mercredi 19 juin 2013

Livre : Limonov


Auteur : Emmanuel Carrère

Emmanuel Carrère s’est longuement expliqué sur les raisons qui l’ont poussé à se lancer dans cette biographie d’Edvar Limonov, insaisissable personnage qui s’est trouvé sur un étonnant nombre de points chauds de l’histoire récente. Homme aux mille facettes, on le croise tour à tour poète adulé, guérilléro rouge-brun, écrivain à succès, valet de chambre chez un milliardaire, prisonnier dans un camp de la Volga, chef de gang spartiate opposé au régime de Poutine. Du velours pour un roman, vous direz-vous, mais pour Carrère rien n’a été simple, jamais, car Limonov ne se pose pas comme une évidence, comme ce personnage mythique que l’écrivain parisien aurait aimé croquer par sympathie, et que le dissident russe a mis toute son existence à façonner. Non. Loin s’en faut. Limonov n’est pas homme à nourrir une biographie officielle, et cela tombe bien, Emmanuel Carrère n’était pas du genre à l’écrire.

C’est pourtant ce qu’il essaie tout de même de nous faire croire en s’attaquant à l’énigme Limonov. Il faut dire que l’homme est sulfureux. Il étale une sexualité libérée et hors norme, écrit des livres déjantés, et pour beaucoup autobiographiques comme Le poète russe préfère les grands nègres. Joue de la Kalachnikov en Serbie. Fleurte dangereusement avec le terrorisme et finit enfermé pour avoir tenté un coup d’Etat au Kazakhstan. Ses femmes sont belles ou folles, sinon les deux à la fois. Elles meurent à l’asile ou par overdose. Et pour ce qui est de la subvention, à l'image des scouts il est toujours prêt. Dans tous les mauvais coups, de toutes les parties pourries, de tous les combats perdus d’avance, Limonov, intense, brûle de par sa vie toutes les pages du roman de Carrère. Voilà pour l’aspect le plus évident, celui qui décrit un homme infréquentable qui a traversé l’histoire et les continents de part en part. Voilà ce qu’aurait pu être Limonov.
 
Mais Carrère est un écrivain de l’intime, qui sait mêler avec sensibilité grande et petite histoire. Et pour la petite, il a connu Limonov, qui, après être devenu infréquentable, se souviendra parfaitement de cet écrivain français croisé au début des années 80, quand lui se trouvait aux côté d’Edern Hallier, à rédiger des articles destructeurs pour l’Idiot international. Depuis ce point de rencontre, Carrère déroule le fil de la vie de Limonov chronologiquement, mais embrasse ce destin atypique pour l’enrichir en creux de sa propre biographie. Face à la brutalité et la sècheresse de l’existence de Limonov, Carrère se pose en bobo bien né, se met en scène en retrait, s’affuble d’une relative faiblesse de caractère qu’il dit héritée de son milieu, quand la pauvreté, la misère et la violence ont forgé le caractère du jeune Limonov en acier trempé. Le regard que lui porte l’auteur oscille entre fascination et déception, toujours touché par le romantisme fou que dégage, sur le papier, cette existence qui brûle comme un feu de paille. Le confort de ses intérieurs cosy heurtent la vérité des logements ascétiques de la star Limonov, qui vit comme un clandestin alors qu’il fait les choux gras de la presse people russe. La vie rangée de l’un met en orbite la folle aventure que représente celle de l’autre.

C’est pourtant de ce rapprochement improbable que jaillit la force du roman. Car la vie D’Emmanuel Carrère est intimement liée à la Russie. Fils d’une historienne de renom, il refait au fil des page le match d’une série de tableaux que l’on croyait figés par l’Histoire. En suivant Limonov partout, il nous raconte la chute de l’URSS et la fierté du souvenir de l’ère soviétique d’un point de vue inédit pour le lecteur français. Poutine n’y est pas seulement la brute épaisse que l’on sait. Les Serbes pas les seuls coupables d’une guerre atroce. Staline n’est pas Hitler. Ses interprétations éclairées apporte de la nuance à toutes les idées reçues qui polluent notre inconscient. Tout cela en décrivant le destin d’un pauvre type qui, à force d’opiniâtreté, réussit à s’élever pour poursuivre un destin qu’il ne rattrapera jamais. Mais il aura vendu chèrement sa peau.

En bref : Limonov décrit la vie sulfureuse d’un des personnages les plus subversifs de l’époque contemporaine, qui s’avère, sous la plume élégante de Carrère, être un homme pétri de contradictions, mais profondément humain et sincère. Un portrait initiatique superbe, qui brise mille tabous pour révéler chaque facette d’une même pièce, celle de ce jeune poète qui a mis sa peau sur la table pour ne pas finir par être n’importe qui. A l’heure des bilans, difficile pourtant de se prononcer : vie passionnante ou vie de merde ? La réponse vous laissera sur les rotules. Un roman monstre…

mercredi 12 juin 2013

TOKYO GORE POLICE : Gore jusqu'au bout des ongles !


