferme de son enfance, après des années d’exil en ville, afin de revendre ses parts de l’exploitation familiale à Angus. Mais à la suite d’expériences génétiques contre nature, les moutons vont se retourner contre leurs maîtres…

Black very cheap
Dès la scène d’ouverture c’est l’indisposition : caractérisation sensément loufoque mais réellement tarte, scénario alibi à seule vocation d’exploitation, musique à flonflon proprement insupportable et mise en scène de type téléfilm destiné aux plus jeunes. Alors bien sûr les moutons transgéniques sont là. Comme prévu, ils conduisent des voitures, klaxonnent, baisent, pètent, rotent, rien ne les arrêtent. Et c’est bien ça le problème : la vulgarité crasse d’un ensemble prévisible qui n’assumera jamais ce qu’il aurait voulu être.

Car si la nouvelle Zélande a déjà accouché des chefs d’œuvre de mauvais goût Bad Taste et Brain Dead, ici vous ne verrez rien de tout cela. On a plutôt affaire à un film d’étudiant qui se trouve irrésistible avec sa bonne blague du coussin péteur alors qu’il est seulement bien relou. C’est ce décalage énorme entre les prétentions de Jonathan King et la réalité de son film qui en fait une bobine exaspérante. Ni film familial, ni comédie, ni parodie de film d’horreur, ni fable écolo et moins encore nanar gore, Black Sheep ne s’adresse de fait à aucun public.

De leur côté les acteurs font ce qu’ils peuvent pour faire exister des personnages à la définition si grossière qu’elle les rend grotesques Tous s’échinent à multiplier les mimiques, rouler des yeux comme des billes, poser leurs dialogues de sitcom en donnant l’impression d’attendre les rires enregistrés. Seul Peter Feeney, dans le rôle du frère agronome fou à tendance zoophile, avec son sens de l’humour particulier, son physique carré et sa composition solide sauve le mobilier quand Black Sheep sombre dans l’ennui que génère son manque de maturité et sa pesanteur involontaire.

En bref : Pour avoir shooté son film à la sauce infantilisante de Chris"Maman j’ai raté l’avion"Columbus alors qu’il lorgnait à l’évidence dans la direction d’Edgard"Shaun of the dead"Wright, Jonathan King rate complètement sa cible et nous offre un film vieillot et ringard, indigne d’une mauvaise pellicule des eighties dont il n’effleure jamais le charme. Une nullité qui n’a existé que grâce à son synopsis viral et qui est retombé depuis dans un oubli bien mérité. Dispensable.


samedi 4 mai 2013

Rock'n'roll secours, concert : Vulain + Incry


Hardeux dans une autre vie, c’est avec stupeur que Frank Zito apprit la reformation du cultissime Vulcain. Et comme une bonne nouvelle n’arrive jamais seule, les anciens protégés de Motörhead débarquaient sur la côte le soir même. Ni une ni deux, il se rua dans le grenier, comme habité par de vieux démons, enfila son perfecto bouffé par les mites, ses gants à clous et sa ceinture cartouchière, lâcha des cheveux qu’il avait encore longs et entraîna une Madame Zito relookée Girlschool à l’arrière de sa Harley, sur son sissy bar à tête de mort. Car Vulcain, pour les nostalgiques de la grande époque du métal, c’est un peu la pleine lune pour les loups garous, un appel irrésistible, même s’il faut avouer que ni Frank, ni Madame Zito ne savaient trop où ils mettraient les pieds : ils n’avaient tout simplement pas le choix.

Incry met ses émotions sur le tapis
Vous dire leurs gueules quand ils se retrouvèrent dans une salle presque comble devant Incry, groupe de métal contemporain, au gros mur de guitares et à l’aspect étonnamment bricolé. Devant un géant peroxydé féru de body building, dont l’allure générale n’était pas sans rappeler celle d’un tueur en série scandinave. Une voix à la Bernie Bonvoisin et des paroles un peu limites. La douche froide instantanée. Car c’est bien sympa, la nostalgie, mais ça fait oublier qu’on n’est pas forcément le bon public au bon endroit. D’ailleurs l’odeur de naphtaline collée au blouson de Frank commençait à l’incommoder quand Madame se disait que le slim en cuir acheté en vitesse pour l’occasion lui boudinait peut-être un peu trop les fesses. Pourtant même s’ils étaient difficiles à prendre au sérieux, personne n’a eu envie de tirer sur l’ambulance. Car Incry est aussi le symbole de la scène métal en général, occupé par des types sincères, des musiciens pointus, à la technique irréprochable. Des gars qui se soucient de leur public et donnent tout pour lui plaire. Qui n’ont honte de rien et mettent leurs émotions sur le tapis. Rien que pour cela, Incry méritait qu’on leur tire notre chapeau.

