lundi 5 novembre 2012

Une forme de vie

Auteur : Amélie Nothomb

Une forme de vie.
Difficile d’entrer dans une librairie pour y acheter le dernier Nothomb quand tous les ans elle y va de son roman court, l’envie manque d’y retourner, malgré des premiers livres sympathiques qui ne nous avaient laissé que de bons souvenirs. Il y a chez elle un aspect qui retient l’achat (de Frank Zito uniquement, car en terme de ventes, il n’y a aucune retenue chez son lectorat fidèle) c’est le grand écart entre la légèreté de son œuvre, son succès populaire et la médiatisation un peu ridicule de l’auteure chapeautée. Bref, si le hasard, prenant la forme d’une douce amie, ne nous l’avait pas mis entre les mains, nul doute qu’Une forme de vie serait restée éternellement en dehors de notre champ de vision.

Cette saison donc, Nothomb s’essaye au genre épistolaire, détaillant par le menu une correspondance qui la met en relation avec Melvin Mapple, soldat américain stationné en Irak et devenu obèse par trop plein d’humanité. Ne supportant pas ses crimes, il aurait inconsciemment décidé de porter sous forme d’embonpoint le poids de ses victimes. Dès l’introduction donc, la diablesse sait y faire pour attirer le chaland : une histoire abracadabrantesque, mêlée d’autofiction et écrite dans un style qui a si peu bougé depuis ses débuts qu’il résonne aujourd’hui comme celui d’une vielle romancière britannique plus obnubilée par ses boutures printanières et sa tasse de thé Earl Grey que par la tenue de son récit.

Ce qui accroche vraiment l’œil, c’est ce plaisir qu’elle prend à détailler par le menu l’obésité de son correspondant, une jubilation dans le détail et l’image qui rappellerait presque celui que Frédéric Dard prenait à dépeindre le physique difforme de son Bérurier. La plume est cruelle, montrant un être à peine humain tant il est énorme, qui se bâfre pour enfler toujours plus, histoire d’emmerder l’administration, dans un geste de révolte contre une guerre injuste et sanglante. La bouffe y est décrite comme une drogue nocive et addictive qui poussse Melvin dans un élan amoureux proche de la folie à appeler sa panse "Shérazade", sa bedaine devenant la seule personne qui le comprenne, qui partage son intimité de façon concrète. Bref, le roman est fou, enlevé, méchant et vivifiant. Il prouve que la vieille en a encore sous la plume, et du saignant.

Mieux même, quand elle se met en scène en écrivain épistolaire gonflée d’orgueil, avec qui les lecteurs correspondent parce qu’elle a la réputation de répondre à ses courriers. Dans un mouvement, là encore délicieusement cruel, elle décrypte les us et coutumes de ses correspondants habituels, profite de l’occasion pour leur rappeler que les plus longues missives ne sont pas forcément les meilleures, et surtout qu’elle ne leur doit rien. Méchante comme une teigne, elle se montre sous le jour assez réaliste, sans fard, très proche du personnage qu’elle vend si bien aux média, celui d’une vieille fille un peu aigrie, inadaptée à la vie réelle, et claquemurée dans un monde livresque qu’elle contrôle comme une gérante de petit casino. Sa relation épistolaire semblant aussi enrichissante que l’encaissement toute une journée durant de produits alimentaires de première nécessité. Mais si la recette est bonne elle garde, comme la gérante précitée, un certain ressentiment à l’égard de ses clients qui ne lui apportent au final rien de plus que leurs chèques et les sollicitations qui vont avec.

L’auteure se pare alors d’une ultime pirouette qui prouve, s’il en était besoin, qu’elle est parfaitement consciente des travers qu’elle décrit. D’un peu creux, son ouvrage prend une tournure passionnante quand elle finit, par un jeu de miroir subtil, par se reconnaître dans cet obèse inadapté. Dès lors il suffit de retourner le livre, de remplacer la nourriture par ce courrier étouffant et bourratif qu'elle ingurgite à longueur de journée, et voir le monstre de foire qu’elle est devenue, pour comprendre que ce roman ne parle que d’elle, et qu’en fait d’échange de missive il s’agit d’une communication en vase clos qui ne peut mener qu’à la folie ou à la sécheresse de l’âme. Dans le cas d’Amélie Nothomb, il semblerait bien qu’elle soit atteinte des deux. Magnifique !