Réalisation : Yoshihiro Nishimura

Avec : Eihi Shiina, Keisuke Horibe, Itao Itsuji

Année : 2008          Durée: 1h50             Pays : Japon-USA

Sur fond de privatisation de la police, T.G.P. raconte la lutte menée par une flic et sa section de dégénérés contre une nouvelle race de criminels mutants dont les blessures se changent en armes de combat. La seule solution pour les éradiquer : les découper en morceaux...

L’occasion d’outrances ultra gores, où l’on se taillade vingt fois les veines avant de lacérer les visages à la suite de duels démesurés à la tronçonneuse. Enucléations, démembrements, fulguro-poings -avec des vrais poings !- j’en passe et des meilleures. Le tout bien évidemment en plein champ, avec des geysers de sang, de boyaux et de viscères qui dégueulent à même la caméra. Attention les yeux, car Tokyo Gore Police est réellement une boucherie à ne pas mettre entre toutes les mains.

Mais là où le film de Yoshihiro Nishimura vire au génie, c’est qu’il est aussi un pur délire pop, saturé de couleur, de jupettes d’écolières, de latex, de jambières et de petites culottes. Fétishiste, sado-masochiste, outrancier, la réalité de ce Tokyo futuriste de carton pâte est tellement custom qu’on croirait un fantasme sur pellicule. Le réalisateur garde le pied en permanence sur le champignon, passant d’une émotion l’autre sans transition, mêlant à ce bain de sang jubilatoire des flash-back portnawak, des promotions grotesques, des spots de pubs pour ustensiles de suicide.

En bref : L’inventivité déviante de Tokyo Gore Police est ici poussée à l’extrême rappelant les meilleures heures d’un gore aussi craspec que joyeux. Une bombe iconoclaste, tournée avec la grossièreté et la vulgarité d’un réalisateur qui, comme Peter Jackson à l’époque de Brain Dead, a la classe internationale.




samedi 1 juin 2013

Ciné : La belle personne (ou la nouvelle princesse de Clèves)


Réalisation : Christophe Honoré

Avec : Louis Garrel, Léa Seydoux, Grégoire Leprince-Ringuet

Année : 2008               Durée : 1h30                 Pays : Français

La belle personne.
Junie, seize ans, change de lycée en cours d'année à la suite à la mort de sa mère pour intégrer la classe de son cousin Matthias. Courtisée, elle va rapidement se mettre en couple avec le plus rangé des voiture de la bande, Otto, quand c’est le ténébreux Nemours, son professeur d'italien, qui la fait bruler de désir.

Christophe Honoré met en scène avec nuance la complexité adolescente des émois amoureux dans une classe de lycée du XVIème arrondissement. Exit ici les habituelles conventions sociales du film scolaire. Loin de la rupture classique élève/professeur, il nous fait découvrir un ambiance propice à l'épanouissement intellectuel, où les hormones bouillonnent autant que les neurones. Dans le XVIème, on ne couche pas ensemble, on a une activité sexuelle. On ne se quitte pas, on s’éloigne un peu. Et c’est dans ce décor un peu désuet de la bonne éducation parisienne qu’il développe son scénario, réalisé d’après la trame de la Princesse de Clèves. Honoré dénude la complexité des sentiments amoureux, vus ici comme un jeu à plusieurs bandes qui peut mener à la folie. Junie y est incarné par la superbe Léa Seydoux, qui se contente de traverser le film avec une moue frondeuse indéchiffrable pour tout renverser sur son passage, quand Jacques est Louis Garrel, formidable bellâtre, qui personnifie son professeur narcissique, contradictoire et égocentré avec une classe et un sens de la comédie étonnant.

L’ensemble du casting est d’ailleurs parfait, au diapason de ce scénario insaisissable, où une jeune fille opaline et fragile peut se transformer en tueuse par la force dévastatrice de sa passion, où de fausses lettres révèlent de vrais sentiments et où le penchant amoureux ne peux exister qu’à fleur de peau. La dure vérité sort d’ailleurs de la bouche du trop gentil Otto, qui se rend compte à ses dépends qu’on ne sait jamais rien des gens et moins encore de ceux que l’on aime.

En bref : Si La belle personne avait tout pour être un film d’auteur de plus, gentiment pompeux et un peu rasoir, il s’avère en fait léger et brillant comme sa classe du lycée Molière, touché par la grâce de la jeunesse…