Une odeur de souffre
Toutefois, le doute s’était un peu insinué. Et si Vulcain, ça allait être ridicule ? Un truc daté, gênant, irracontable ? Et si le fils des volcans était devenu grotesque avec sa foudre et sa force métallique ? C’est à ce moment précis que les frères Puzio et Marc Varez traversèrent la salle, laissant traîner derrière eux cette odeur de souffre si caractéristique au Rock’n’roll. Des dégaines pas croyables, des gueules pas racontables, une attitude de seigneur, ils investirent la scène sous les vivats d’une foule soudain ragaillardie pour balancer la sauce sans sommation avec un « vulcain » qui sonna comme une déflagration atomique. Pas de posture, simplement heureux d’être là avec nous, comme une évidence, ils enchaînèrent les titres, le plus souvent tirés de l’indétrônable « Rock’n’roll secours ». Comme autant de bombes jetées à la face des sceptiques, tout ce qu’ils touchent se transforme en fonte. Ebony, L’Enfer, Pile ou Face, titres bruts de décoffrage joués avec une urgence ahurissante. Pas de nostalgie ici, juste un putain de groupe qui joue du rock hors d’âge. Daniel pose sa voix rocailleuse sans jamais fatiguer, et enchaîne des solis d’une précision chirurgicale, quand son frère mitraille le public avec sa basse et que Marc martèle comme un forgeron des fûts que l’on imagine indestructibles.

La romance de vulcain
On s’époumone sur Les Damnés, on lève le majeur sur Fuck the police, on joue les chorus sur Black Silex. Les doigts se font cornus, on sue, on pleure on rit. Les 100 000 volts que dégage le groupe nous transpercent de part en part. On n’a plus d‘âge. On n’est que sensation. Et puis arrive l’incroyable rappel. Un Rock’n’roll secours qui déchire tout sur son passage, une rythmique folle, une furie d’autant plus intense que l’on sent la fin proche. Vulcain nous met à genoux ! Grandiose… Et comme tout a une fin, ils reviennent une dernière fois distiller une digue du cul rigolarde, véritable Madeleine de Proust offerte à un public qui l’appelait de ses vœux. Une rengaine que tout le monde entonne, comme des amis à la fin d’un banquet dont on sort repu... Puis Vulcain s’en va, et nous laisse seul. Pourtant quelque chose a changé, comme s’ils avaient réactivé une petite musique, de celle qui vous rend plus fort, qui vous donne un puissant sentiment d’appartenance. Une fredaine communautariste. Celle de la romance de Vulcain. Avec comme seul mot d’ordre pour ses esclaves : Servir son Nom ! Une tuerie !


jeudi 25 avril 2013

Breathless

Realisation : Yang Ik-joon 

Avec : Ik-joon Yang, Kkobbi Kim, Hwan Lee

Année : 2010       Durée : 2h10       Pays : Sud-Coréen

Breathless, c’est l’histoire de Sang-hon , un recouvreur de dettes à la sauce coréene, du genre à cogner avant de réclamer le blé, qui met tout son cœur à son ouvrage. Ultra violent, il va jusqu’à s’en prendre quotidiennement à ses propres collaborateurs. Jusqu’au jour où il croise Yeon-hee, une jeune lycéenne au caractère fort et à l’histoire assez proche de la sienne. Cette rencontre entre deux abîmés va les emmener à porter un regard neuf sur leur existence, et allumer l’espoir d’un avenir meilleur. Mais les choses ne sont parfois pas aussi simples qu’on voudrait qu’elles le soient…

Ik-joon Yang, avec Breathless, se place dans la mouvance du cinéma sud-coréen contemporain, celui qui nous a offert les bobines les plus intéressantes de la décennie passée, avec entre autres les bombes de Chan-Wook Park (Old Boy) d’Hong-jin Na (The Chaser) ou Bong Joon-ho (Mother), j’en passe et des meilleurs. Véritable homme à tout faire, le réalisateur est aussi l’initiateur du projet, son scénariste et son acteur principal, appelant une comparaison d’évidence avec le Takeshi Kitano période Kikujiro ou Aniki. On sent d’ailleurs l’influence du japonais partout dans ce festival de tartes dans la gueules et d’humeur renfrognée. Filiation glorieuse, d’autant que Breathless ne souffre à aucun moment de la comparaison.

