samedi 1 mars 2014

Nekromantik (un film malséant)

Réalisation : Jörg Buttgereit

Acteurs : Bernd Daktari Lorenz, Beatrice Manowski et Harald Lundt

Année : 1987          Durée : 1h15              Pays : RFA

Rob travaille pour un service de récupération de cadavres, ce qui lui permet de compléter sa collection de débris humains, hobby qu’il partage avec sa petite amie. Au courant de ces tendances nécrophiles, son patron lui offre un cadavre entier déniché dans un lac croupi. L’occasion rêvée de faire un beau cadeau à Betty, la jeune femme ne perdant pas de temps pour faire l’amour avec leur nouveau compagnon. Un bonheur partagé avec Rob, jusqu’au jour où celui-ci perd son emploi…

Une réputation méritée
Cultissime, Nekromantik est l’un des rares films d’horreur à avoir gardé au fil du temps son aura subversive intacte, à l’image de Cannibal Holocaust, dont il partage (malheureusement) le goût du snuff animalier. Tourné par le jeune Jörg Buttgereit en 1987, on ne peut pas vraiment dire que sa (mauvaise) réputation soit usurpée. En effet, avec une histoire axée autour des délires nécrophiles d’un couple passablement crasseux, et animé par une volonté de ne rien cacher de cette relation particulière à la chair, jusqu’à en explorer les délires quasi excrémentiels, il n’était pas de nature à ramasser un jour un César d’honneur.

Choquer le bourgeois
Pourtant l’œuvre du jeune Buttgereit est tout sauf une simple bobine nauséabonde. Evidemment destiné à un public averti, c’est avant tout un film formellement très réussi. Avec un choix de réalisation type grindhouse, des pans de film tournés en Super 8, des gros plans outranciers et une vulgarité inouïe, il se place quelque part entre différents courants du gore de l’époque. D’abord en n’étant pas si éloigné que ça du côté potache d’un Peter Jackson première mouture, car Nekromantik est loin de conserver sur la longueur une tonalité aussi sérieuse qu’on veut bien le croire. Mais aussi en faisant appel au cinéma extrême italien de Ruggero Deodatto et de Joe D’amato par exemple, dont on retrouve ici le thème central du génial Buio Omega. Enfin, et c’est peut-être cette référence qui est aujourd’hui la plus parlante à la vision de Nekromantik, la filiation à Hershell Gordon Lewis, John Waters et Frank Henenlotter, avec cette même volonté chevillée à la caméra de secouer le cocotier de la bienséance, de choquer le bourgeois en signant avant tout une grosse farce de mauvais goût. Références cinématographiques qui font de ce film le pivot d’un genre, et avant tout un vrai bon métrage, parfaitement structuré et mis en scène, à la force intacte presque 25 ans plus tard.

Un film dans le film
Au-delà de cette filiation, il y a également cette volonté consciente de mise en abîme d’une œuvre qui n’est pas sans rappeler la démarche de l’art contemporain trash, dont l’intention première est de faire perdre l’équilibre au spectateur, le sortir de sa léthargie pour l’emmener à repenser le monde qui l’entoure. Ici, à deux reprises, Buttgereit se fait didactique, avec une maestria étonnante. D’abord en intégrant un discours universitaire sur la désensibilisation de notre société face à l’horreur, qui décortique le film en cours, et en transforme immédiatement notre perception. Mais aussi lors d’une séquence dans un cinéma d’exploitation où l’on suit un film dans le film. Un slasher inoffensif dont la violence montrée sonne toc, quand celle de Nékromantik peut sembler réelle, dont les spectateurs s’amusent quand le seul à ne pas l’apprécier est celui là même qui passe à l’acte. Démonstration extrêmement pertinente qui n’ôte en rien le caractère bien craspec de la bobine, mais lui donne un relief qui justifie qu’elle traverse le temps aussi bien que l’extraordinaire Cannibal Holocaust, dont elle partage aussi une Bande Originale très réussie, qui participe activement au grand huit émotionnel qu’est resté Nékromantik.

En bref : Interdit dans de nombreux pays, poursuivi par une aura sulfureuse, Nekromantik ne déçoit pas. A la lisière de plusieurs genres extrêmes en vogue à l’époque, dont il s’approprie tour à tour les lignes de force, d’une réalisation outrancière à un gore décomplexé, en passant par un humour de mauvais goût bien particulier, Nekromantik vous prend à la gorge pour ne jamais vous lâcher. Tour à tour troublant, écœurant, énervant, étouffant, on est fasciné par cet objet conceptuel, cette romance nécrophile qui soulève aussi bien le cœur que les neurones. A voir absolument, si on a plus de 18 ans et les idées claires.