En bref : Roman étrange, tombé par hasard entre les mains de Frank Zito, il le regrette d’autant moins qu’il s’agit d’une expérience d’auto flagellation, plus ou moins consciente, parfaitement hallucinante de l’auteure star. Enfermée dans une image qu’elle a construite de toute pièce, qui se floute sur la pochette anxiogène de son roman, Amélie Nothomb semble ne plus savoir comment faire pour se sortir de l’œuvre qu’elle est elle-même devenue. Tout comme son correspondant, elle oscille en permanence entre l’orgueil d’être devenue une figure démesurée de la littérature, un phénomène de foire, et le regret de sa minceur passée. Mais que ses admirateurs n’aient pas peur, aussi addictive aux lettres que Melvin Mapple à la graisse, elle sait bien qu’à moins d’être stoppée de force, elle restera jusqu’au bout cette boursouflure littéraire, savourant à l’avance les applaudissements qu’on lui réserve, quand bien même ils seraient d’aussi mauvaise qualité que la bouffe industrielle ingurgitée gloutonnement par son alter égo. Monstrueux.

hell driver

Réalisation : Patrick Lussier

Avec : Nicolas Cage, Billy Burke, Amber Heard

Année : 2011

Hell driver.
Un résumé succinct avant de commencer, pour bien saisir la portée que laissera le film de Lussier dans l’histoire: Vavavoum ! Voum Vroum VROUM !!! ! Bip bip !! Tut tut !!! Pan, pan !! Bim, bam boum ! Tagada tsoin tsoin !!!! Coin coin !! Gloou glou !! Hic ! Raoul !!!

Ceci étant fait, passons aux choses sérieuses, si tant est qu’il y ait grand-chose de sérieux dans ce foutoir atomique qu’est Hell Driver, véritable nanar signé par un terrible tâcheron qui se voyait déjà en haut de l’affiche avec l’œuvre de sa vie. Et quelle affiche : Amber Head et ses jambes interminables en 3D, William Fichtner et sa gueule de comptable en 3D, Billy Burke et sa bande de fanatiques satanistes en 3D et bien sûr, the last but not the least, Nicolas Cage himself en 3D. Bon, j’en entends ricaner au fond de la classe, que le casting, en fait, il est pas si terrible que ça. Mais ce serait oublier que Nicolas Cage est le numéro 1 des héros chelous du cinéma fantastique Z de ces 5 dernières années. Oublier que même Steven Seagal aurait hésité à enfiler la cotte de maille dans le dernier des templiers ou le moule burnes en cuir dans Ghost rider.

Et pourtant Cage, lui, n’hésite pas ! Et quand on parle de burnes, on peut dire qu’on est servi, avec son jeu badass, ses délires capillaires, ses vannes de cul et ses punch line old school. A dire vrai, il est hilarant dans ce rôle de beau gosse aux bajoues gonflées à la cortisone. Tout comme les autres d’ailleurs, en roue libre dans une volonté de nous la faire dure à cuire, qui passent leur temps à baiser ou à y penser, à se balancer de grosses torgnoles dans la gueule après avoir siroté une Bud pas fraîche dans un rade pourri. Ah, le proprio graisseux du "Fat Louie" et les serveuses aguicheuses du "Bull by the Balls" ! Les moteurs ronronnent et les portes claquent tandis qu’on tringle au Palomar hôtel.

Bon ça, c’était la base de départ, le problème, c’est qu’à l’arrivée, elle nous fait un peu l’effet d’un pneu crevé leur virée redneck. Si les tartes dans la gueule 3D, les petits accès vénères et les bagnoles sont bien là, passés à la moulinette de Lussier, il ne reste pas grand-chose. On y parle quand même beaucoup plus de baise et de liberté sexuelle qu’on ne passe véritablement à l’acte dans Hell Driver. Les courses poursuites en Charger 1969 ou Chevelle 1971 pourraient l’être en 2chevaux 1983 et en super5 1989 que ça ne changerait pas grand-chose. Et puis, filmer badass, ce n’est pas forcément surligner chaque effet par un riff de guitare, utilisé ici comme une boîte à rire version hard FM. Bref, Hell Driver est à l’enfer et aux voitures ce que la Tourtel est à la bière, pas très bonne, elle ne ressemble pas à grand-chose, mais on peut toujours faire semblant d’être enivré par la mousse, si le cœur nous en dit.

En bref : Lorgnant ostensiblement du côté de Tarantino et Rodriguez, avec ses bad guys, ses méchantes vannes et ses grosses cylindrées, Hell Driver rate son coup car il lui manque la virtuosité du premier et la légitimité sévèrement burnée du second. S’il démarre sur les chapeaux de roue en jouant au méchant de la classe, et se montre aussi régressif qu’un riff d’Airbourne, il ne touche jamais à l’authenticité root’s d’AC/DC. Pire, il patine grave sur le bitume pour aller s’échouer lamentablement dans le bac à sable de la beauferie la plus Z. Reste une authentique bisserie, avec tout ce que cela peut-avoir d’attachant à nos yeux, et un Nicolas Cage qui est en train de devenir « autre » sous nos yeux ébahis. De lourds atouts qui finissent par contrebalancer favorablement le manque de relief de l’ensemble.