D’abord en développant un rapport tout à fait particulier à la violence, tour à tour brutale, désinvolte ou cocasse, elle est avant tout un moyen comme un autre de communiquer quand on a plus les mots. C’est pourquoi les étudiants inoffensifs sont bastonnés, les enfants sont bastonnés, les vielles sont bastonnées. S’il avait un marteau, nul doute qu’il cognerait son père, sa mère, ses frères et ses sœurs… Sauf que loin de le rendre heureux, la violence de Sang-hon le comprime toujours plus, l’empêche de respirer. La faute originelle, indépassable, le fixe dans un état que seule la barbarie permet de relâcher un temps. Comme le sifflet d’une cocotte minute, elle libère ce qu’il faut d’air comprimé pour qu’il n’explose pas, mais il boue toujours à l’intérieur.

Pour mettre en image l’aridité des sentiments, la haine qui, comme un venin, paralyse le système respiratoire et atrophie le cœur, Ik-june Yang s’appuie sur un scénario à la qualité toute sud coréene. Extrêmement bien écrit, il pose ses scènes sans prendre le spectateur par la main, laissant croire au hasard de la vie quand les pièges un à un se referment sur les protagonistes. Si l’on rit beaucoup à suivre cette tête de cochon qui fume, rote, se gratte les burnes et cogne sur ses collègues, on sent bien, alors que l’intrigue se déroule et que le drame prend la forme d’un polar, que le divertissement n’est que façade. Que derrière les sourires affichés et l’urbanité se cache des secrets inavouables. Et sans même les appréhender dans toute leur complexité, la force tranquille du destin, le déterminisme s’insinue sournoisement dans nos veines pour mieux nous comprimer le thorax.

Au plus on avance dans Breathless, au plus on a l’impression de s’enfoncer, plus le rire s‘éteint pour n‘être que grimace. Pourtant l’envie de croire à des lendemains qui chantent est forte. Derrière la brutalité, les cœurs sont grands, mais la démonstration nous fait l’effet inverse. Terriblement anxiogène, elle nous apprend ce que c’est que d’être à bout de souffle, d’avoir soudain envie de crier pour que les cartes du destin soient redistribuées, fantasme d’enfant qui veut croire en sa bonne étoile. D’abord comédie, Breathless se fait donc touchant, puis attendrissant, joue la carte des sentiments contradictoires, change brutalement d’humeur et de ton pour mieux nous frapper au cœur avec ses fulgurances émouvantes. Un exercice de style brillant.

En bref : S’il n’aurait pu être qu’un film parmi tant d’autre né de l’incroyable industrie coréenne, Breathless, avec son côté Kitano et son scénario diabolique, porte en lui le sceau de la grâce. En ne mettant en scène que des êtres forts et dignes, dont il nous fait pénétrer l’intimité hantée par la violence, il nous amène à comprendre la profondeur abyssale des fêlures crées par le poids de drames familiaux que l’éducation du silence ne permet pas de dépasser. Et si la violence appelle toujours la violence, si les hommes sont fragiles au moment d’être confrontés à leurs responsabilité, on se force à croire que l’on échappera à l’inévitable extraction lacrymale qui ponctue la vie aussi bien que les plus grands films. A couper le souffle.



lundi 8 avril 2013

KICK-ASS : une bonne claque dans la gueule


Réalisation : Matthew Vaughn

Avec : Aaron Johnson, Nicolas Cage, Chloe Moretz

Année : 2010      Durée : 1h57         Pays : Britanique, Américain

Mal dans sa vie et plutôt loser, le jeune Dave se décide un beau matin de vaincre le signe indien en créant un Super-héro dont il serait le Clark Kent. Pour se faire, il va coudre un costume bariolé, enfiler une cagoule et partir faire régner la justice dans les ruelles malfamées de sa ville. Son intelligence : médiocre. Sa force : moyenne. Ses pouvoirs : aucun. Son nom : Kick Ass.

