C’est appâté par un Hypnoflip
Invasion qui redonne ses lettres de noblesse au concept album et
clôture le triptyque de Stupeflip dans un rabâchage musical et thématique
proprement hallucinatoire, que Frank et Madame Zito se sont bousculés afin
d’assister à l’atterrissage du CROU venu instaurer l’ère du Stup sur une Côte
d’Azur plus habituée au stupre.
Deux surprises avant l’invasion. D’abord la combinaison du soir, Stupeflip
étant couplé à Saul Williams, dans une sorte de double affiche au sens douteux.
Pris dans l’étau de la rentabilité et décomplexés par des festivals aux
associations musicales pour le moins improbables, les programmateurs avaient
donc décidé de remplir leur salle avec deux univers radicalement différents, et
deux publics pas forcément faits pour coexister. Ensuite la localisation :
l’antre même du palais cannois, le grand auditorium, avec accueil trois étoiles,
smoking, nœud papillon et fauteuils de théâtre au rembourrage plus adaptés aux
fessiers délicats des festivaliers qu’aux slips sur le crâne des stupfanatiques.
Bref. C’est un Saul Williams bondissant qui ouvre le feu avec une entame
tonique, assez éloignée d’un dernier album chiant comme la pluie. L’homme slam
par intermittence, crache un hip hop mâtiné de rock et de rap, mais malgré une
prestation physique généreuse et techniquement impeccable, la set-list s’étiole
pop, se ramolli au fil d’une performance qui aurait mérité la tête d’affiche et
un public dévoué. Professionnel, accompagné par un groupe performant et
sympathique, Saul Williams délivre ses messages brouillons avec la conviction
d’un prêcheur méthodiste en transe, sans jamais convaincre un Frank Zito avalé
au fil des minutes par la douceur de son fauteuil et bercé par le tambour
ethnique que l’ex afro-punk devenu pop star utilise pour battre le rappel.
Pourtant il n’y a aucun reproche à lui faire. Aussi quand madame finit par
réveiller Frank, celui-ci applaudit-il à tout rompre l’honnêteté du travail bien
fait, même si le cœur n’y aura jamais été.
Les yeux encore bouffis de fatigue, Frank scrute la salle où des clones de
King Ju plus ou moins convaincants se rassemblent pour investir les premiers
rangs en meuglant « Vengeance ! ». Et de vengeance il va être question tout au
long d’un set particulièrement chiadé. Laissez tomber les critiques qui radotent
que Stupeflip n’aime pas la scène, que le CROU se fout de son public comme de sa
dernière chaussette, et que leurs concerts sont glauques et mous. Glauque, sans
aucun doute, mais mous ?! Allez en toucher un mot à Cadillac et sa face de lune
inversée, à King Ju et son bonnet troué enfoncé jusqu’à une bouche aux dents
gâtées. Aucun doute, ces gars là ne calculent pas, ils vivent l’instant à fond.
Dans le but d’en découdre, le CROU Stupeflip fait une entrée particulièrement
mystique, drapé dans des toges lugubres, prend des poses aussi inquiétantes que
grotesques. Le Sinode Pibouin n’est pas loin. L’heure est à la religion
du Stup, et pour la grand messe, ils ont mis les petits plats dans les
grands.
Scène obscure, masques de carnaval sordides, ambiance reloue, Stupeflip
attaque avec « Les monstres ». Le son, tout en aspérité, gratte, crisse et
craque. Et ceux pour qui le Stup se résume aux aimables ritournelles de Pop Hip
d’en être pour leurs frais. L’ambiance est mortifère et hystérique. Le grand
auditorium ressemble à l’antichambre de l’univers oppressant dépeint par le
groupe depuis maintenant dix ans. Si la musique est toujours aussi barrée,
l’inquiétude semble avoir dénaturé la recette de tarés. Fascinés, on suit donc
ce premier chapitre anxiogène comme hypnotisés. Les titres s’enchaînent, les
personnages entrent et sortent comme dans un Feydeau dégénéré aux décors
crépusculaires. Comme convenu, le Stup fait vibrer le parquet.
Acte 2 : entrée en fanfare de Pop Hip. L’idole des jeunes, armé de son
éternel enthousiasme et de sa gueule de ravi de la crèche, entonne ses titres
rock’n’roll. L’ambiance s’apparente soudain à celle d’un bal de camping en plein
mois d’août à Palavas les flots, mais avec ce grain de sable qui donne aux
ritournelles de Pop Hip un goût bizarre, de celui qui finit par filer le
bourdon. Bourdon qui reprend sa place après le meurtre abominable de Pop Hip, et
le retour d’un King Ju qui alterne avec l’écume aux lèvres ses morceaux de
bravoure, dont le phénoménal Spleen des petits.
Reste à Rascar Kapac de cracher Stupeflip Vite. Le
CROU se régale, insulte à tout va, ramasse des doigts d’honneur à la pelle,
traite la foule de petite merde. Évidement Frank Zito ne se sent pas concerné.
De son côté le public slam. Cadillac disjoncte. L’acte 3 se clôture en
apothéose. Plus d’une heure de haute intensité et déjà le rappel, A bas la Hiérarchie,
repris en cœur par toute l’assistance. Encore quelques insultes, mais c’est pour
la forme. Stupeflip aime son public, mais fait semblant de ne pas le savoir.
Comme Casimir, c'est un monstre gentil. Et accessoirement un putain de groupe.
Les lumières se rallument. Madame Zito fend la foule pour sortir prendre
l'air, un masque de monstre sur le visage, Frank la rejoint sur le parvis avec
un slip sur la tête et un sourire niais de bienheureux. Comme enivrés, ils
dévalent les marches du palais des festivals sublimés par la nuit cannoise. Les
flashes crépitent. Des pékins sont en train de prendre en photo le tapis rouge.
L’hypnoflip ne durait donc qu’un temps, le temps pour Cadillac, Kin-Ju et Pop
Hip de retourner à la menuiserie après avoir réveillé les p’tiots et p’tiotes
qui dormaient en nous. Sans eux, ils ont quand même l’air un peu con, Frank et
madame Zito. Ils s’en foutent, ils sont bien…