Tiré de la BD éponyme, on pouvait craindre d’Hollywood un traitement décalé par rapport à ce sujet en or. Ou pire à du cynisme. Mais Matthew Vaughn contre toute attente trouve le ton juste, avec ce qu’il faut de décalage sans tomber dans la parodie, et suffisamment de premier degré pour permettre l’émotion. Le casting est parfait, avec son jeune héro décérébré, et son duo de copycats masqués menés par un Nicolas Cage illuminé. Déguisement de Batman discount, perruque tout droit sortie du Crazy horse et Caterpillar de haute montagne, nos héros ne semblent avoir pour super pouvoir que l’absence absolue de goûts vestimentaires. Pourtant derrière la pochade grotesque, le coup de génie de Vaughn est de ne pas y aller par le dos de la cuillère : les coups font mal, dans Kick Ass. Les balles perforent et provoquent des geysers de sang, les héros morflent comme rarement, la confrontation au réel est violente. Et pour le politiquement incorrect, voyez plutôt Hit Girl (11 ans !) faire un carnage sans que son personnage ne soit jamais caractérisé d’un point de vue moral. Vaughn ne s’appesantit d’ailleurs sur rien et fait avancer son bolide à fond les manettes, enchaînant les morceaux de bravoure sans s’arrêter sur un contenu à tiroir pourtant subtil, où l’on peut puiser un questionnement sur la relation de l’internaute à son avatar.

En bref : situé entre le vigilante movie, le film de super héros et la parodie, le film tient parfaitement la route pour garder le cap d’une histoire que l’on suit sans ennui. La musique dépote, tout comme le casting. Formellement moins brillant que Scott Pilgrim, Kick ass est pourtant au final infiniment plus jouissif et réussit même l’exploit de botter le cul au genre qu’il détourne et à sa morale à la con. Une bonne claque dans la gueule, à voir séance tenante…





dimanche 31 mars 2013

Le festin nu par le pape de la nouvelle chair


Réalisation : David Cronenberg

Avec : Peter Weller, Ian Holm, Judy Davis

Année : 1991      Durée : 1h55              Pays : GB, Canada, Japon

Bill Lee, écrivain recyclé dans l’extermination de cafards, se retrouve embrigadé pour une mission secrète autant qu’étrange après avoir accidentellement abattu sa compagne lors d’un jeu d’adresse malencontreux.

Cronenberg, alors pape de la nouvelle chair, qui adapte le roman halluciné de Burroughs, voilà qui avait de quoi faire saliver. D’autant que le rôle principal incombait à Peter Weller, parfait dans la peau de cet écrivain drogué qui pose son regard mi-désabusé mi-angoissé sur cette aventure aussi décalée que mystérieuse. L’ambiance du film est glauque, empreinte de sous entendus homosexuels et fétichistes que soulignent avec force la dépravation d’un environnement aux teintent pisseuses. Les effets spéciaux, époustouflants, complètent avec bonheur une galerie de mutations spectaculaires. Chris Wallas s’en donne à cœur joie, rendant crédible des machines à écrire vaginales, des cafards qui taillent le bout de gras à l’aide d’un anus dorsal, des centipèdes géants dégoulinants de drogue spermatique. Tout est bon dans le festin nu, parfait même...

Et c’est sur ce point que le film se rate un peu, par ce parti pris littéraire au rendu très classique, voire figé, que souligne un free jazz de club enfumé, référence aux très sages films noirs des années cinquante, qui jure un peu avec le propos. Les affres de la création délirantes et subversives de Burroughs donnent l’impression d’être mises en boîte. Chaque déplacement paraît millimétré. Les déclamations ont des accents de théâtre art et essai. Jusqu’aux décors sublimes et à la reconstitution d’une médina fantasmée qui finissent par mettre une distance et désamorce l’enfer et l’urgence que l’on retrouvait dans l’ouvrage. Dommage...

En bref : Burroughs, même dilué dans un bocal de formol comme le Festin nu, se distingue assez largement du tout venant. Et le film qu’en a tiré Cronenberg, s’il n’est pas à la hauteur des espérances, reste une bobine d’une étrange beauté à qui il ne manque qu’un chouia de folie pure pour être le trip hallucinatoire total qu’on attendait. Très recommandable quand même.


jeudi 28 mars 2013

Somewhere ou l'autobiographie

Réal : Sofia Coppola

Avec : Stephen Dorff, Elle Fanning, Chris Pontius

Au cœur d’une zone désertique une Ferrari tourne en rond, creusant dans le sable un sillon aussi indéfinissable que le sens de sa virée circulaire. Si la métaphore est un peu lourde, elle introduit parfaitement le dernier Sofia Coppola qui s’attaque à un univers qu’elle connaît bien pour en être, celui de la vie intime des célébrités. Pour ce faire, elle met en scène Johnny Marco, un acteur qui séjourne entre deux tournages au Château Marmont, sorte de refuge californien pour errants fortunés, parenthèse cossue dans un monde de brute, où il va recevoir la visite de sa petite fille de 11 ans…

Quand la vie de star...
Somewhere nous dépeint donc l’envers du décors de la vie d’une star. Sous le regard amorphe d’un Stephen Dorff lassé, dont l’existence patine quand bien même sa carrière est au sommet, Sofia Coppola s’amuse à nous raconter des coulisses qu’elle connaît bien pour y être née. Univers ultra sexué, stripteaseuses à domicile, numéros dansants, crainte du paparazzi, suites royales, voyages en hélicoptère, room service 24/24 etc. elle observe cette bulle avec ironie, étirant les scènes en quasi plan fixe jusqu’à les vider de tout sens. Car dans les cuisines, tout est plus pathétique que dans les magazines people. La joie est feinte, voire forcée, les sourires cachent une grande médiocrité sentimentale, et si l’on peut coucher à longueur de journée avec des bimbos blondes interchangeables, on y prend finalement peu de plaisir. Sans repère, la célébrité broie les hommes sous son verni clinquant. Et Johnny Marco de sembler déconnecté, comme dépossédé de son existence propre par des volontés supérieures qu’il ne maîtrise pas.

...nous fait craquer une petite larme.
Et c’est là que Sofia Coppola fait un énorme couac narratif. Sans autres explications que ce que l’on a sous les yeux, c’est-à-dire une vie de vacances, vide de sens mais pas de jouissance, qui infantilise et ne permet pas de grandir intérieurement, elle en déduit que la star n’a pas la vie aussi belle qu’elle en a l’air. D’où les larmes de crocodiles que lâche avec difficulté en fin de bobine un Stephen Dorff que l’on n’a jamais imaginé en quête de spiritualité. Avec son physique d’action star, son regard tristounet qui sent plus les lendemains de beuverie que l’aventure intérieure, Stephen Dorff ne nous laisse pas supposer qu’il serait un autre homme sous d’autres hémisphères. Aussi sa douleur et ses difficultés nous laissent-elles totalement indifférent, pire même, finissent par nous écoeurer. Ses atermoiements passant pour un caprice de plus quand Sofia Coppola voudrait nous peindre les failles profondes de sa propre vie d’enfant gâtée, par le biais d'une Cléo dont tout laisse à penser qu'elle est épanouie. Hélas, Somewhere finit en ode aux pauvres petits people riches, et cet angle, par les temps qui courent, fait terriblement mal aux yeux.

En bref : Film qui transpire l’autobiographie, Somewhere nous conte l’histoire d’un acteur star qui depuis les balcons de Château Marmont, observe la ville réelle comme un seigneur ses dépendances, avec l’extrême indécence d’en jalouser la profondeur supposée des sentiments. Dommage, car l’aspect documentaire du film, extrêmement éclairant sur les coulisses de l’existence d’un acteur, sa solitude et sa perte de repère, est une réussite totale, là où le message "la célébrité ne fait pas le bonheur" clouté à grand renforts de non-dits lourdement signifiants finissent par en faire un film particulièrement antipathique. Raté à cause de son honnêteté même, il est finalement la preuve que chez les célébrités la vie est sacrément plus belle que celle du commun si tant est qu’on ait envie de la vivre.